Madagascar : le réveil d’une jeunesse

La 4e Grande Île du monde vit, depuis plusieurs semaines, au rythme d’une contestation populaire qui en dit long sur les fragilités de la démocratie africaine. Ce qui a commencé le 25 septembre 2025 par des protestations contre les coupures d’électricité et d’eau s’est mué en un mouvement de fond, porté par une jeunesse en quête de dignité et de gouvernance responsable.

Le mouvement, surnommé « Gen Z Madagascar », mobilise des milliers de jeunes à Antananarivo, Toamasina, Fianarantsoa et Mahajanga qui réclament des réponses face à la pauvreté persistante, à la corruption et à la marginalisation politique. Mais, cette colère a vite tourné au drame. Selon les chiffres avancés par l’ONU, au moins 22 morts et plus d’une centaine de blessés ont été recensés. Les scènes de pillages et de heurts avec les forces de sécurité ont révélé une colère profonde, mais aussi un désespoir latent.

Face à la fronde, le Président Andry Rajoelina, pourtant réélu en 2023, a tenté de reprendre la main. Il a dissous son gouvernement fin septembre, puis nommé en début octobre un général de l’armée à la tête de la Primature pour afficher l’autorité de l’Etat. Mais, le message de fermeté n’a pas suffi à calmer la rue. Le tournant s’est produit les 11 et 12 octobre 2025, lorsque des éléments des forces armées, notamment issus de l’élite CAPSAT, ont fait défection pour rejoindre les manifestants dans la rue.

Le pays a alors basculé d’une crise civile à une crise institutionnelle, où la loyauté de l’armée devient un enjeu vital. Le spectre de 2009, lorsque Rajoelina avait lui-même accédé au pouvoir par un soulèvement appuyé par des militaires, hante désormais la scène politique malgache. Au-delà du tumulte, cette crise illustre une réalité plus vaste : la démocratie africaine reste vulnérable, souvent réduite à une façade électorale sans véritable transformation des pratiques de gouvernance.

Comme ailleurs sur le continent, un pouvoir élu mais déconnecté, une opposition fragmentée et une société civile marginalisée laissent place à un cycle de méfiance et de révolte. Les urnes cèdent le pas aux pavés et les frustrations sociales deviennent politiques. Madagascar, à l’image de nombreux pays africains, se retrouve piégée entre la légitimité électorale et la légitimité populaire. Dans les coulisses, des pressions diplomatiques s’exercent déjà pour éviter une escalade militaire et encourager une issue négociée.

Un scénario que Paris préfère de loin à une rupture institutionnelle ou à une intervention militaire interne au risque de se voir éjecter comme dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Pour autant, la position française reste fragile : toute ingérence ouverte serait perçue comme néocoloniale, tandis que le silence prolongé pourrait être interprété comme un soutien tacite à la répression.

Le dilemme est réel. La France, comme d’autres puissances occidentales, navigue entre principes démocratiques et intérêts géostratégiques. Mais, ce double jeu finit par miner la crédibilité du discours sur la démocratie africaine. Madagascar se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Le Président Rajoelina a encore le choix qui est celui d’ouvrir un dialogue national sincère et engager des réformes institutionnelles profondes ou persister dans la répression et l’autoritarisme.

La seconde voie ne ferait que prolonger le cycle de violence et d’instabilité qui ronge la Grande Île d’Afrique depuis des décennies. La première, plus exigeante, impliquerait d’écouter cette jeunesse, non comme une menace, mais comme une force de renouvellement démocratique. Au fond, la crise malgache soulève une question essentielle à toute l’Afrique : faut-il continuer à célébrer des démocraties de façade ? L’avenir du continent et la crédibilité de ses dirigeants dépendra de la réponse à cette question. Et Madagascar, aujourd’hui, en est le miroir brûlant.

Kamélé FAYAMA

 

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