Commande publique de mobilier de bureau : les artisans burkinabè, les grands oubliés

Le marché du mobilier au Burkina Faso, dont l’administration publique est grande consommatrice, représente environ 36 milliards F CFA chaque année. Une manne qui échappe aux artisans burkinabè alors que la qualité de leurs meubles n’est plus à démontrer.

« Grâce à la convention signée entre la CMA-BF et l’AFP/PME, l’accès aux financements dans le cadre de la commande publique est prise en charge par notre structure », a rassuré le DG de l’AFP/PME, Honoré K. Kietyeta.

En plein cœur du quartier Samandin, dans la ville de Ouagadougou, le showroom de PRECIMET, une entreprise spécialisée dans la confection de mobilier de bureau, offre un bel aperçu du savoir-faire des artisans burkinabè. Les échantillons exposés témoignent de l’ingéniosité et de la dextérité de son manager, Bertrand Ima et de ses hommes. Armoires de rangement, bureau-standard, bureau directeur, des salons en cuir meublant généralement le cadre de travail des directeurs généraux et hauts cadres de l’administration publique offrent un merveilleux décor où qualité et beauté des œuvres se conjuguent harmonieusement. « Depuis le début de l’année (ndlr : 2021) je n’ai livré qu’un seul bureau et un fauteuil-directeur. Comme vous pouvez le constater, le potentiel est là. Mais, il ne manque que la confiance en nos produits », se lamente Bertrand Ima, le regard hagard, à la recherche d’un improbable coupable. Dans toutes les contrées du pays des Hommes intègres, la capacité des artisans à confectionner du mobilier de bureau de qualité ne fait aucun doute. Pour s’en assurer, il suffit de faire aussi un tour dans les galeries Erimétal ou Sigma qui s’illustrent depuis plusieurs décennies déjà dans la fabrication artisanale de mobilier haut de gamme. Au hall d’exposition de Sigma, aux encablures de l’aéroport international de Ouagadougou, la qualité des spécimens exposés est frappante à vue d’œil. En plus du mobilier classique (ou ordinaire), la galerie Sigma propose du mobilier médical, confectionné dans les ateliers de l’entreprise. Sans être un expert du domaine, la robustesse des tables de consultation gynécologique ne laisse pas indifférent.

Un marché de 180 milliards FCFA !

Visiblement, cette créativité peine à se traduire en commandes venant de l’administration publique. Une investigation conduite par le ministère du Développement industriel, du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et moyennes entreprises a révélé que les importations de mobilier des Emirats Arabes Unis, de la Chine ou de l’Europe s’élèvent à 180 milliards FCFA, entre 2016 et 2020. Selon la même enquête, la majorité du mobilier importé se retrouve dans les services de l’administration publique. « Nous n’avons pas désagrégé les résultats de l’investigation, mais environ 80% des importations de mobilier est destiné à l’administration publique », estime le directeur général de la Chambre des métiers du Burkina Faso (CMA-BF), Seydou Tou.

Cette analyse est corroborée par le directeur général de l’artisanat, Séraphin Badolo. Celui-ci affirme sans rentrer dans le fétichisme des chiffres, qu’il n’y a pas un fort taux d’artisans concernés par la commande publique. Les acteurs évoquent plusieurs raisons pour expliquer cette situation. Le directeur général de l’artisanat pointe du doigt les textes contraignants de la commande publique et le faible niveau de formalisation des entreprises du secteur de l’artisanat. Pour participer à la commande publique, les entreprises doivent être immatriculées au registre du commerce, à jour de leurs cotisations sociales mais aussi de leurs obligations fiscales. A ce jour, il est d’ailleurs difficile de quantifier avec précision la contribution de l’artisanat au PIB national. La présidente de la CMA-BF, Germaine Compaoré, attribue la méfiance des autorités contractantes vis-à-vis des meubles locaux à une image erronée selon laquelle l’artisanat rime avec faible qualification et incapacité à produire en quantité, suivant des normes de qualité. « Nous voulons rassurer l’administration que ce n’est pas l’artisanat d’il y a 30 à 50 ans passés.

Changer la donne

Dorénavant, les produits artisanaux sont améliorés. Beaucoup d’artisans ont reçu des formations de pointe. Si vous leur faites confiance, vous allez voir que tout est faisable », insiste-t-elle. Le président de l’association des tapissiers du Burkina, Issa Tiendrebéogo, impute ce désamour pour les produits made in Burkina au coût jugé élevé des articles ainsi qu’aux retards dans les délais de livraison. Mais les griefs contre le monde artisanal ne sont pas insurmontables. En effet, la CMA-BF a réussi, depuis quelques années à décrocher des marchés avec certaines structures publiques. Sa présidente cite avec fierté les commandes de meubles de bureau livrés à La Poste Burkina, la mairie de Ouagadougou, celle de l’arrondissement 2, le conseil régional du Centre.

« Ils apprécient les produits que nous mettons à leur disposition », s’empresse-t-elle d’ajouter. Cette prise de conscience naissante s’est matérialisée au plus haut niveau de l’Etat par la signature d’un accord-cadre de coopération entre le ministère de l’Economie, des Finances et de la prospective et la CMA-BF, le 23 septembre 2021. Selon le directeur général de l’artisanat, Séraphin Badolo, pendant trois ans, cet accord va permettre à la CMA-BF de faire des propositions de biens et services dont les départements ministériels et les structures rattachées ont besoin pour leur fonctionnement. Par la suite, en fonction des besoins de chaque département ministériel, une convention opérationnelle va être signée. « L’accord-cadre vise à inverser la tendance actuelle, car les artisans ont des connaissances et les compétences avérées pour suppléer le fort taux de produits importés dans la commande publique », poursuit-il. En plus du mobilier de bureau, la convention concerne le matériel agricole, le mobilier scolaire, médical, les métiers à tisser et le domaine de l’habillement et textile. Pour le vice-président de l’association des tapissiers du Burkina, Hamidou Bagayan, l’accord- cadre négocié par la chambre des métiers était attendu depuis longtemps par le monde artisanal. « C’est un vrai soulagement pour nous.

La présidente de la CMA-BF, Germaine Compaoré : « il n’y a aucune crainte de ne pas être satisfait après une commande auprès de nos artisans ».

Cela fait mal de voir que la plupart des meubles de nos autorités soient venus de l’extérieur. Pendant ce temps, sur place au Burkina, nous avons les capacités de leur offrir le même produit », ajoute-t-il. L’association organise, depuis 2020, une foire d’exposition-vente de meubles pour mettre en lumière leur savoir-faire. L’accord-cadre s’inscrit dans la logique de la rationalisation des dépenses de l’administration publique. « En effet, même si un meuble fait artisanalement coûte cher à l’acquisition, en termes d’économie d’échelle, il est plus rentable. Car, il ne sera pas remplacé dans les deux ou trois ans suivant son acquisition, mais il est là pour toujours », soutient le DG de l’artisanat. Il n’est pas rare de retrouver dans les arrières-cours de certaines structures publiques ou dans leurs magasins, de véritables cimetières de meubles, attendant les opérations de vente aux enchères organisées par la direction générale des affaires immobilières et des équipements de l’Etat. Dans ces poubelles à meubles, on y retrouve généralement des fauteuils-directeurs brinquebalants, des chaises cassées, d’autres sans dossiers, des tables qui ne tiennent plus que sur 2 ou 3 pieds, des armoires entrouvertes envahies d’épaisses couches de poussière du fait d’un mécanisme de fermeture grippé. Ces détériorations prématurées, selon le vice-président de l’association des tapissiers du Burkina, Hamidou Bagayan, sont dues à la nature des matériaux inadaptés au climat tropical.

Privilégier l’intérêt général

Dans le processus de la mise en œuvre de la convention, la Chambre des métiers joue le rôle de maitre d’ouvrage délégué, faisant d’elle la garante de la qualité des œuvres à livrer. A ce titre, pour chaque marché, la CMA-BF recrute des experts qui suivent de bout en bout le processus de production et veillent au respect des caractéristiques définies par le client, rassure sa présidente. Le DG de la CMA-BF en appelle à la responsabilité de tous à privilégier l’intérêt général. « Lorsque l’on importe, cela veut dire que l’on se saigne pour avoir de l’argent, pour ensuite enrichir les autres. Alors que l’on pourrait faire travailler nos artisans. L’importation de mobilier fait environ 36 milliards FCFA par an. Imaginez que ce montant soit réinjecté dans l’économie nationale ! Cela va permettre de stabiliser les jeunes qui cherchent à faire l’exode rural et contribuer à réduire le recrutement de jeunes par les groupes terroristes », argumente Seydou Tou.

Surtout que l’initiative n’est pas inédite. Sous la révolution, la préférence était accordée aux meubles de bureau confectionnés localement. Cela avait, d’ailleurs, permis de propulser des sociétés comme SOMIMA, SOZARO ou OUBDA PLACIDE, mettant ainsi fin à la suprématie des sociétés d’intérêt français telles que POLETO, PEYRISSAC. Face à la forte volonté du ministère en charge de l’artisanat de repositionner les meubles artisanaux à une meilleure place dans la commande publique, la Chambre des métiers de l’artisanat se voit obligée de trouver une réponse à l’épineuse question de l’accès des artisans aux crédits et qui est susceptible d’occasionner des retards de livraison. « Nous avons réussi à convaincre certaines institutions financières qui acceptent accompagner les artisans pour faire face à leurs besoins de financement qui restent l’un des gros problèmes des artisans », révèle le directeur général de la CMA-BF. Parmi ces institutions financières, on peut citer l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME). Placée sous la tutelle technique du ministère en charge de l’artisanat, elle est chargée de promouvoir le développement des PME/PMI, à travers un meilleur accès au financement.

A ce titre, selon son ex- directeur général, Honoreì K. Kietyeta, l’AFP/PME a signé depuis 2015 une convention avec la CMABF. « A ce jour, nous sommes à près de 800 millions F CFA de crédits octroyés aux artisans membres de la CMA-BF dans le cadre de l’exécution de la commande publique », confie-t-il. Pour ce qui est des dossiers individuels, l’AFP/PME a octroyé des financements de 20 à 30 millions F CFA aux artisans qui sont dans le secteur du textile, les accessoires de luxe. Il y a donc un créneau de financement à saisir pour tous les artisans dans le mobilier de bureau, pour peu qu’ils acceptent de formaliser leurs entreprises. « Surtout dans le contexte d’ouverture des marchés, de nouveaux acteurs vont entrer dans ce segment. Ces acteurs qui ont des capacités managériales avérées pourraient créer des entreprises formelles, puis embaucher des artisans pour faire le travail. C’est pourquoi en plus du savoir-faire, les artisans doivent développer leurs capacités managériales pour garder l’avance sur les nouveaux concurrents », conseille Honoré K. Kietyeta.

Nadège YE

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