Ethiopie : éviter l’enlisement

Jadis connue pour ses avancées démocratiques, l’Ethiopie, depuis quelques jours, sombre dans un conflit sans précédent, susceptible de créer une instabilité dans le pays, voire dans la Corne de l’Afrique. Alors qu’une solution diplomatique tarde à se dessiner, l’escalade de la violence a déjà occasionné des pertes en vies humaines et des centaines de déplacés vers le Soudan voisin. L’élection de septembre dernier, organisée par les autorités régionales du Tigré que le gouvernement fédéral avait reportée dans tout le pays en raison du coronavirus, est largement perçue comme la cause de la récente détérioration rapide de la situation. Le Premier ministre de l’Etat fédéral, Abiy Ahmed, ayant jugé illégale cette élection aux relents sécessionnistes, a lancé un assaut contre le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF), dirigé par Debretsion Gebremichael, président de l’exécutif régional du Tigré. Cela, en représailles à des attaques des Tigréens contre deux camps de l’armée éthiopienne, en début novembre.
Toute proportion gardée, les combats dans l’État du Tigré, dans le septentrion éthiopien, pourraient, non seulement avoir des conséquences dommageables pour l’avenir de l’Ethiopie, mais aussi affecter sérieusement ses voisins, notamment l’Erythrée avec qui le pays partage une longue frontière commune. « Si le conflit n’est pas arrêté de toute urgence, il sera dévastateur non seulement pour le pays mais aussi pour toute la Corne de l’Afrique », a prévenu l’International Crisis Group, en raison de la position stratégique de l’Ethiopie et de son implication active en Somalie contre les militants d’Al-Shabab.
Au regard de ces enjeux, il n’est pas exagéré d’indiquer que le conflit, vraisemblablement, affaiblira l’État éthiopien et va pousser d’autres groupes du pays multiethniques à s’attaquer au gouvernement central. C’est pourquoi, il est impérieux que les parties prenantes au conflit, avec le Premier ministre de l’Etat fédéral, par ailleurs, Prix Nobel de la paix l’an dernier et le leader du Front de libération des peuples du Tigré, fassent des concessions au profit du peuple qui paie le lourd tribut dans ce conflit fratricide. Ce, aux fins d’éviter au pays d’Haïlé Sélassié le spectre d’un enlisement total dans la sous-région, déjà fragile et en proie déjà à d’autres calamités naturelles telles que la famine, la sécheresse et les invasions acridiennes. Les belligérants devraient, au-delà de toutes considérations régionalistes, surtout se garder d’exacerber la dimension ethnique du conflit en privilégiant l’intérêt supérieur du peuple éthiopien. Pour ce faire, le Premier ministre, Abiy Ahmed et
son challenger Debretsion Gebremichael ne devraient pas hésiter à faire des compromis en face d’éventuels médiateurs. S’inscrire dans une telle dynamique, espérons-le, aura l’avantage d’épargner au pays, le retour des vieux démons et de se rappeler le douloureux souvenir de la guerre contre l’Erythrée dont les stigmates sont toujours visibles. Mais, sauront-ils transcender leurs divergences ?
En attendant, l’on espère que le chef de l’Etat ougandais, Yoweri Museveni et l’ancien Président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, qui ont décidé de jouer les bons offices dans ce « bourbier larvaire » pourront diligemment aplanir les points de vue. Puis, la communauté internationale, avec l’Union africaine en avant-garde et dont le siège est Addis-Abeba, devrait, en toute célérité, prendre la mesure de la situation au Tigré pour trouver un modus vivendi et éviter la désagrégation de l’Etat fédéral. Car, la persistance de la dissidence de l’Etat du Tigré, si elle n’est pas circonscrite, peut nourrir, contre toutes attentes, d’autres velléités régionalistes dans le reste du pays et rendre, ipso facto, toute médiation inextricable.

Soumaïla
BONKOUNGOU

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