Commune rurale de Legmoin dans le Djôrô: le marigot sacré « Silome baa » crie au secours

Le chef traditionnel de Legmoin, Zore Dah : « dans le temps, nul ne pouvait pêcher ici sans autorisation du conseil des anciens. Il était interdit de se laver ou d’y jeter des ordures ».

Située dans la commune rurale de Legmoin, province du Noumbiel, région du Djôrô, le cours d’eau « Silome baa », qui signifie en langue Dagara « Le marigot où les biches ou les gazelles venaient s’abreuver », est le plus important de la localité. Réputée être un lieu sacré, cette rivière est aujourd’hui menacée de disparition du fait de l’action anthropique et des aléas climatiques. Reportage !

Il est 11 heures passées de quelques minutes, ce jeudi 18 septembre 2025 dans la commune rurale de Legmoin, dans la région du Djôrô. Le mil et le maïs expriment un besoin de soleil pour terminer leur croissance. « Silome baa », en langue Dagara, le marigot où les biches ou les gazelles venaient s’abreuver ou venaient achever leurs courses ou fuites lorsqu’elles étaient prises en chasse, présente des flaques d’eau
isolées, où sont érigés des murs de champs de maïs, de mil, de jardins de légumes. Pourtant, dans les temps immémoriaux, « Silome Baa », possédait des eaux claires qui serpentaient les champs, nourrissant les cultures, abreuvant les troupeaux, les animaux sauvages et servant de lieu de vie à toute une communauté.

Le PDS de la commune rurale de Legmoin, Dieudonné Ouaro, a plaidé pour un plan d’aménagement de la vallée de Silome Baa.

De mémoire d’homme, « Silome Baa » n’était pas une simple rivière mais une entité vivante, un patrimoine spirituel et économique, un repère autour duquel s’articulait la vie du village de Silome Dakon. Force est de constater que depuis quelques années, elle se meurt lentement, victime à la fois des effets du changement climatique et de
la perte progressive des pratiques traditionnelles qui lui servaient de bouclier. Silome Dakon, le village au paysage exceptionnel est constitué d’une plaine entourée d’une chaine de collines.

C’est une zone très favorable à l’agriculture. Cette année 2025, le ciel a ouvert ses vannes, la région est visiblement bien arrosée, de Diébougou jusqu’à Legmoin en passant par Gaoua. A cette période à Silome Dakon, les épis de mil sont en maturation. Certains champs de maïs ont été déjà moissonnés et d’autres sont en attente. Ainsi, l’hivernage terminait sa course pour laisser la place à l’automne, caractérisé par le jaunissement de certaines feuilles qui finissent par tomber.
« Silome baa » s’en va et ne connaîtra plus jamais le printemps, si rien n’est fait.

Une rivière au cœur de la vie communautaire

La rivière « Silome Baa » prend sa source dans les collines à l’Est de Legmoin, avant de traverser plusieurs hameaux de culture pour se jeter plus loin dans le bassin du Mouhoun. Longtemps, elle a constitué la principale ressource en eau pour la population locale. C’est le long de ses berges fertiles que les habitants ont développé des jardins maraîchers, cultivant des tomates, des oignons, des choux et de la salade pendant la saison sèche. « Sans Silome Baa, il n’y a pas de vie ici », confie le jardinier Gaëtan Somé, âgé d’une trentaine d’années, rencontré, les pieds dans la terre humide de son petit périmètre dans le lit de la rivière. « C’est grâce à ce marigot que je gagne ma vie.

Mais ces dernières années, l’eau disparaît trop tôt. On creuse des puits dans le lit, mais même là, parfois, on ne trouve rien », déplore-t-il. Gaëtan Somé reconnait avoir contribué à l’ensablement de la rivière. « Je suis né trouver que mes parents travaillaient au bord du

Le chef du service des Eaux et Forêts de Legmoin, le lieutenant Adama Tiendrebeogo : « les pratiques humaines aggravent la dégradation de Silome Baa ».

marigot et à notre tour, nous sommes dans le lit », rappelle le jardinier avant d’indiquer que l’avenir de leurs enfants est inquiétant. Même son de cloche chez Constantin Dah, cultivateur à Silome Dakon dans le lit de « Silome Baa ». « J’ai fait mon champ de maïs à l’intérieur du marigot parce que les récoltes ne sont plus bonnes ailleurs, car hors de la rivière, on ne gagne pas beaucoup, malgré que les eaux de ruissellement ramènent la terre cultivée dans la cuvette de la rivière », s’indigne-t-il.

Mais, il promet d’abandonner ce champ qui se trouve dans la rivière et de détruire les murs érigés, si cela peut contribuer à restaurer les lieux. Cette inquiétude, partagée par beaucoup d’habitants, trouve ses causes dans plusieurs phénomènes entremêlés : la baisse des pluies, la déforestation, les pressions agricoles et la transformation des valeurs sociales liées à la nature. Ces situations illustrent la tension entre besoins immédiats de survie et préservation à long terme des ressources naturelles. La croissance démographique dans la commune de Legmoin estimée à plus de 3 % accentue encore la pression sur les terres. Les terres cultivables deviennent rares, les jachères disparaissent et « Silome Baa » devient un espace de conquête.

Les signes d’un déséquilibre

Constantin Dah, cultivateur à Silome Dakon a déploré le fait que les eaux de ruissellement ramènent la terre cultivée dans la cuvette de la rivière.

Selon le chef du service des Eaux et Forêts de Legmoin, le lieutenant Adama
Tiendrebeogo, le problème ne vient pas seulement du changement climatique mais des pratiques humaines qui aggravent la situation. Beaucoup coupent les arbres sur les berges pour élargir leurs champs ou pour faire du charbon », a-t-il expliqué. Le ruissellement a changé, les mares se remplissent moins et les sources s’assèchent plus tôt. Cela détruit la végétation qui stabilise les sols et la rivière s’envase. En effet, autour de « Silome Baa », les grands karités et nérés qui ombrageaient jadis les berges ont presque disparu. Le vent transporte la poussière, les pluies, plus violentes et irrégulières, creusent des ravines. L’érosion emporte chaque année un peu plus de terre dans la rivière.

Entre interdits et désacralisation

Mais au-delà des facteurs écologiques, il existe une dimension culturelle souvent négligée. Autrefois, la rivière était considérée comme sacrée. Elle faisait l’objet d’interdits comme disent les anciens qui limitaient les activités autour de son lit.
« Dans le temps, nul ne pouvait pêcher ici sans autorisation du conseil des anciens. Il était interdit de se laver ou d’y jeter des ordures. Même les abattages d’arbres proches de la rivière étaient strictement réglementés par les coutumes. Nous croyions que Silome Baa avait son esprit. Si quelqu’un manquait de respect à la rivière, la pluie se faisait rare », relate le chef traditionnel de Silome Dakon, Zore Dah, avec amertume.

Mais avec la modernité, les migrations et l’affaiblissement des autorités coutumières, ces interdits ont perdu de leur force. Les jeunes, souvent scolarisés en ville, reviennent sans toujours comprendre la portée de ces règles ancestrales. Certains exploitants installent leurs champs jusque dans le lit de la rivière pendant la saison sèche, ignorant les conséquences.

Le jardinier Gaëtan Somé, « sans Silome Baa, il n’y a pas de vie ici ».

« Aujourd’hui, les gens disent que ce sont des croyances dépassées », regrette le chef, Zore Dah. Sur les lieux, une habitante, Rita Kambou, entrain de laver des condiments destinés à la vente, dit ignorer d’avoir contribué à l’ensablement de « Silome Baa ».

Une commune mobilisée mais démunie

Face à cette dégradation, les autorités locales tentent d’agir. Le préfet, Président de la délégation spéciale (PDS) de la commune rurale de Legmoin, Dieudonné Ouaro, souligne les efforts déjà entrepris tout en relevant que la commune, comme beaucoup de collectivités rurales du Burkina Faso, souffre d’autosuffisance de ressources. Selon le PDS de Legmoin, la protection de cet environnement est tellement primordiale pour les générations futures que c’est l’occasion d’interpeller tous les acteurs qui sont dans la production agricole.

L’objectif étant, pour lui, de pouvoir, un tant soit peu, respecter toutes les normes qui sont édictées lors des sensibilisations, afin que le milieu naturel qui existe dans la localité puisse être préservé au mieux et que la production puisse se faire dans de bonnes conditions. « Si rien n’est fait, dans dix ans, cette rivière ne sera plus que l’ombre d’elle-même.
Il faudrait donc un plan d’aménagement de la vallée de Silome Baa, avec la participation de tous les acteurs », plaide Ouaro Dieudonné. Le lieutenant des Eaux et Forêts Tiendrebeogo exige que les exploitants se retirent à 100 mètres comme l’indique la règlementation.

Entre mémoire et résilience

Pour les anciens, le cours d’eau « Silome Baa » reste aussi un lieu de mémoire et d’identité. Chaque année, avant la saison des pluies, les notables du village se réunissaient jadis pour demander de bonnes récoltes, de la santé et la paix. « Ce rituel symbolisait la reconnaissance envers la nature », raconte le chef Zore Dah. Renouer avec ces valeurs, c’est aussi une manière de rappeler à chacun que la rivière n’est pas seulement de l’eau : c’est notre vie, a-t-il ajouté. « Silome Baa » n’est pas seulement une rivière : elle est le miroir des défis que traverse tout le village de Silome Dakon, entre la survie quotidienne et

Le lit du cours d’eau remplit d’herbe

la préservation d’un patrimoine naturel et spirituel. Si elle venait à disparaître, c’est une part de l’âme de Silome Dakon qui s’éteindrait. Mais si la communauté parvient à unir ses forces, la rivière pourra redevenir ce qu’elle a toujours été : une source de vie, de mémoire et d’avenir.

Hubert BADO

 


 

Reboisement sur les berges de la rivière Silome Baa

Sous l’impulsion d’un des fils de Silome Dakon, résident à Ouagadougou, Jacob Dah, un nouveau projet
ambitieux vise à restaurer la rivière « Silome Baa » et ses berges sévèrement dégradées. Les activités humaines intenses, déboisement, culture dans le lit, érosion
ont profondément affaibli la ripisylve et fragilisé
l’écosystème fluvial. Face à cette situation, le projet décline plusieurs objectifs : replanter des essences locales adaptées aux berges (caïlcedrat, manguier,
jujubier, acacias…), renforcer la structure des sols
riverains pour limiter la reprise de l’érosion et
sensibiliser les communautés riveraines à des pratiques agricoles respectueuses des bandes tampon. C’est une démarche participative qui permettra d’associer les habitants non seulement comme bénéficiaires, mais comme acteurs. A terme, l’espoir est de retrouver une végétation stable, une biodiversité retrouvée et une rivière dont le lit et les berges repassent sous contrôle. Ce projet s’inscrit dans une logique de restauration environnementale et de résilience communautaire, un pas vers la réhabilitation de Silome Baa.

H.B.

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