Alors que la date d’investiture (le 19 janvier) du président élu, Adama Barrow, approche, l’atmosphère est électrique en Gambie. Le perdant, le candidat à sa propre succession, Yahya Jammeh, qui a refusé catégoriquement le verdict des urnes après avoir concédé sa défaite, semble montrer son vrai visage. Il use de tous les moyens pour écarter de son chemin tous ceux qui l’exhortent à respecter le libre choix du peuple gambien, en cédant son fauteuil au vainqueur du scrutin. Fermeture de radios, arrestations d’opposants, limogeages de collaborateurs peu favorables à sa volonté de se maintenir au pouvoir envers et contre les principes démocratiques, Jammeh n’y va pas avec le dos de la cuillère pour asseoir son autorité de dictateur.
A telle enseigne que nombre de ses compatriotes, qui n’ont pas l’estime de l’homme fort de Banjul, ont fui le pays pour sauver leurs têtes. Sont de ces indésirables, le président de la Commission électorale, Alieu Momar Njai, qui a vite fait de prendre ses jambes à son cou, en trouvant refuge au Sénégal voisin. Comme quoi au royaume de Jammeh, on n’a jamais les reins assez solides pour subir les humeurs du roi. C’est dans ce contexte que les émissaires de la Communauté économique des Etats de l‘Afrique de l’Ouest (CEDEAO) reviennent à la charge, ce mercredi 11 janvier, pour inciter Jammeh à quitter le pouvoir sans autre forme de procès.
Les présidents du Nigeria, Muhammadu Buhari, du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf et l’ex-chef de l’Etat ghanéen, John Dramani Mahama, tenteront à nouveau de convaincre leur interlocuteur à débarrasser le plancher. Mais le succès de cette mission est loin d’être garanti. Il suffit de se référer au premier passage de ces dirigeants, le 13 décembre à Banjul, pour se rendre à l’évidence que la tâche n’est pas aisée. En effet, les médiateurs ouest-africains avaient échoué à amener Jammeh à de meilleurs sentiments. Son refus de quitter le pouvoir doit sans doute résonner encore dans leurs oreilles, s’ils ne tempèrent pas quelque peu leurs ardeurs à retourner au charbon.
Pire encore, le chef de l’Etat gambien s’est montré plus offensif face à ses pairs de la CEDEAO, qui n’excluent pas une intervention militaire pour le déloger de « son » palais présidentiel. « Je suis prêt à mourir (…) mais personne ne peut m’enlever cette victoire. En Europe, les Européens pensent toujours à des solutions pacifiques et en Afrique à des solutions violentes. Ils viennent toujours jeter de l’huile sur le feu. C’est ainsi qu’ils déstabilisent nos pays. (…) Le Commonwealth m’en veut parce que j’ai refusé de rester une colonie britannique. A moins que le tribunal décide que j’ai perdu, je ne quitterai pas le pouvoir, je vais voir ce que la CEDEAO peut faire », a martelé récemment Jammeh dans un discours, faisant allusion à son recours en annulation du scrutin déposé auprès du Conseil constitutionnel.
Mais l’avis de cette institution n’influencera en rien la position de la CEDEAO et de la communauté internationale, qui ne sont pas prêtes à cautionner le hold-up électoral de Jammeh. D’ailleurs, les cinq juges étrangers de la cour sollicités par le perdant de la présidentielle, notamment des Nigérians et des Sierra-Léonais, n’ont pas pu se réunir le mardi 10 janvier pour examiner la plainte. Aucun d’eux n’a répondu à l’appel, selon nos confrères de la BBC. Un coup dur pour Jammey qui s’enfonce manifestement dans les ténèbres. Mais la posture de rebelle du président gambien, qui s’est isolé dans sa tour, tel un roi à sombré dans la folie du pouvoir, n’étonne guère.
Le président gambien ne veut pas faire face à son passé trouble, jalonné de graves violations des droits de l’homme, comme il en donne l’illustration à la faveur de cette crise. Il préfère mourir que de privilégier l’alternance, signe patent de vitalité démocratique. Mais encore faut-il que Jammeh, le tyran, sache ce que c’est que la démocratie. Dans ces conditions, on a de bonnes raisons de croire, même si l’on est démocrate, que l’option politique dans la résolution de la crise gambienne ne produira aucun effet. Des dirigeants de l’étoffe de Jammeh ne connaissent que la puissance du feu et ne se perdent pas en conjoncture avec des discours civilisés. La CEDEAO fait face alors à une équation des plus complexes à résoudre.
Kader Patrick KARANTAO
karantaokader@gmail.com
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