Djibon de Dankoun : Des « dozos » du Centre sacrifient à la tradition

La procession vers l’autel est l'un des temps forts de la cérémonie.

Localité située sur l’axe Ouagadougou-Ouahigouya, Sambtenga a abrité, les 28 et 29 juin 2020, le rituel du « Dankoun » de la confrérie « dozo » de la région du Centre. La tenue de cette rencontre spirituelle dans le plateau moaga, en dehors de sa zone d’origine (Ouest du Burkina), est inédite. Immersion.

Venus des quatre coins du Burkina Faso, les « dozos » célèbrent, chaque année, le « Djibon de Dankoun », une cérémonie d’hommage aux ancêtres. Initialement prévue en février dernier et reportée pour cause de coronavirus, la manifestation s’est finalement tenue, les 28 et 29 juin 2020 à Sambtenga, village situé, sur la route nationale n°2, à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou.

En ce début d’après-midi du 28 juin, les « dozos », dans leur tunique officielle couleur kaolin avec un chemisier décoré de cauris, piqué d’amulettes et truffé de miroirs, envahissent déjà les lieux, coiffés de bonnets et le fusil en bandoulière. Les « Aniko-dansôgô » (marque de respect dans une confrérie) fusent de partout. Ils répondent à l’appel du « Djibon de Dankoun ». Cette cérémonie sacrée est une tradition qui se perpétue depuis la nuit des temps, selon l’un des grands maîtres et chefs spirituels de la cérémonie, Issa Sani Sanou. « Cette célébration rituelle est un hommage rendu aux ancêtres. C’est l’instant choisi pour leur témoigner notre gratitude pour l’année écoulée et renouveler des vœux à l’intention des dozos et de toute la nation.

C’est aussi l’occasion pour des particuliers de faire des sollicitations diverses soutenues par de bonnes intentions », explique-t-il. Il précise que la chair d’un animal sauvage ou d’un gibier de chasse est un élément- clé du « Djibon de Dankoun ». Pour le maître spirituel du jour, Sani Sanou, l’appel du « Djibon de Dankoun » est une tradition aussi vieille que le monde. « L’Africain était d’abord dozo et était cloitré dans son coin. Mais l’union faisant la force, nos devanciers ont trouvé nécessaire de mutualiser leurs connaissances et leurs compétences. La confrérie est ainsi née autour du Dankoun », soutient-il. Le « dosoya » (être doso, ndlr) répond, dit-il, à une charte de bonne conduite individuelle et collective.

L’étape du « Chignana »

« Maître » Ibrahima Sory Zerbo : «Cette célébration est une occasion de faire connaître la tradition dozo ».

A l’entendre, la confrérie comprend, en outre, des chasseurs et des guérisseurs. « C’est pour perpétuer la tradition que se célèbre chaque année le Djibon de Dankoun », rappelle-t-il. Pour lui, cette célébration revêt une importance particulière. Car, elle marque, à son avis, l’expansion de la culture « dozo » sur le plateau mossi. « Toute personne peut devenir dozo en rejoignant une confrérie. Cela passe, toutefois, par une initiation sous la direction d’un maître », indique-t-il.

Cette cérémonie solennelle se célèbre en deux phases, dont le rituel lui-même et le « Chignana » ou la « veillée du Dankoun ». Cette dernière débute sous la maestria de Issa Sanou, par l’immolation du buval, le gibier de chasse et la sanctification de l’autel. La nuit, une fois tombée, les regards se tournent vers la place de danse. C’est l’étape du « Chignana » ou la « veillée du Dankoun ». Elle se veut festive. Et l’arrivée du président de l’association des confréries, Saïdou Dango, annonce le début de la fête. Le griot, dont les chants sont soutenus par les sons du « N’goni », des tambours sphériques et des castagnettes, tient en haleine l’assistance, parmi laquelle se trouve une délégation du ministère de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique, conduite par le secrétaire général du département, Sibidou Sina.

Des coups de fusils se font entendre de temps à autre. Les tours de magie effectués par les « dozos » émerveillent la foule amassée autour de la place. Les festivités se poursuivent jusqu’à tard dans la nuit. Dans la matinée du 29 juin, le lendemain du « Chignana », des attroupements se créent matinalement autour des « dozos » guérisseurs ou tradipraticiens qui font valoir leurs savoirs. « Le dosoya profite à la nation. Car, parmi nous, il y a des chasseurs, des guérisseurs, et diverses autres compétences qui sont mises à contribution pour le bien-être de la société», confie « maître » Ibrahim Sorry Zerbo.

La position du poulet

Il est 8 heures. A la demande de Issa Sanou, un bœuf est offert aux femmes et aux non-initiés. Le ton solennel, il sonne le rassemblement. En quelques minutes, une file est créée dont les « dozos » en première ligne, suivis des particuliers. Ensemble, ils progressent aux pas de danse vers l’autel sacré, le « Dankoun ». Ils avancent en file indienne, les pieds nus, les mains chargées de feuilles d’arbres, de poulets ou de boucs. « Cette progression vers le Dankoun avec les feuilles en main, est un geste de reconnaissance et d’hommage à l’endroit de la forêt et de nos ancêtres », révèle « maître » Sanou.

Accompagnée par le griot, la colonne exécute trois tours autour de l’autel. Le maître spirituel, récupère les feuilles et « nettoie » l’autel avant de les poser au sol. Les tours prennent fin sous les chants du griot qui anime l’assistance avec son équipe musicale. C’est l’heure des offrandes. Le « guide » spirituel assisté de ses thuriféraires, débute le rituel des sacrifices. Le « maître » Sanou, par des incantations, fait des offrandes d’eau, de mil, de miel, de tabac et de dolo (bière de mil). Dans une atmosphère détendue, les faits et gestes du maître captent toute l’attention de l’assistance.

Cette consécration terminée, les uns et les autres s’approchent de l’autel, leur animal en main pour faire des vœux. L’animal sacrifié est jeté au sol. Des initiés décryptent les différentes positions du poulet. « La consommation de la viande issue des sacrifices est formellement interdite aux femmes, sauf à celles qui ont atteint l’âge de la ménopause », informe Issa Zerbo. Le soleil est au zénith et les sacrifices se poursuivent sous le regard curieux des populations. « C’est un autre monde, une autre culture que nous découvrons dans toute sa splendeur.

Pour ma part, le partage des valeurs culturelles entre la confrérie des dozos et les mossé apporte une plus-value à notre africanité », confie un sexagénaire, natif de la localité. Tout en donnant rendez-vous à l’année prochaine, le « maître » Issa Zerbo remercie, les mains levées, les autochtones du village de Sambtenga pour ce « bel exemple » de collaboration, de compréhension et de tolérance entre les filles et fils du Burkina.

Rémi ZOERINGRE

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