L’équation malienne

En tournée dans la sous-région, ces jours-ci, le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, a remis à des dirigeants, le rapport des Assises nationales de la refondation tenues, le 30 décembre 2021 à Bamako. Entre autres, les présidents en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Ghanéen, Nana Akufo-Addo et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, ont déjà reçu des copies. Le contenu de ce document retient l’attention, puisqu’il est question de la prolongation de la Transition, dirigée par le colonel Assimi Goïta, de six mois à cinq ans.

Même si cette proposition n’a pas été clairement tranchée, les participants à la rencontre voudraient que l’on accorde plus de temps à la junte militaire pour réaliser des réformes institutionnelles en vue de favoriser la tenue d’élections crédibles, équitables et transparentes. Avec un scénario consacrant une longue période à la Transition, les autorités maliennes ont établi le chronogramme qui va avec. Il s’agit de l’organisation d’un référendum constitutionnel en janvier 2024, d’élections législatives et sénatoriales couplées en novembre 2025 et de la présidentielle au plus tard en décembre 2026. Tout naturellement, l’idée d’une transition à long terme n’est pas partagée par tous les Maliens. Nombre d’entre eux n’ont d’ailleurs pas pris part aux assises. C’est le cas du Cadre d’échange, un regroupement d’organisations politiques. Cette entité estime, que l’organisation des assises constitue une « manœuvre dilatoire » de la junte militaire pour rester aux commandes du pays. Pourtant, la plupart des Maliens ont béni l’ascension des militaires au pouvoir, auteurs de deux coups d’Etat successifs en août 2020 et mai 2021. Le colonel Goïta et ses hommes ont d’abord déposé Ibrahim Boubacar Kéita, avant de retirer manu militari le pouvoir au président de la Transition, Bah N’Daw, à qui ils avaient placé leur confiance, à la suite des divergences.

La CEDEAO pourrait partager l’avis du Cadre d’échange sur le désir de prolonger la Transition, même si elle n’a pas encore donné explicitement son avis. Dans un communiqué daté du 1er janvier 2022, l’organisation a dit prendre acte du chronogramme transmis par le gouvernement malien, sans autre commentaire. La CEDEAO devrait se prononcer sur le sujet, lors d’un sommet extraordinaire sur le Mali, prévu le 9 janvier 2022 à Accra au Ghana. Considérant toutefois, la ferme volonté que l’institution sous régionale affiche pour le retour des civils au pouvoir au pays de Mobibo Kéita, l’on ne s’attend pas à ce qu’elle accepte la prolongation de la Transition, comme une lettre à la poste. Ce serait un miracle ! La CEDEAO a réitéré, à la mi-décembre 2021, son exigence de voir les élections se tenir, le 27 février 2022, comme prévu au Mali.

L’organisation n’avait pas apprécié que la junte évoque son incapacité à respecter le calendrier électoral prévu et son intention de s’en remettre aux recommandations qui allaient sortir des Assises nationales de la refondation du Mali. Si le colonel Goïta et la CEDEAO ne se sont pas accordés sur l’organisation à bonne date des élections, ce n’est pas sur la prolongation de la Transition qu’ils vont le faire. Il ne faut pas se voiler la face. Autant dire que le bras de fer entre les deux parties pourrait perdurer, même si on ne le souhaite pas. Dans cette situation difficile, les responsabilités doivent être partagées, chaque partie n’étant pas exempte de tout reproche. La CEDEAO fait l’objet de critiques acerbes, à cause de ses prises de position parfois équivoques. N’est-elle pas qualifiée par une certaine opinion de syndicat de chefs d’Etat ? Cela s’entend. Il faut admettre également que la junte malienne exagère un peu. C’est connu, les transitions ne sont pas faites pour durer, mais pour permettre un retour à l’ordre constitutionnel normal dans un Etat de droit. Pourquoi vouloir alors d’une Transition de cinq ans, si ce n’est pour consolider un pouvoir, fut-il militaire, au détriment de la démocratie. Objectivement, un an ou tout au plus deux ans peuvent suffire à mener une Transition à bon port, pour peu que l’on se donne les moyens d’y parvenir. Certes, les propositions ont été faites par les participants aux assises, mais nul doute que ce sont les militaires qui mènent la danse à Bamako, avec des ambitions pas toujours connues. Comparaison n’est pas raison, le Burkina a donné l’exemple en 2015 avec la Transition conduite à son terme par Michel Kafando, malgré les difficultés rencontrées. Le Mali peut aussi relever ce défi, même dans une situation de guerre contre le terrorisme. A moins qu’il y ait un agenda caché au sommet de l’Etat. Il est vrai que la junte, qui connait outre mesure des tensions avec la France sur la gestion de la crise sécuritaire, a l’onction du peuple malien, mais elle devrait œuvrer à remettre le pays sur le chemin de la démocratie au plus vite. Ce sera à son honneur…

Kader Patrick KARANTAO

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