Mesures de lutte contre la COVID-19: des exploitants agricoles dans la précarité

Apparue en décembre 2019 en Chine, la maladie à coronavirus a plongé le monde entier dans une longue crise sanitaire avec de nombreux corolaires. Au Burkina Faso, les premiers cas ont été enregistrés, le 9 mars 2020. Dès lors, les autorités nationales ont pris plusieurs mesures en vue de freiner la propagation de la maladie. Parmi elles, la fermeture des frontières et la mise en quarantaine de certaines villes. Cela a impacté l’approvisionnement des agglomérations concernées en certains produits alimentaires.

Déjà confronté à un besoin alimentaire à cause de la crise sécuritaire qui a engendré des déplacés internes, le Burkina Faso pourrait tomber dans une insécurité alimentaire. En effet, depuis l’avènement de la maladie à coronavirus, plusieurs mesures ont été prises par les différents pays du monde pour limiter la propagation de la pandémie. Selon les Nations unies dans sa note de synthèse sur l’impact de la COVID-19 sur la sécurité alimentaire, 49 millions de personnes dans le monde pourraient tomber dans une extrême pauvreté à cause de cette maladie. L’organisation souligne que le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave va augmenter. Dans la même lancée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) relève que la COVID-19 est susceptible d’alourdir le fardeau déjà considérable de malnutrition en Afrique. Les mesures de confinement, de restrictions, de circulation et de distanciation physique qui entravent l’importation de denrées alimentaires, les transports et la production agricole, aggravent les pénuries alimentaires. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), quant à elle, note que 113 millions de personnes font face à une insécurité alimentaire aigüe, une situation de famine tellement grave que leur vie et leurs moyens de subsistance sont directement menacés et leur survie dépend d’une aide extérieure. La FAO est particulièrement inquiète des effets de la pandémie dans les pays vulnérables qui sont déjà frappés par d’autres crises comme l’insécurité au Sahel mais aussi dans les pays qui s’appuient en grande partie sur les importations de produits alimentaires. Au Burkina Faso par exemple, la FAO soutient que la pandémie a impacté et continue de nuire aux sources de revenus des ménages, à leurs moyens d’existence et à leurs pouvoirs d’achat. Ce qui a pour conséquences, entre autres, la perturbation du transport et de l’approvisionnement des marchés en denrées alimentaires, la volatilité potentielle des prix, la réduction de la disponibilité et de l’accessibilité des denrées alimentaires et la dégradation des petits commerces des femmes.

Une réduction des superficies agricoles

Agriculteur dans la région des Hauts-Bassins (à l’ouest du Burkina Faso) et président de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Bassiaka Dao souligne que la COVID-19 a non seulement affaibli la main d’œuvre dans les champs, mais aussi anéanti les efforts des agriculteurs en termes d’approvisionnement des marchés tant au niveau local, régional, provincial, national et international. « L’impact a été senti au moment où les autorités ont décrété le confinement de 40 jours car le secteur agricole produit plus ce que nous mangeons au quotidien, que ce soit le bétail, les légumes, les céréales… », dénonce Bassiaka Dao.
Il ajoute que les agriculteurs, notamment les maraîchers, approvisionnent les villes et durant 40 jours leurs productions ont péri dans les champs. Pour lui, cette situation a ramené de nombreux agriculteurs dans la situation de pauvreté parce que les investissements sur lesquels ils comptaient pour satisfaire les besoins élémentaires de leurs ménages sont ruinés. Cela, soutient-il, menace fortement la sécurité alimentaire dans la mesure où des Burkinabè qui devraient prendre trois repas par jour se retrouvent avec un seul.
Dans son « Evaluation de l’impact de la COVID-19 sur l’agriculture et la sécurité alimentaire et nutritionnelle », le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydroagricoles fait ressortir que sur la production en saison sèche, la pandémie a impacté négativement sur les superficies emblavées. Dans certaines régions comme celles du Nord, du Centre-Nord et du Sahel, les superficies autour des boulis ont connu une réduction de 25 à 50%. « Ces mesures ont entrainé un retard des semis dans les sites à plusieurs cycles de production et cela est lié aux difficultés d’acquisition des semences avec la fermeture des marchés et la mise en quarantaine de certaines villes », explique le rapport. Aussi, la faiblesse des revenus sur la période du fait de la mévente de la production et la perturbation, voire la suspension des activités génératrices de revenus a eu des répercussions sur la capacité des producteurs, notamment les plus pauvres, par endroit, à acquérir des intrants ou à assurer la maintenance des équipements agricoles. Les revenus tirés de la main d’œuvre agricole durant la période de confinement ont été estimés à au moins 40% dans les régions les plus touchées. En termes de production des spéculations périssables, le rapport fait ressortir une baisse de -16,5% par exemple pour la tomate pendant que l’oignon connaît une hausse de +10,3%.

« … je ne pourrai pas rembourser »

L’« Evaluation de l’impact de la COVID-19 sur l’agriculture et la sécurité alimentaire et nutritionnelle » du ministère en charge de l’agriculture révèle que les ménages qui ont le maraichage comme principale source de revenus ont été durement impactés par les mesures restrictives de lutte contre la COVID-19 en particulier dans les régions du Plateau central et du Centre avec des taux respectifs de 91,7% et 83,3%. « Elles sont suivies du Centre-Ouest avec 66,7% des ménages. A l’opposé, les ménages du Sahel et de l’Est sont faiblement impactés car le maraîchage n’est pas la principale source de revenu », note le rapport. Les pertes sont estimées à 38 257 tonnes soit 17,96 milliards en valeur financière. Noufou Koussoubé est le directeur de la Centrale d’approvisionnement et d’activité commerciale de la Fédération nationale des Groupements Naam, basée à Ouahigouya dans la région du Nord. Même s’il dit ne pas détenir des chiffres, pour le moment, il reconnaît que la pandémie a causé beaucoup de pertes aux producteurs de la région. Pour lui, la maladie a rendu la vie très difficile aux producteurs parce qu’elle est intervenue dans une période où les productions devraient être acheminées à Ouagadougou. « Dès que le corridor est fermé, les gens sont restés avec des tonnes de pomme de terre dans les bras. Dans notre système de commercialisation, ce sont les femmes qui prennent les productions pour les revendre à Ouagadougou avant de revenir s’acquitter auprès des producteurs. Mais beaucoup d’entre eux ont eu des problèmes parce que les femmes n’ont pas pu écouler », regrette Noufou Koussoubé. Productrice de pomme de terre dans la cité de Naaba Kango, Hélène Nana projetait un bénéfice de plus de dix millions à l’issue de sa production. Mais avec la mise en quarantaine des villes touchées, elle n’a vendu que 450 000 francs CFA, « le reste a pourri ». « J’avais contracté un prêt auprès d’une institution financière que je ne pourrai pas rembourser », lâche Hélène Nana.
Dans la région du Nord, la plupart des acteurs du maraîchage craignent de ne pas pouvoir nourrir leurs familles. Ne possédant pas de terres cultivables en saison pluvieuse, la culture maraîchère était leur seul moyen de subsistance. Dans son rapport sur l’impact de la COVID-19 sur les petits agriculteurs et commerçants de produits agricoles au Burkina Faso, produit en juin 2020, l’ONG OXFAM certifie que la maladie et les mesures gouvernementales prises ont plus touché la vente et les prix par rapport à la quantité produite. Cette étude montre que 90% des producteurs estiment que les prix ont enregistré une baisse par rapport à leur niveau de l’année passée.
« Les baisses de recettes moyennes par producteur varient de 30% à 90% entre les mois de mars 2019 et mars 2020. En mars 2019, un producteur moyen d’oignon réalisait un chiffre d’affaires de 930 000 F CFA contre 91 000FCFA en mars 2020 soit une baisse de 90%. Dans la même période, le chiffre d’affaires moyen d’un producteur de pomme de terre a varié de 233 500 F CFA à 176 400 F CFA soit une baisse de 24% », note l’ONG OXFAM. En sus, le rapport insiste sur le fait que la pandémie a des effets néfastes sur la disponibilité des stocks vivriers.
Pour permettre aux agriculteurs victimes des effets de la COVID-19 de relancer leur production à la nouvelle saison agricole sèche, le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles a remis, le 4 décembre dernier des semences de pomme de terre, de l’engrais et du matériel agricole aux exploitants de la région du Nord.

Une baisse de l’offre de bétail

Certains producteurs ont vendu des vivres pour faire face à des besoins de leurs familles. Ils anticipent alors une exacerbation de la pauvreté alimentaire du fait de l’épuisement de leurs réserves tant financières qu’alimentaires. Commerçante au grand-marché de Bobo-Dioulasso, Sara Traoré a vu ses économies voler en éclats en moins de deux mois. Après la fermeture des marchés, elle s’est retrouvée à la maison, ce qui l’a obligée à puiser dans son épargne pour nourrir sa famille. Aujourd’hui, même si elle a repris son activité, elle peine à assurer pleinement les besoins alimentaires.
Le département de l’Agriculture a abouti au résultat selon lequel les mesures de restrictions sanitaires prises ont entrainé des perturbations alimentaires à la suite de la diminution du pouvoir d’achat des ménages. Elles se seraient traduites par une baisse quantitative et qualitative de l’alimentation au sein des ménages vulnérables avec pour conséquence une dégradation de l’état nutritionnel des femmes enceintes et allaitantes et des enfants de moins de 5 ans.
La proportion des ménages ayant habituellement moins de deux repas en avril a triplé. Pour M. Dao, tant que la maladie sera présente au Burkina Faso, l’agriculture sera menacée et les personnes vulnérables seront toujours exposées en ce sens qu’elles sont sous-alimentées et n’ont pas de protection sociale.
La viande entre dans la composition alimentaire de nombreux foyers pourtant le secteur agrosylvopastoral n’est pas épargné par les effets de la crise sanitaire. A cet effet, le président de la CPF martèle que la mise en quarantaine des villes touchées a mis les éleveurs face à des difficultés d’approvisionnement des abattoirs. « L’impact a été fort sur les éleveurs qui souffraient déjà d’une insuffisance structurelle de couverture territoriale de l’appui-conseil/vulgarisation et la fermeture de certaines zones d’appui technique à la suite de la crise sécuritaire. En effet, la mise en quarantaine des villes touchées et l’imposition du couvre-feu ont limité le déplacement des agents des services techniques vers les éleveurs, d’une part, et, d’autre part, des éleveurs vers les centres de service pour l’acquisition des intrants et les services d’appui-conseils », relève le président de la Fédération nationale des sociétés coopératives des éleveurs du Burkina (SCOOP-CA/FEB), Amadou Tamboura. Il ajoute la rupture de la chaîne de ravitaillement en intrants zootechniques et vétérinaires dans certaines zones avec pour conséquence des difficultés de mise en œuvre de l’épidémio-surveillance des maladies animales et la gestion des maladies suspectées. Ce qui, à l’écouter, a causé des pertes (mortalité, vente à vil prix des animaux malades et affaiblis) à certains éleveurs. Selon M. Tamboura, les mesures de lutte contre la pandémie ont causé une baisse de l’offre de bovins par rapport à l’année dernière à la même période. Paradoxalement, l’offre en petits ruminants a été exceptionnelle dans des marchés du Centre-Nord, du Plateau central, du Centre-Est, du Nord et du Centre. Pour lui, cela serait dû, en partie, à la hausse du besoin de cash pour faire face aux dépenses alimentaires (céréales) et de préparation de la campagne.
« La disponibilité des produits animaux tels que le lait, la viande, les œufs et le miel a été en baisse comparativement à l’année dernière à la même période dans toutes les régions. La production de lait (pour la vente par les ménages et pour les UTL), par exemple, a été réduite à la suite de la fermeture des marchés, l’interruption des transports vers d’autres zones, la fermeture des classes », illustre Amadou Tamboura. Et le rapport d’évaluation du ministère de l’Agriculture de préciser que les paramètres impactés par les mesures restrictives sont la réalisation des activités d’encadrement, l’accès aux moyens de production et la production. Les ménages très pauvres et pauvres, ainsi que les bénéficiaires des projets de résilience ont subi fortement l’impact de la maladie. Selon le département en charge de la sécurité alimentaire, la fermeture des frontières a rendu davantage difficile l’accès des animaux aux pâturages et aux points d’eau avec pour difficultés l’insatisfaction de la productivité en lait, poulets de chair et œufs.

Joseph HARO

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Quid de l’importation du riz !

Au-delà de la mévente et des difficultés d’écoulement de la production nationale, les mesures de lutte contre la COVID-19 comme la fermeture des frontières aura impacté l’approvisionnement du pays des Hommes intègres en certains produits alimentaires. Il s’agit notamment du riz dont le besoin en consommation est estimé à 650 000 tonnes par an, selon le ministre de l’Agriculture et des Aménagements hydroagricoles, Salifou Ouédraogo. Mais du côté des importateurs de la céréale l’on rassure. Le Président directeur général du groupe Nana, El hadj Boureina Nana, confie que l’avènement de la pandémie a suscité des inquiétudes en ce qui concerne notamment la possible rupture des denrées de première nécessité.
« Le ministère du Commerce nous a approchés pour voir l’état des stocks disponibles et des commandes. Depuis lors, nous faisons le point chaque début de semaine et je puis vous assurer qu’il n’y aura pas de rupture », soutient Boureima Nana. Pour Bassiaka Dao, vu que plusieurs pays ne veulent plus exporter des denrées alimentaires notamment le riz, il est important que les agriculteurs se donnent à fond pour pouvoir satisfaire la demande nationale.
J.H.

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