Mutuelles de santé communales : Des prestations en deçà des attentes au Centre-Ouest

Les mutuelles de santé communales du Centre-Ouest ne fonctionnement pas à merveille. Les difficultés de recouvrement des cotisations, les ruptures de médicaments, l’analphabétisme et le manque de communication poussent parfois les adhérents à quitter ces structures.

Zénabo Ouédraogo, la cinquantaine révolue, veut se donner une seconde chance dans sa vie, parce qu’elle a ‘’ échappé ’’ à l’école du Blanc. Ce mercredi 10 février 2021, elle était dans une salle d’alphabétisation à Poa, localité située à une vingtaine de kilomètres de Koudougou, dans la région du Centre-Ouest. Après quelques minutes d’entretien sur la mutuelle Laafi La Bumbu, à laquelle elle est affiliée il y a de cela quatre ans, elle raconte le calvaire qu’elle a vécu avec les agents du Centre médical (CM) de Poa. « En 2019, j’ai contracté le paludisme. Je suis allée au district avec ma carte d’adhésion, je n’ai pas eu de soins. Une deuxième fois, après consultation, on m’a prescrit une ordonnance et je n’ai pas trouvé les produits au dépôt pharmaceutique.

C’est dans une officine privée que j’ai pu les avoir, à plus de 5 000 F CFA », raconte t-elle, la gorge enrouée. Ainsi s’arrête son aventure avec la mutuelle. Fatimata Tiemtoré, de la même mutuelle, a aussi eu une amère expérience, bien qu’elle soit à jour de ses cotisations. Désemparée, elle replonge dans l’automédication, une pratique qu’elle a abandonnée depuis son adhésion à la mutuelle. Face à ces constats amers, la présidente de la mutuelle Laafi La Bumbu de Poa, Marie Kiendrébeogo, affiche mine grise. Elle se défend en disant qu’elle n’a jamais été informée de ces situations. Solange Yaméogo est de la mutuelle Laafi-nooma de Koudougou. Pour un simple paludisme, elle a fait le tour de cinq CSPS, à la recherche de l’Artéméther 24 en vain. Les mutualistes de Sabou sont logés à la même enseigne. Les prestations ne semblent pas leur donner
satisfaction.

Le couturier Modeste Nikièma et bien d’autres personnes ont vu leur carte de membre rejetée par les agents de santé. Pourtant, à en croire le président de la mutuelle de Sabou, Hyppolite Sinaré, une convention a été signée avec le Centre médical. Mais quelquefois, c’est l’ignorance ou le manque de communication qui crée tous ces désagréments. C’est du moins l’avis du Médecin chef de district sanitaire (MCD) de Sabou, Yaya Sourabié. Pour lui, le district n’est pas un établissement conventionné où des mutualistes peuvent venir se soigner. Il précise que cette tâche est dévolue aux CSPS et aux CM.

Pour le DG du CNAMU, Dr Yves Kinda, le gouvernement est actuellement dans une politique, qui consiste à créer une mutuelle par commune.

Le rôle du district explique-t-il, est de coordonner les formations sanitaires. « Nous allons d’ailleurs tenir une rencontre avec les responsables du CM dans un bref délai, pour se pencher sur ce dossier », envisage-t-il. Le major du CM de Poa, Idrissa Sawadogo, dit reconnaitre que la mobilité des agents de santé constitue aussi une problématique. Pour ce faire, des dispositions ont été prises, selon lui, pour que les nouveaux agents qui arrivent soient informés de la manière dont se fait la prise en charge des mutua-listes.

Des ruptures de médicaments

Il suffit d’avoir sa carte d’adhésion à 500 F CFA et de s’acquitter de sa cotisation annuelle de 2 000 FCFA, pour être adhérent d’une mutuelle. Ce dernier peut toutefois intégrer d’autres membres de sa famille, mais la cotisation reste individuelle. S’il est malade et il est à jour de ses cotisations, il supporte 30% des frais de soins et la mutuelle prend en charge les 70%. Généralement, les produits concernés sont les Médicaments essentiels génériques (MEG) et le mutualiste ne doit pas excéder deux épisodes pour ses soins. « S’il y a beaucoup d’adhérents sur sa carte qui ne sont pas malades, il peut bénéficier de leurs épisodes pour continuer ses soins.

Au cas contraire, c’est lui-même qui prend ses ordonnances en charge », précise la présidente de la mutuelle de Poa, Marie Kiendrébeogo. Les centres de santé conventionnés avec le Réseau d’appui aux mutuelles de santé au Burkina Faso (RAMS/BF), n’excluent aucune pathologie en matière de prise en charge. Les ordonnances sont souvent prescrites en tenant compte de la disponibilité des produits. Mais dans la plupart de ces formations sanitaires, le manque de certains produits oblige le patient à recourir aux officines privées. Casimir Kambou, agent de santé à Nayalgué, souligne que lorsqu’un produit manque, le mutualiste est guidé vers d’autres CSPS conventionnés. Lors de notre passage dans les CSPS de Nayalgué, Ralo et Poa le 10 février 2021, des médicaments antipaludiques avaient disparu des rayons depuis plus d’un mois.

Le gérant du dépôt de Ralo, Issa Zongo, affirme qu’en cas de rupture d’une molécule au niveau des Dépôts répartiteurs de districts (DRD), il est évident que les dépôts des CSPS soient touchés. « Il n’y a pas un dépôt de nos jours qui peut confirmer la disponibilité de tous les produits», martèle-t-il. Le Boulkiemdé compte 27 CSPS conventionnés, comme l’indique le responsable régional des mutuelles du Centre-Ouest, Armel Kabré. Malgré tout, se pose le problème d’approvisionnement en produits pharmaceutiques auprès de ces structures. Et pourtant, les centres de santé conventionnés ont été priés de mettre l’accent sur la qualité des prestations, la disponibilité des produits et le personnel soignant.

Le maire de Koudougou, Maurice Moctar Yaméogo : « La mairie ne dispose pas d‘un fonds alloué pour les mutuelles, mais cela peut être examiné ».

C’est la raison pour laquelle, informe le secrétaire permanent du RAMS/BF, Patrice Pamousso, il est organisé tous les deux ans, le prix Dr Dominique Legrand, pour motiver et encourager les meilleurs CSPS et mutuelles. A son avis, il y a souvent des CSPS qui font des sur-prescriptions des médicaments. « Nous avons déjà eu ces cas et les fautifs ont été interpellés. Il faut que les agents arrivent à respecter la déontologie médicale », recommande-t-il.

Le recouvrement des cotisations, un casse-tête

La mobilisation des ressources constitue une épine, car les stratégies de recouvrement mises en place ont montré leurs limites. Le dernier trimestre de l’année est considéré comme une période favorable, vu que les adhérents ont la possibilité de vendre leurs récoltes pour s’acquitter de leurs dettes. Même là, la mayonnaise tarde à prendre. Au lieu de payer la totalité du montant qui est de 2000 FCFA par an, bon nombre d’adhérents donnent des avances de 500 FCFA ou 1 000 FCFA et généralement le restant n’est pas soldé. La mutuelle Laafi La Bumbu compte à ce jour environ 472 adhérents, dont seulement 195 s’acquittent régulièrement de leurs cotisations annuelles.

La mobilisation de ces fonds donne du tournis à la présidente, Mme Kiendrébeogo. Elle souligne que les comités de base chargés de recouvrer les créances bénéficiaient autrefois, du soutien financier de l’ONG Oxfam Novib. Toute chose qui leur permettait de se déplacer de concession en concession pour recouvrer. Aujourd’hui, faute de moyens, ces structures ne fonctionnent plus. Aussi, en 2018, poursuit-elle, la Mutualité femmes et développement du Burkina (MUFED-B), a prêté 50 000 FCFA à chacun des mutualistes qui excellait dans son domaine d’activités. Ces crédits remboursables en six mois, devraient leur permettre d’avoir des ressources pour payer leurs cotisations.

« Malheureusement, les cotisations n’ont pas été payées, pire, les coupables ont quitté la mutuelle. La MUFED-B n’a pas été non plus remboursée.», se désole Mme Kiendrébeogo. La trésorière de la mutuelle de Poa, Salimata Sana, révèle que le montant qui se trouve dans la caisse (500 mille F CFA) ne reflète pas la réalité, au regard du nombre des adhérents. A l’entendre, toute cette somme ne sera pas dépensée dans les soins. 300 mille FCFA seront épargnés. Par contre, le caissier de la mutuelle Laafi nooma de Koudougou, Edouard Zoma, ne sait pas quoi faire avec l’argent des cotisations. En 2019, plus de 600 mille F CFA ont été recouvrés.

La présidente de la mutuelle de Poa, Marie Kiendrebeogo, précise qu’un adhérent qui n’est pas à jour, ne peut pas bénéficier ….

Au cours de la même année, le paiement des factures au niveau des formations sanitaires conventionnées ne dépassait guère 5 000 F CFA. En 2020, les cotisations s’élevaient à plus de 900 mille FCFA. Il souhaite que l’argent soit utilisé autrement, en appuyant les membres qui mènent des activités génératrices de revenus ou à défaut, de leur acheter des vivres. Une manière selon lui, de renouer la confiance avec les membres, car certains d’entre eux suspectent les responsables d’utiliser la cagnotte commune à des fins inavoués. Mais Patrice Pamousso, rassure en ces termes : « Il faut que les populations sachent que les mutuelles de santé ne sont pas un domaine où on peut les arnaquer. Qu’elles fassent confiance aux responsables, parce que nous voulons faire en sorte que la mutualité puisse être incontournable dans notre pays ».

De fausses ordonnances dans le circuit

La sexagénaire, Zénabo Sakandé, a cheminé une année seulement avec la mutuelle Laafi La Bumbu de Poa, avant de la quitter, sous prétexte qu’elle n’a pas consommé sa cotisation. Une mauvaise perception qui gagne du terrain. Fanta Zongo, une autre mutualiste, a aussi rompu les liens avec sa mutuelle, pour les mêmes raisons. Sa malchance est que l’année suivante, elle est tombée malade et a dépensé plus de 10 000 FCFA pour les soins. Depuis lors, elle a réintégré la mutuelle et paie régulièrement ses cotisations. En la matière, certains adhérents, de l’avis de la responsable de la mutuelle de Poa, font tout pour reprendre leurs frais, afin de rentabiliser leur adhésion, quitte à user de fausses ordonnances.

Elle dénonce cette pratique indécente, également condamnée par des agents de santé. Casimir Kambou, du CSPS de Nayalgué, avoue qu’à partir du moment où ces agents ont prêté serment, il est de bon aloi, qu’ils se démarquent de tels actes. De plus, s’indigne-t-il, la conscience professionnelle oblige chaque agent de santé à accomplir ses tâches correctement. L’esprit de la mutuelle de santé n’est pas bien compris par tous. Le responsable à l’information de la mutuelle de Sabou, Henri Kabré, se souvient lors d’une sensibilisation où un chef de famille a fait savoir comment un individu peut-il confier son argent à une autre personne et le récupérer sous forme de produits pharmaceutiques en cas de maladie? Des propos qui ne réjouissent pas le mutualiste Abdoulaye Zongo. D’après lui, c’est par manque d’argent que les gens contournent les CSPS.

« J’ai un enfant qui était fréquemment hospitalisé. Mais depuis que je suis devenu mutualiste, l’enfant n’est plus tombé malade», s’enthousiasme-t-il. Rosine Yaméogo et Cécile Yaméogo, reconnaissent l’utilité des mutuelles, pour avoir bénéficié de leurs aides. « J’étais malade et avec une ordonnance de près de 1 500 F CFA, je n’ai payé qu’une modique somme de 350 F CFA », affirme dame Cécile. Le trésorier de Koudougou déplore le fait que beaucoup de mutualistes ne savent pas l’utilité de leur carte. Ils l’abandonnent à la maison, plutôt que de se présenter dans les centres de soins munies de ce document. En plus de cela, certaines personnes ne sont pas au courant de l’existence des mutuelles.

Le SP du RAMS/BF, Patrice Pamousso : « Si nous voulons inclure les officines privées, il faut que la cotisation soit revue à la hausse ».

Sont de celles-là, Mariam Kouanda, concasseuse de granite à Koudougou et le jeune soudeur Maxime Thieno. Le Burkina enregistre environ 36 mutuelles communales de santé appuyées par le RAMS/BF et trois unions régionales de mutuelles de santé, à savoir le Centre-Nord, le Centre-Ouest et les Hauts-Bassins. La région du Centre dispose également de plusieurs mutuelles de santé. Le secrétaire permanent du réseau, Patrice Pamousso, note qu’en fin décembre 2020, plus de 20 mille bénéficiaires ont été enregistrés. Cerise sur le gâteau, il déplore le faible taux de recouvrement des cotisations, compris entre 40 et 50%. Cette réticence, selon lui, est due au déficit céréalier, les attaques terroristes, les mentalités rétrogrades, l’absence de formation de gestionnaires et d’accompagnement de l’Etat en termes de garantie des cotisations.

Pour le président Hyppolite Sinaré, la difficile appropriation des principes mutualistes par les populations est liée à l’analphabétisme. Il propose une implication des autorités communales, coutumières et religieuses. Le maire de Koudougou, Maurice Moctar Zongo souligne que si les responsables des mutuelles attendent des mairies pour inciter les populations à plus d’adhésions, qu’ils viennent vers elles, leur exprimer leurs attentes et sur décision du conseil municipal, elles verront quel type de partenariat nouer. Le gérant de dépôt Issa Zongo plaide pour la création des comités de base dans chaque village, les former et les motiver financièrement, afin qu’ils sensibilisent les populations. Le MCD de Sabou, Dr Yaya Sourabié, préconise plutôt, qu’il y ait des responsables au niveau local, dynamiques, consensuels et prêts à travailler sur la base du volontariat.

Des mutuelles démunies

Contrairement à certains mutualistes et agents de santé qui pensent que la gratuité des soins impacte en partie sur les mutuelles, d’une part, et que l’opérationnalisation de l’Assurance maladie universelle (AMU) risque de les plomber, d’autre part, le directeur général (DG) de la Caisse nationale d’Assurance maladie Universelle (CNAMU), Dr Yves Kinda, prévient que l’assurance universelle ne travaillera qu’avec les mutuelles de santé et elle accompagnera 61 communes au titre de l’année 2021. Cette opérationnalisation, indique-t-il, va renforcer les mutuelles.

Le major du CM de Poa, Idrissa Sawadogo : « Il nous arrive de prioriser le côté social, en donnant souvent des soins à un mutualiste qui n’est pas à jour ».

« Avec l’AMU, la stratégie est basée à 100%. Nous prenons en charge en priorité les indigents et nous les obligeons à adhérer d’abord à une mutuelle», clarifie-t-il. Dr Kinda fait remarquer qu’il y a des mutuelles qui se créent et qui ne sont pas en règle avec les textes. Et dorénavant, avec le répertoire des mutuelles, il annonce que toutes celles qui ne seront pas en règle seront rappelées à l’ordre. « Une mutuelle qui n’a qu’une vingtaine d’adhérents n’est pas une mutuelle. Si elle est en règle, elle bénéficiera des prestations de l’AMU et si elle ne l’est pas, elle sera exclue », prévient-il.

Par ailleurs, en dehors des frais de fonctionnement qui sont fixés à 45 mille FCFA par trimestre, que le RAMS/BF donne aux mutuelles, il n’y a aucune autre source de financement. Du coup, il est difficile d’assurer le fonctionnement des mutuelles. La trésorière de la mutuelle de Poa, Salimata Sana, dévoile que Laafi La Bumbu devait 40 mille FCFA de factures impayées à la SONABEL. En déduisant cette somme des frais de fonctionnement, il ne reste que 5000 F CFA dans la caisse. Le secrétaire permanent signale que la mutualité est l’expression des populations et le rôle du RAMS se limite à l’appui conseil qu’il apporte aux mutuelles, les formations et la tenue des assemblées générales. « Nous les mettons en relation avec les autorités locales, pour que le conseil municipal puisse prendre en compte leurs préoccupations dans le Plan communal de développement (PCD) », ajoute M. Pamousso. Les mairies sont conscientes des maux qui accablent les mutuelles.

Le Secrétaire général (SG) de la mairie de Sabou, Issa
Tiendrébéogo, souligne qu’étant donné que leur budget est réglementé, la mairie ne prend pas en compte ces mutuelles. « Nous ne disposons pas d’un arrêté formel, ni des textes qui permettent à la collectivité de leur trouver des fonds. C’est la raison pour laquelle nous sommes un peu réticents », justifie-t-il. La mairie de Koudougou a déjà mis à la disposition de la mutuelle Laafi Nooma, un siège et parrainé certaines personnes vulnérables. Autant d’exemples de partenariat pour inciter la population à l’adhésion aux mutuelles. Le DG de la CNAMU affirme que le gouvernement est actuellement dans une politique, qui consistera à créer une mutuelle par commune. Pour les prochaines élections municipales, il y aura un cahier de charges, selon lui, avec pour obligation, de créer ou de rendre viable une mutuelle.

Afsétou SAWADOGO

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