Journée mondiale du lait: « Covid-19 a été un coup dure pour la filière », Nour Al-Ayatt Ouédraogo

A l’occasion de la Journée mondiale du lait, célébrée chaque 1er juin, Sidwaya a rencontré le président de l’interprofession lait du Burkina, Nour Al-Ayatt Ouédraogo. Il revient sur le sens de cette journée, l’impact de la COVID-19 sur le lait local, les freins au développement de la filière.

Sidwaya (S) : Que renferme la notion lait local ?

Nour Al-Ayatt Ouédraogo (N.A.O.): Le lait local est produit par des mammifères n’ayant subi aucune transformation industrielle ou autre. C’est du lait cru, à l’état naturel. Au Burkina Faso, le lait local est produit principalement par les vaches. On peut transformer le lait local en lait en poudre, en lait concentré, etc. C’est pourquoi on parle du lait et de ses produits dérivés.

S : Quelle est la contribution de la filière lait local dans le développement du Burkina Faso?
N.A.O. : Selon les statistiques du ministère des Ressources animales et halieutiques, en 2018, plus de 4 millions de litres de lait local ont été collectés et transformés, avec une valeur monétaire évaluée à plus de 600 millions FCFA. Mais ces chiffres sont en-deçà de la réalité car l’autoconsommation des ménages qui est très importante n’est pas prise en compte. 90% de la population burkinabè vit de l’agriculture et de l’élevage ; au niveau des ménages, il y a toujours une vache que l’on trait pour la consommation familiale. Dans les marchés, on rencontre des femmes qui vendent du lait local transformé qui n’est pas comptabilisé. Tout cela fait qu’il n’y a pas de statistiques exactes concernant la filière lait local.

S : Depuis 2001, les Nations unies ont décrété le 1er juin, Journée mondiale du lait. Quel est le but de cette commémoration?
N.A.O. : Le but de cette journée est de fournir aux acteurs du lait ,une tribune de réflexions pour sortir des orientations pertinentes afin de permettre à la filière de mieux se développer. C’est une occasion pour les pays africains d’interpeller les bailleurs de fonds pour qu’ils investissent dans le local en Afrique.

S : Depuis 2007, au niveau national, les acteurs du lait local célèbrent la JML. Quel bilan faites-vous de ces célébrations ?
N.A.O. : En termes de résultats, la filière a pu avoir une crédibilité auprès du ministère des Ressources animales et des autres ministères en charge du développement rural. Le lait local est aujourd’hui considéré comme une filière porteuse. Ce qui a amené le ministère des Ressources animales à mettre en place des projets et programmes en faveur du lait local. Ces commémorations nous ont également permis de faire connaître le lait local auprès des consommateurs. Nous avons pu pu accéder aux supers marchés qui refusaient de prendre des produits transformés à partir du lait local. Nous avons pu nous positionner et l’interprofession-lait est l’unique interlocuteur de la filière auprès des autorités.
A travers les sensibilisations, les renforcement des capacités, les acteurs ont amélioré la qualité de leurs produits et les ont fait certifier par le Laboratoire national de santé publique.

S : Comment cette journée sera-t-elle commémorée cette année au Burkina Faso ?
N.A.O. : Compte tenu du contexte de la COVID-19, il n’y a pas de commémoration festive. Mais nous tenons à donner de la voix pour que les décideurs et les partenaires sachent que le Burkina Faso a tenu à marquer cette journée. Mais nous comptons commémorer cette journée en différé en octobre prochain en la couplant aux « 72 heures du lait local ».

S : Quel est l’impact de la COVID-19 sur la filière?
N.A.O. : La COVID-19 a été un coup dur pour les acteurs de la filière. D’abord parce que le lait est un produit hautement périssable. Deuxièmement les vaches laitières doivent être alimentées au jour le jour pour assurer la production de lait. Troisièmement, les transformateurs qui reçoivent le lait doivent le transformer dans un certain délai et l’écouler à temps. Malheureusement le couvre-feu et la quarantaine ont joué négativement sur ces activités. La plupart des unités de transformation et les fermes étant hors de la capitale, les acteurs avaient des difficultés pour s’approvisionner en certains intrants. C’était un blocus, les premiers jours. Mais par la suite, le directeur régional et le ministre des Ressources animales nous ont aidés à débloquer la situation, avec des laisser-passer qui nous ont permis d’aller alimenter nos animaux. Mais l’écoulement du lait restait un problème, les marchés, les restaurants étant fermés.

S : Quels sont les principaux freins au développement de la filière au Burkina Faso ?

N.A.O. : Nous n’avons pas un mécanisme de financement adapté à la production laitière. La pression foncière ralentit les ardeurs des acteurs pour investir. Et si des mesures ne sont pas prises, les dix prochaines années, il n’est pas évident de faire de la production laitière dans la zone péri-urbaine de Ouagadougou. Au niveau de la transformation, on ne trouve pas les équipements sur le marché national ; leur prix et les taxes sont également élevés.
En matière de génétique, les races locales ne sont performantes. Et pour faire de l’insémination artificielle il faut des animaux performants, une alimentation équilibrée, des soins vétérinaires appropriés ; tout cela demande un personnel qualifié pour gérer les animaux et les exploitations. Les unités manquent aussi d’espace approprié pour la transformation.
Ce qui mine la filière locale, c’est la concurrence déloyale du lait importé, notamment, le lait végétal ou lait renforcé avec de l’huile végétale et qui ne peut pas se comparer au lait local en termes de qualité.

S : Que faire pour une dynamisation du lait local ?

Il faut une feuille de route claire pour chaque maillon de la filière (production, transformation et distribution). Il faudra que le ministère des Ressources animales et halieutiques puisse donner un statut aux producteurs et transformateurs du lait local. L’accompagnement pour l’accès aux financements est capital.
Il est important que le Burkina Faso se dote d’une politique nationale lait en lieu et place des projets de cinq ans. Avec des orientations pour mettre en place dans chaque région, 10 fermes pouvant produire au moins 200 litres par jour, des centres de collecte et des unités de transformation laitière. Tout cela doit s’accompagner d’une organisation du marché en facilitant par exemple l’accès des laiteries locales aux marchés publics notamment au niveau des cantines scolaires, des centres de santé, des casernes, des prisons.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO

windmad76@gmail.com

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