Chute de Alpha Condé : « Les Guinéens vont bientôt déchanter », Asseghna Somda du CGD

Depuis la destitution du président Guinéen, Alpha Condé, par le Groupement des Forces spéciales dirigé par le Colonel Mamady Doumbouya, le 5 septembre 2021, une nouvelle page politique s’est ouverte sur le pays. Dans cette interview, le chargé de programmes du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), Asseghna Somda, revient sur les tenants et aboutissants de ce coup de force condamné par la communauté internationale.

Sidwaya (S) : Quelle appréciation faites-vous du coup d’Etat intervenu en Guinée Conakry, le 5 septembre 2021 ?

Asseghna Somda (A.S.) : C’est une situation que nous avons suivie de bout en bout jusqu’à ce que le coup d’Etat survienne. Au CGD, nous voyons cela comme une déstabilisation des institutions, une remise en cause des principes démocratiques, parce qu’en démocratie, il n’y a qu’une seule véritable voie d’accès et d’exercice du pouvoir, celle des urnes. Le pouvoir démocratique n’est légitime que lorsqu’il est l’émanation de la volonté populaire exprimée à travers un scrutin libre, transparent et crédible. Toutefois, on pourra épiloguer, tenter de comprendre pourquoi ce coup de force est advenu parce que dans l’exercice du pouvoir, il arrive que ceux qui le tiennent réunissent des conditions qui finissent par expliquer l’avènement d’une telle situation.

S : Y avait-il des signes précurseurs ?

A.S. : Bien entendu, il y avait des signes précurseurs ! Alpha Condé, le grand démocrate qui a inspiré tant de combattants dans la lutte pour l’enracinement de la démo-cratie en Guinée et partout en Afrique a fini par doucher les espoirs de tous ceux qui le voyaient comme un modèle depuis sa vie estudiantine jusqu’à son engagement politique. Donc, voir cet opposant arriver au pouvoir en 2010 et se mettre à reproduire les mêmes pratiques qu’il avait dénoncées, cela a déçu plus d’un. Pour notre part, dans l’exercice du pouvoir, l’alternance est un principe démocratique. Donc, le fait qu’il se soit battu pour un 3e mandat, à travers le changement de Constitution, a été le mandat de trop. Pour un démocrate de sa trempe qu’il était supposé être, il a foulé aux pieds sa propre parole. Or, un dirigeant c’est aussi cette capacité à faire rêver son peuple, à lui faire des promesses et à les tenir. Lorsqu’on en vient à ne pas pouvoir les respecter, on finit par réunir les conditions pour sortir par une malheureuse porte comme celle qui s’est dessinée en Guinée. Quand on viole le principe de limitation des mandats acté dans la Constitution, on ne peut qu’arriver à une telle situation. Le président Condé n’a pas pu donner une bonne clé de répartition des richesses du pays pour soulager les souffrances des populations qui, pourtant vivent avec des ressources minérales énormes.

S : Peut-on dire que l’histoire se répète au pays de Sékou Touré ?

A.S. : L’histoire se répète, mais un peu différemment. Le coup d’Etat de Lassana Conté après la mort de Sékou Touré s’explique par le fait qu’ils n’ont pas respecté la succession constitutionnelle. Le deuxième coup d’Etat, c’est quand Lassana Conté est décédé et que Dadis Camara a pris les rênes du pouvoir. Mais ce troisième coup d’Etat est un peu différent des autres, parce que le président en exercice n’est pas décédé. Mais toujours est-il que c’est le même impact sur les institutions à savoir que cela renvoie à une remise à plat. Dissoudre la Constitution vous met dans un Etat d’exception et c’est aux antipodes de l’Etat de droit.

S : L’action des militaires est-elle la solution à la crise sociopolitique en Guinée ?

A.S. : Malheureusement non. Pour le moment, les populations expriment leur joie mais ils vont déchanter bientôt. Pour avoir l’adhésion des populations, il y a des promesses qui sont faites. Les régimes militaires qui font les coups d’Etat n’ont pas pu toujours apporter des solutions aux problèmes et aspirations des populations. Pour un départ, le peuple peut croire aux promesses. Dans sa déclaration à la télévision, le chef des putschistes parlait de la répartition des richesses. Aujourd’hui (hier 6 septembre, ndlr), il rassurait les sociétés minières que toutes les conventions seront respectées, alors qu’elles sont à la limite des contrats léonais, c’est-à-dire déséquilibrés, au point que la part du lion revienne aux entreprises minières. Et lorsqu’il les rassure qu’il va respecter toutes ces conventions, on se demande où il aura toutes ces richesses pour les répartir entre les fils et filles de la Guinée, conformément à sa promesse ? On sent des militaires un peu volontaristes mais entre hier et aujourd’hui déjà, je sens un rétropédalage par rapport à la question des richesses. Pourtant, les régimes d’exception sont les moments propices pour opérer des réformes structurantes dans de tels secteurs.

Si vous sortez de cette période, vous rentrez dans la régularité et il est difficile d’imposer à ces multinationales un certain nombre de principes, parce qu’elles vont toujours évoquer vos conventions, les lois communautaires, etc. Il ne s’agit pas de faire l’apologie des Etats d’exception où il n’y a aucune garantie en matière de protection des droits humains, mais, un régime d’exception peut profiter de cette période de vacuité juridique pour toucher un secteur stratégique, comme celui des mines afin de restructurer et faire une mise à plat des contrats.

S : Ce coup d’Etat n’est-il pas un avertissement pour les présidents qui aspirent au 3e mandat ?

A.S. : Oui je confirme. Ça veut dire que nul n’est à l’abri. Aucun pays n’est à l’abri. Tout président qui sera tenté par un troisième mandat doit se dire qu’il ouvre la perspective d’un coup d’Etat dans son pays. J’écoutais les condamnations et cela me faisait rire, que ce soit la CEDEAO, l’Union africaine, l’ONU, etc. Quand il voulait violer la Constitution, il n’y avait personne pour lui dire de ne pas poser cet acte. C’est comme si on a fait un coup d’Etat à un putschiste. En droit, on dit que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Ce qu’il a fait, c’était en violation de la Constitution et on vient lui faire un coup d’Etat. C’est malheureux, mais c’est pour dire que le virus des troisièmes mandats est en train de reprendre du poil de la bête et en même temps, il y a une recrudescence des coups d’Etat. Ce qui s’est passé en Guinée doit dissuader ceux qui sont tentés par un troisième mandat. Il faut que nos dirigeants se comportent de sorte à ne pas donner la possibilité à quelqu’un de déstabiliser nos institutions, parce que si c’était un régime qui était dans une certaine légalité, légitimité, les populations au lieu de se réjouir allaient être dans une logique de résistance. Je lance donc un appel aux chefs d’Etat à respecter leur parole et les lois. Cela va nous permettre d’éviter certaines situations.

Au-delà du respect de la Constitution, il y a la bonne gouvernance. Dans le cas de la Guinée, l’opposition a boycotté les élections et n’est donc pas représentée dans les institutions. Si la principale force politique n’est représentée nulle part, on réunit les conditions pour que l’opposition aille frapper aux portes des casernes comme pour dire : sortez et aidez-nous ! Mais si vous avez une opposition républicaine qui est représentée dans les institutions comme le Parlement, cela vous permet de mieux la contrôler. Dans un pays, même si vous respectez la Constitution, la mal gouvernance et la gabégie finissent par justifier des coups d’Etat au-delà de la question du virus des troisièmes mandats. C’est donc un appel à tous les dirigeants de faire de la bonne gouvernance, la clé de l’exercice de leur pouvoir.

S : Le colonel Mamady Doumbouya et ses hommes sauront-ils jeter les bases d’une véritable démocratie en Guinée ?

A.S. : C’est du wait and see (affaire à suivre, ndlr) ! Parce que j’ai vu des putschistes avec de très bonnes intentions, mais les espoirs qu’ils ont suscités au départ ont été tout de suite douchés par des velléités autoritaires de conservation du pouvoir. Ils ont fini par démontré qu’ils ont un appétit très vorace par rapport au pouvoir et parfois même, pire que ceux qu’ils ont chassés. Cela fait que je me retiens pour le moment et j’attends de voir la composition du gouvernement. A ce moment, on verra les forces avec lesquelles ils vont composer et s’ils vont jeter les bases d’une commission constitutionnelle et comment elle sera composée. C’est à l’exercice de tout cela, qu’on pourra clairement déceler si cette unité spéciale a de bonnes intentions ou s’il s’agit d’intentions au rabais comme certains autres putschistes ont pu le démontrer.

S. : Les condamnations de la communauté internationale changeront-elles la donne ?

A.S. : Je suis désolé, mais c’est déjà trop tard. Le coup d’Etat est consommé parce que le colonel Doumbouya a appelé aujourd’hui, (hier 6 septembre, ndlr), tous les ministres et présidents d’institutions et ils ont tous répondu présents. C’est une reconnaissance de son autorité si l’on sait que ces hauts dignitaires pouvaient résister. Par exemple en 2015, avec le coup d’Etat du général Gilbert Diendéré au Burkina Faso, il a convoqué une réunion à Kosyam mais ceux qui ont répondu n’étaient pas nombreux, alors que c’était la même menace. Pour moi, si les ministres guinéens ont répondu présents, c’est une allégeance aux nouvelles autorités. La communauté internationale est loin des problèmes de gouvernance démocratique auxquels les peuples font face. Elle est parfois en déphasage, parce qu’il est très facile d’appeler au rétablissement de l’ordre constitutionnel alors qu’on aurait pu appeler Alpha Condé en 2020 au respect de l’ordre constitutionnel. C’est cela qui aurait été cohérent. Cette situation met la communauté internationale dans l’embarras et il s’agit de condamnation de principe, parce qu’aucun représentant d’une institution internationale ne sortira pour applaudir un putsch. Cela est normal, parce qu’il y a des instruments juridiques internationaux, régionaux et sous régionaux auxquels nos pays ont souscrit et dans lesquels instruments, nous promettons de ne pas accepter l‘accession au pouvoir par la force, les coups d’Etat. Si ces institutions veulent éviter les coups d’Etat, il faut pousser les présidents en exercice à respecter les principes de l’alternance et les chartes de bonne gouvernance. C’est l’un des moyens pour mettre fin aux putschs, parce qu’aucun militaire n’aura un argument pour le faire.

S : Comment voyez-vous l’avenir démocratique de ce pays ?

A.S. : Je ne me fais pas d’illusion sur un quelconque retour de Alpha Condé aux affaires. Il faut simplement faire en sorte que les putschistes mettent en place un gouvernement assez inclusif qui prenne en compte les forces déchues, celles de l’opposition et la société civile. Il faut également mettre en place une commission constitutionnelle inclusive avec pour principe de travail, le consensus afin de générer cette fois-ci un texte qui fait l’unanimité. Alpha Condé avait fait adopter une Constitution qui est celle de la majorité présidentielle de l’époque et non une Constitution pour tous les Guinéens. Elle aura l’avantage de s’inscrire dans la durée, parce que l’ensemble des forces vives se reconnaîtront dans cette loi fondamentale qui va être élaborée. Il faut surtout un référendum sur la Constitution mais aussi que des élections soient tenues dans un délai raisonnable pour passer le pouvoir à des autorités civiles légitimement élues par les populations. A côté de cela, il faut des réformes audacieuses dans plusieurs secteurs sans oublier l’organe de gestion des élections, la CENI qui est totalement déséquilibrée. Il faut réformer toutes ces institutions pour les rendre inclusives, afin que l’ensemble des forces y soient représentées. Il faut s’assurer que les élections qui vont se dérouler, seront impartiales, crédibles et transparentes pour ramener la Guinée dans l’ordre constitutionnel et dans le concert des Nations. La conséquence directe de ce putsch, c’est que la Guinée sera suspendue des institutions internationales, régionales et même sous régionales. Il reste à travailler à renouer avec ces institutions par la confiance que la junte pourra inspirer auprès des acteurs internationaux, en prouvant que ce coup d’Etat n’a pas été fait par soif de pouvoir ou par vengeance, mais qu’il a été perpétré avec des raisons assez objectives. C’est à ce prix, que la Guinée pourra renouer avec le concert des Nations et reprendre son illustre place qu’elle avait occupée au temps de Sékou Touré qui s’était montré intransigeant contre un certain nombre de phénomènes, notamment l’impérialisme. C’est également à ce prix, que les Guinéens pourront se sentir dignes fils de Sékou Touré, même si on l’appelait le héros et en même temps le tyran.

Interview réalisée

par Soumaïla BONKOUNGOU

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