Journée internationale des droits de la Femme : Ragnimwendé Eldaa Koama aux femmes burkinabè, « Allez-y à la vérité… vous serez capable de vivre votre réelle vie »

Elle s’est fait connaitre du grand public lorsqu’elle a dit au président français, Emmanuel Macron, que « sa marmite est sale ». A l’occasion de cette 166e journée internationale des droits de la femme, Sidwaya a souhaité l’entendre par rapport à la commémoration et l’intérêt que présente cette date historique pour la femme burkinabè. A ce propos, Ragnimwendé Eldaa Koama relève que la femme burkinabè est mésestimée. Elle invite donc ses congénères à s’instruire sur leur véritable histoire et à se persuader qu’elles peuvent déployer tout leur potentiel, plutôt que de se morfondre. Nous avons pris rendez-vous avec cette dame multi casquettes (elle est, notamment, entrepreneure, coach, conférencière) le 7 mars 2023 à la première heure pour une trentaine de minutes d’entretien. L’ingénieure de conception s’est prêtée à nos questions pendant quasiment une heure.

Sidwaya (S.) : Si on vous demandait de décrire la femme burkinabè, quel serait le regard que vous porteriez sur elle ?

Ragnimwendé Eldaa Koama (R.E.K.) : Aujourd’hui, la femme burkinabè a une image qui peut se différencier en fonction de l’espace géographique, du niveau de vie et malheureusement en fonction aussi des différentes crises que nous subissons.

Dans les zones urbaines, les femmes s’émancipent à travers les activités génératrices de revenus, elles créent des entreprises. Pourtant quand vous regardez vers les zones qui sont soumises à beaucoup d’attaques de terroristes, on voit des femmes qui sont dans des conditions misérables, dans la mendicité, des femmes qui essaient de protéger le peu qui reste, puisque souvent les maris sont restés au front ou ont été tués par les terroristes.

De façon générale, la femme burkinabè cherche toujours à se faire reconnaitre par la société pour ses compétences, elle se bat pour qu’on puisse lui trouver une place.

On continue à lui prêter toutes les faiblesses qu’il y a alors que les femmes aujourd’hui, sont une force qui pourrait pousser la société dans le bon sens, à être résiliente.

S : Si la femme burkinabè cherche à se faire accepter, c’est donc dire qu’elle n’est pas vue à sa juste valeur ?

REK : Pour vous dire vrai, moi j’ai eu l’occasion dans le milieu professionnel, de constater que même si la femme a de la compétence, il reste toujours que dans le langage on finit par être condescendant.

Il y a des images, des préjugés qui restent, qui pèsent, et la femme est obligée de se battre pour qu’au moins l’image de la personne compétente lui soit accordée.

Quand je dis que la femme n’est pas à sa juste place, ce n’est pas en tant qu’humaine dans la société, mais plutôt en terme de valeur, de créativité.

C’est une perception qui continue et qui est beaucoup plus ressentie dans les conversations verbales. Vous savez que notre comportement, notre estime de soi, peut bien être influencé à bien des égards par ce que l’on entend et par ce que les gens nous répètent chaque jour sur ce que nous sommes, ce que nous représentons. Voilà pourquoi je dis que c’est toujours une lutte pour la femme de trouver une place, surtout sur le volet intellectuel.

Il y a une perception de la femme aujourd’hui qui est différente de celle qu’on aurait eue de Yennega. Tout le monde célèbre Yennega, Guimbi Ouattara etc. Elles sont nombreuses celles qui ont fait de grandes choses dans l’histoire de notre pays ou de façon générale en Afrique. Je ne sais pas si c’est par omission ou par pure ignorance, mais on ne voit de la femme que celle qui s’occupe des choses superficielles et qui ne pense pas à construire son pays.

Moi je pense que c’est ceux qui ont oublié leur histoire qui finissent par tomber dans ce marchandage émotionnel.

« Je voudrais que chaque année il y ait une célébration qui choque la mémoire des gens. »

S : Venons-en à la célébration de la journée de la femme. Cette année, le gouvernement a décidé de commémorer cette journée dans la sobriété. Quel est votre point de vue par rapport à la façon de célébrer le 8-Mars ?

REK : La première chose qui a malheureusement influencé de façon négative la célébration de cette date, c’est d’avoir tronqué la dénomination du jour. J’entends beaucoup parler de la ‘’journée de la femme’’ alors que le 8-Mars c’est la célébration des droits de la femme.

Je pense que célébrer les droits de la femme, c’est se poser d’abord la question de quels droits on parle. Parce que les droits ne sont pas les mêmes et on ne peut pas obliger les gens à célébrer de la même manière.

J’ai vu des gens s’indigner parce qu’ils voient des femmes faire des « djandjoba ». Je pense qu’on est un peu trop rigoureux à l’endroit de la femme pour lui dire comment est-ce qu’elle doit célébrer ce jour qui met en avant ses droits.

Après, je ne dis pas que tout le monde a le droit à n’importe quoi, nos pays sont régis par des lois, mais si une femme considère que ce dont elle est privée tous les jours c’est le droit à l’épanouissement, il ne faut pas lui en vouloir qu’elle veuille bien aller dans les activités récréatives.

Mais si vous me posez la question, comment moi je célèbre le 08-Mars, là, je serai plus objective en vous disant que je suis quelqu’un qui préfère toujours les activités intellectuelles. Rarement vous me verrez me trémousser, parce que dans mon parcours j’ai plutôt eu des obstacles à pouvoir être acceptée par mes productions intellectuelles, pour ce que je dis.

Donc, quand j’ai la possibilité d’amener d’autres femmes, dont l’épanouissement dépendrait de la reconnaissance de leur potentiel intellectuel, je vais faire tout mon possible. Voilà pourquoi ce 08 mars je vais me rendre à Koudougou pour faire un panel au lieu de rester faire un diner quelque part.

S : Lorsque vous analysez l’évolution de cette journée depuis la révolution d’août 1983, qui a donné une plus grande dimension à cette date, en quoi cette journée a impacté l’évolution de la condition de la femme ?

REK : Le temps est passé donc l’évolution est notable, mais est-ce que c’est une évolution positive ? Je ne saurais le dire.

Les femmes ont certainement beaucoup plus accès à l’éducation jusqu’à une certaine mesure, elles ont accès à des financements parce que certains programmes mettent en avant l’obligation du quota genre. J’ai vu tellement de projets orientés pour la femme, qui, lorsque vous regardez de plus près, ne sont pas exécutés par conviction, mais par obligation et parce qu’il faut rendre des chiffres. On se dit souvent qu’il faut mettre une ou deux femmes, par ci par là pour équilibrer, si bien que je me pose la question de savoir si l’évolution de la place qu’on accorde à la femme est réelle ? Ça je n’en suis pas convaincue.

Parce qu’à côté de ces chiffres, il y a des expressions du genre ‘’la place de la femme c’est dans la cuisine’’ et il se trouve des femmes même qui le disent. Pourquoi on ne fait pas des blagues du genre ‘’voici la futur présidente’’ ? Ce sont des expressions qui conditionnent notre réflexion.

« Quand j’ai la possibilité d’amener d’autres femmes, dont l’épanouissement dépendrait de la reconnaissance de leur potentiel intellectuel, je vais faire tout mon possible »

S : Quelle est donc votre point de vue sur le quota genre ?

REK : Quand on n’arrive pas à passer une loi par la sensibilisation, on est obligé de passer par des situations contraignantes.

Comme personne ne veut changer volontairement la situation, on met en place un mécanisme qui va au moins permettre la prise en compte de certaines composantes de la population qu’on veut représenter. Lorsqu’on n’est pas présent ce n’est pas certain que les autres vont vous défendre, je pense que c’est ça qui à motiver le quota genre.

Le quota est une situation contraignante qui n’a pas donné de bons résultats. Moi je pense que chacun doit mériter sa place et je sais que les femmes peuvent le faire, elles doivent faire de telle sorte que les actions qu’elles posent finissent par faire oublier le quota genre au niveau féminin.

S : Des voix s’élèvent pour demander une autre manière de célébrer le 08-Mars, qu’en dites-vous ?

REK : Dans l’évolution de toute activité, il faut sortir de la routine, parce que la routine réinstalle ce qu’on essaie de chasser.

Ça fait plusieurs années qu’on fête le 08 mars, on sélectionne des tenues que tout le monde doit porter, c’est bien, mais est-ce que la manière de le faire replonge les gens dans l’importance de cette journée ?

Je voudrais que chaque année il y ait une célébration qui choque la mémoire des gens. Aujourd’hui le 08-Mars est comme un rituel.

S : Vu le contexte sécuritaire burkinabè, quel peut être la contribution de la femme dans la lutte contre le terrorisme ?

REK : Lorsqu’on pose cette question, il y a déjà un problème. Comment l’on pourrait penser que la femme ne contribue pas à l’effort de guerre ? C’est peut-être parce que l’on a déjà une perception minimaliste de ce qu’elle fait au quotidien.

Lorsque les hommes sont au front et la femme à la maison pour s’occuper de la famille, des enfants, cela n’a pas autant de valeurs que ce que les hommes font?

Ces façons de voir les choses ont été enrichies, nourries sur les réseaux sociaux et cela met les gens dans une posture difficile.

Si aujourd’hui l’Etat burkinabè clarifie ce qu’il attend comme possibilité de contribution venant des femmes, je pense qu’il y aura des femmes citoyennes qui décideront de faire ceci ou cela. Mais quand on globalise et qu’on se demande qu’est-ce que les femmes font, je dis que ça ne va pas !

Et c’est justement parce qu’on globalise sans donner des propositions concrètes que tout le monde se donne le droit de minimiser ou de dénigrer les femmes par rapport à leur contribution à l’effort de guerre.

Moi je pense que la vrai question devrait être quelle est la stratégie de l’Etat par rapport aux populations et au genre dans la contribution à l’effort de guerre.

Jusqu’ici, ce que je sais des propositions faites par le gouvernement, c’est la proposition d’apport de soutien humanitaire, ce que beaucoup de femmes font déjà.

 S : Quel est le message particulier que vous souhaiteriez adresser aux femmes burkinabè par rapport à la question de leurs droits ?

REK : Chaque femme burkinabè gagnerait à quitter du cercle de l’ignorance. L’ignorance c’est le plus grand mal qui puisse amener quelqu’un à ne pas vivre une vie épanouie.

Quand vous ne savez pas votre histoire, d’où vous venez, ni ce que d’autres personnes comme vous ont été capables de faire, vous allez vous définir par rapport à un niveau qui n’est pas le vôtre. Vous allez vivre votre vie en sous estimant vos capacités et votre possibilité d’impacter votre environnement.

Tout ce que je peux dire à la femme burkinabè aujourd’hui, c’est d’arrêter de gober les informations parce que quelqu’un que vous admirez vous les a données, allez-y vous-mêmes à la source, recherchez. La vérité a le mérite de vous affranchir, ce n’est pas moi qui le dit mais les saintes écritures.

Si vous savez ce que les femmes ont fait, ce que les femmes peuvent faire, ce que des femmes comme vous qui n’ont pas deux têtes, quatre pieds, qui sont exactement comme vous, du même pays que vous, ont pu réussir à faire, qu’est-ce qui vous empêche, à moins que ce soit votre perception qui a été influencée, modifiée par votre entourage?

Allez-y à la vérité et si la vérité vous affranchit, vous serez capable de vivre votre réelle vie. Qu’elle soit impactante, que vous puissiez exprimer tout le potentiel que vous avez pendant que vous êtes encore vivante. Et si ça doit commencer le 8 mars, eh bien que ça commence !

S : Les Burkinabè vous ont découverte dans l’espace public en octobre 2021 à la faveur du sommet Afrique – France lorsque vous avez fait cette allégorie de la marmite sale face au président Macron. Comment vivez-vous cette notoriété ?

REK : J’ai la chance d’être née dans une famille où on m’a apprise à éviter la vantardise et l’orgueil parce que pour moi tout est grâce .Tout de suite, quand quelqu’un est mis au-devant de la scène, ce n’est pas obligatoirement sa personne qui est admirée mais plutôt son action.

Sur certains aspects, ça n’a pas été une chose facile à gérer dans le sens où les gens ont confondu un discours, peut être que beaucoup ne partageaient pas, avec la personne. A défaut de s’en prendre au discours, on s’en prend à la personne (rire). Mais en même temps ça m’a aussi ouvert des portes, il faut le reconnaître, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont pu savoir ce que nous faisons au niveau de l’entreprise (Improv’You) et se sont intéressés à nos services.

De façon globale, c’était instructif pour moi, j’ai retravaillé sur mes relations interpersonnelles (rire). Il faut des moments comme cela, où vous pouvez vous-mêmes savoir quelles sont les personnes véritables avec lesquelles vous devez marcher plus loin dans votre aventure et ceux dont vous devez prendre congé.

« Notre comportement, notre estime de soi, peut bien être influencé à bien des égards par ce que l’on entend et par ce que les gens nous répètent chaque jour sur ce que nous sommes »

S : Deux années après cette fameuse marmite de Macron est-elle toujours sale où a-t-elle un début de propreté ?

REK : Tout le monde voit ce qui se passe, il y a tellement de choses qui n’ont pas été prises en compte. Si vous regardez dans l’évolution des choses, à mon humble avis, ce qui a envenimé la situation, c’est le même discours désobligeant qui est resté. C’est toujours ce rapport de force dans le verbe.

Et c’est ce que j’avais dit dans mon discours, les choses commencent par ce qu’on entend, nos convictions et nos réflexions viennent de ce qu’on entend. Tout commence là et ça n’a pas changé.

C’est resté dans ce même timbre de dominant à dominé, alors que quand on est partenaire, tant qu’on ne demande pas le conseil de quelqu’un, ce n’est pas à la personne de s’auto ériger en tant que donneur de leçon.

Et ça n’a fait qu’envenimer la situation à un certain moment où un désir de liberté était enfoui même dans le plus calme des citoyens. Des masses sont sorties dans la rue, l’armée française a été remerciée, un ambassadeur a été rappelé, et au fur et à mesure qu’on avance vous vous rendez compte que ce n’est même plus seulement la France, il y a tous ceux qui se prennent pour des donneurs de leçons ou des personnes investies d’un certain pouvoir qui peuvent se comporter de façon non encadrée comme s’ils se trouvaient en territoire acquis.

Moi je pense qu’on ne s’est pas occupé de récurer la marmite, et voilà, les conséquences sont là. Je ne dis pas que je suis satisfaite de cet état des choses. Les relations doivent être assainies.

Il faut prendre en compte tous ceux qui ont été liés par le sang, par d’autres relations, pour pouvoir améliorer la situation.

S : A voir l’évolution de la situation, on pourrait penser que c’est la rupture définitive qui est en train de s’amorcer

REK : Je pense que dans le cœur de beaucoup de Burkinabè, la rupture s’est amorcée. Mais sur le plan diplomatique, c’est différent. On ne peut pas juste décider du jour au lendemain de couper les ponts. Même dans l’approche actuelle du gouvernement, c’est de dénoncer ce qui peut être dénoncé sans qu’il y ait une cassure immédiate. Il ne faut pas oublier qu’il  y en a de nos concitoyens qui ont bâti leur vie, leur famille, qui ont carrément un pied à terre en France. Faire une rupture soudaine, c’est exposer ces personnes à des rapatriements directs. Il y a des conséquences qui ne disent pas leurs noms et qu’on ne peut pas supporter.

Entretien réalisé par

Fabé Mamadou OUATTARA

Retranscription

Hubert BADO

Augustin Sogoh SANOU

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