Promulguée par décret présidentiel le 31 décembre 2024, la loi n°045-2024/ALT interdit désormais la production, l’importation, la commercialisation, la distribution, le stockage, la détention et l’utilisation des emballages et sachets en plastique à usage unique ou jetables au Burkina Faso. Dans la ville de Dédougou, à côté de la mise en œuvre progressive de cette loi qui vise à lutter contre le péril plastique, plusieurs acteurs composés de déplacés internes, mais aussi de populations hôtes font de la collecte et de la vente des déchets plastiques, leur gagne-pain quotidien. Cette activité, en plus de générer des ressources financières pour cette couche de la population et les acheteurs, contribue à assainir le cadre de vie, à protéger l’environnement et par conséquent, à accompagner la mise en œuvre de la loi 045. Reportage !
Il sonne 11 heures 05 minutes, ce mardi 1er juillet 2025, lorsque nous traversons le centre-ville de Dédougou. De passage, nous apercevons un enfant d’une dizaine d’années qui trimballe avec lui, un sac. A l’intérieur, il y a des sachets plastiques et autres objets en caoutchouc. Nous l’accostons. Après quelques minutes d’échanges, la confiance s’installe entre nous. Il part monnayer le fruit de son labeur recueilli çà et là dans les poubelles de la cité de Bankuy. Nous décidons de faire chemin ensemble. Quelques minutes plus tard, nous voilà dans une cour. Un comptoir d’achat de tout objet en plastique. Le produit est pesé à 50 F CFA le kilo par le détenteur des lieux.

Le petit Hamza, puisque c’est ainsi qu’il s’appelle, n’a que quatre kilogrammes de sachets plastiques qui lui reviennent à 200 F CFA. Ce n’est pas grand-chose, mais cette somme donne une joie immense au jeune garçon. Déplacé d’un de la province du Sourou (Tougan) à Dédougou, il collecte les déchets plastiques pour contribuer à ses besoins, et soutenir sa mère. « Maman est sortie très tôt ce matin à la recherche de petits travaux ménagers », indique-t-il. Le détenteur du comptoir, Pierre Daboué, exprime une admiration pour son fournisseur habituel. « Ils sont nombreux ces enfants qui viennent me livrer la marchandise. Mais ce petit est un garçon qui se bat. Je suis convaincu que d’ici ce soir, il va revenir avec du plastique », loue-t-il.
« Un gangne pain »
Tout comme Hamza, ils sont plusieurs personnes composées de populations hôtes et déplacés internes de la ville de Dédougou, à se faire de l’argent avec le plastique. C’est le cas de Mariam Konkobo que nous retrouvons un peu plus tard devant un autre site d’achat. Bébé au dos, cette dame d’une trentaine d’années ne baisse pas les bras face à la situation qu’elle traverse. Ayant quitté son village dans la commune de Yé, province du Nayala (Toma) en 2023, à la suite de l’insécurité, elle trouve gîte et couvert à Dédougou. En plus de collecter des sachets, elle ne rejette aucun travail ménager.
Son seul but, c’est d’avoir quelques sous pour s’occuper de sa progéniture. En tous les cas, rassure-t-elle, ses trois enfants auront toujours quelque chose à se mettre dans le ventre. Contrairement à cette dernière, Antoinette Kientéga gagne principalement sa pitance dans le plastique. Elle est employée comme trieuse dans un autre comptoir d’achat dont le cadre est plus amélioré. Là-bas, les sachets et objets en plastique sont broyés et conditionnés dans des sacs pour être ensuite exportés hors de la région. Depuis 9 ans, elle vit à Dédougou. « Je suis venue de Bindougou dans la commune de Sanaba (province des Banwa) après le décès de mon époux », laisse-t-elle entendre d’une voix tremblotante. A Dédougou, elle se retrouve seule à supporter les charges de ses enfants.
« Au départ, j’avais eu une portion de terre sur laquelle je pratiquais l’agriculture. En plus, je travaillais comme contractuelle dans les champs des producteurs », se souvient-elle. Mais, il y a trois ans de cela, raconte-t-elle avec amertume, son bienfaiteur d’autrefois lui a retiré son champ. Place à des petits travaux ménagers dans la ville, jusqu’à l’obtention de cet emploi dont la rente journalière est de 1 000 F CFA. Ce gain permet à dame Kientéga de se mettre à l’abri du besoin. « Certains vont croire que 1 000 F CFA, c’est peu. En remarquant que je me bats de mon côté, des personnes de bonne volonté me soutiennent, surtout pour la scolarité de mes deux enfants », révèle-t-elle.
Assainir la ville de Dédougou
Salimata Sana, elle, est employée récemment sur ce site. Cette dame de 26 ans
est mère de trois enfants. Venue de la province du Nayala, depuis 2023, à la
suite d’incursions terroristes, elle vit avec son époux à Dédougou. « Mon mari travaille souvent comme manœuvre. Avec ce que je gagne, j’arrive à combler mes petits besoins. S’il me donne aussi, c’est un plus », ironise-t-elle. Sa collègue, Bénite Coulibaly, ne dira pas
le contraire. Originaire de Dédougou, elle s’est séparée de son mari. Depuis 5 ans, le plastique fait son bonheur.
D’un âge avancé, elle a abandonné le marché où elle faisait ses petits commerces pour se consacrer à ce travail. D’ailleurs, indique-t-elle, elle n’a plus un petit enfant à sa charge. Elle salue au passage l’ambiance qui règne dans le comptoir d’achat. « Nous nous entendons très bien ici », reconnaît-elle. Et à leur patron, Mahamoudou Sanogo, de confirmer ses propos : « les femmes vivent ici en famille. S’il y a un malentendu, je les réunis et une solution est vite trouvée ». M. Sanogo dit sa fierté d’être utile à ces femmes qui sont dans le besoin. « C’est 1 000 F CFA, la paie journalière. Ce n’est
pas une forte somme.

Mais visiblement, elles sont heureuses de ce qu’elles gagnent », précise-t-il. Pour lui, en plus de faire des affaires, leur action contribue à assainir la ville de Dédougou et même au-delà. « Nous avons des collecteurs un peu partout dans la région », nous confie-t-il. Ces propos sont corroborés par le chef de service des ressources en eau, d’hygiène, d’assainissement et de la préservation de l’environne-ment de la commune de Dédougou, Basile Dioma. En effet, précise-t-il, la collecte des sachets vient accroitre les efforts de la mairie dans la création d’un cadre de vie sain. « Nous reconnaissons à sa juste valeur leur travail. La collecte et la transformation des sachets en plastique contribuent à la propreté de notre ville », indique-t-il. Seulement, Basile Dioma regrette que ces femmes n’aient pas souvent le matériel nécessaire à cet effet. « L’accompagnement de la commune à leur endroit se limite à l’appui-conseil. Sinon, les femmes qui évoluent en association reçoivent un accompagnement en matériel », laisse-t-il entendre.
Accompagner la loi 045
Le 30 décembre 2024, l’Assemblée législative de Transition adoptait la loi n°045-2024/ALT portant sur les emballages et sachets en plastique au Burkina Faso. Et dès le lendemain, un décret du président du Faso promulguait cette loi. Il était accordé aux acteurs une période de six mois, c’est-à-dire jusqu’au 9 juillet 2025, pour s’y conformer. Pour les acteurs de collecte des déchets plastiques, leur « business », en plus de leur procurer des revenus, contribue à assainir la ville en le débarrassant des sachets et autres plastiques usés. C’est le cas de Mahamadou Sanogo, acheteur. Il souhaite surtout que des initiatives
de transformation de cette matière soient développées.
« Si les déchets plastiques sont valorisés, les femmes vont collecter, nous allons acheter et enfin les villes resteront propres », suggère-t-il, promettant de se soumettre aux dispositions de la présente loi. Mariam Konkobo qui fait la lessive et des travaux dans les champs durant la saison des pluies, en plus de la collecte des sachets, salue cette décision qui, à son sens, n’est pas sans intérêt. « Nous avons appris que certains sachets

constituent un danger pour notre environnement », estime Mme Konkobo. Quant à Pierre Daboué, il estime que cette mesure ne portera pas un coup à son activité. « La grande partie de mon activité concerne les seaux, plats et tout objet en plastique, pas uniquement les sachets. J’achète aussi de la ferraille », lâche-t-il. Au passage, il pense que la loi est adoptée dans un souci de préserver le cadre de vie des Burkinabè.
Les éventuelles inquiétudes des acteurs relèvent plutôt d’une incompréhension de la loi, foi du Directeur provincial (DP) de l’eau et de l’assainissement de l’environnement du Mouhoun, Ismaïla Traoré. L’interdiction en question, détaille-t-il, ne concerne pas les emballages des eaux, les objets en plastique comme les seaux, les bidons, les tentes. Au terme de la présente loi, indique-t-il, ce qui est interdit ce sont les emballages et sachets en plastique à usage unique et jetables. Mais également ceux inférieurs à 70 microns, facilement transportables par le vent. Il s’agit des sachets équivalents à ceux de 5, 10, 25 et 50 F CFA que l’on trouve sur le marché. Et de préciser qu’au-delà de ces interdictions, il y a des mesures de dérogation qui sont prévues et des textes règlementaires sont en cours d’élaboration.
La sensibilisation des acteurs en cours
Pour que la bonne information parvienne aux acteurs, la direction régionale de l’eau et de l’assainissement de l’environne-ment, en collaboration avec
des associations, mène des actions de sensibilisation à la population. A la faveur de la Journée mondiale de l’environnement célébrée au Burkina Faso en juin 2025 autour du thème : « Lutte contre le sachet plastique », indique le directeur provincial chargé de l’environnement, une conférence publique a été animée au profit d’autorités, de leaders coutumiers et religieux ainsi que de la population de la région. Elle a permis, selon lui, de partager avec les participants, les grandes lignes de la loi 045, les techniques de tri et de recyclage.

Egalement, poursuit M. Traoré, la direction participe à des sessions de certaines délégations spéciales et profite de ces occasions pour mener des sensibilisations. Comme actions, ajoute-t-il, plusieurs usagers des emballages ont été rencontrés, notamment les boulangers, les pharmaciens, les libraires et les commerçants. L’objectif étant de les informer et les orienter afin que le changement de comportement soit une réalité. Il se réjouit d’ailleurs du fait que la population, consciente déjà des effets néfastes des sachets, adhère aux dispositions de la loi. « Nous n’avons pas encore rencontré de résistance sur le terrain. Les utilisateurs et vendeurs promettent de se conformer », laisse-t-il entendre.
En perspectives, les équipes de la direction régionale chargée de l’environnement entendent poursuivre les actions de sensibilisation et comptent sur l’accompagnement de
la population pour un environnement sain, débarrassé de sachets et d’emballages en plastique. L’association Bankuy vert qui se donne pour mission de contribuer à accroitre l’engagement citoyen afin d’assurer à la population un environnement sain a décidé d’attaquer le mal par la racine. Pour lutter contre la pollution du plastique, elle a mis en place le Club des enfants, un cadre qui permet de renforcer les capacités des tout-petits sur la préservation de l’environnement. « Plus les enfants ont la bonne information, plus ils pourront les transmettre facilement à leurs parents. Aussi, ils grandiront avec le bon réflexe et les bonnes pratiques de préservation de leur cadre de vie », foi du président de Bankuy vert, Lamoussa Aristide Kondé.
Adama SEDGO
Ce que dit la loi 045
Article 4 : Sont interdits la production, l’importation, la commercialisation, la distribution, le stockage, la détention et l’utilisation des emballages et sachets en plastique à usage unique ou jetables.
Sont interdits la production, l’importation, la commercialisation, la distribution, la détention, le stockage, l’utilisation des emballages et sachets en plastique de moins de 70 microns.
Sont également interdits, l’abandon, le dépôt, le déversement et le brûlage des emballages et sachets plastiques.
Article 7 : Nonobstant l’interdiction prévue à l’article 4 ci-dessus, les emballages en plastique produits localement ou importés en vue du conditionnement direct des produits industriels ou manufacturés sont autorisés, au profit des entreprises industrielles.
Les types, les normes et les caractéristiques des emballages en plastique visés par l’alinéa 1 ci-dessous sont précisés par voie règlementaire.
Article 8 : Nonobstant les interdictions prévues à l’article 4 ci-dessus et sans préjudice des dispositions de l’article 7, la production, l’importation, la commercialisation, la distribution ou la détention des emballages en plastique à des fins de santé publique, de recherche scientifique et expérimentale, de production des plants, de sécurité et sureté nationales sont autorisées.
Les conditions d’obtention de l’autorisation à des fins de santé publique, de recherche scientifique et expérimentale, de sécurité et de sûreté nationales sont déterminées par voie règlementaire.
A.S
Source : Loi n°045-2024/ALT du 30 décembre 2024