Marcel Gbaguidi est le représentant-résident et directeur général du Système Ouest-africain d’accréditation (SOAC), l’organisme d’accréditation des Etats membres de l’UEMOA dont le siège est basé à Abidjan, en Côte-d’Ivoire. En marge de la 4e Assemblée générale de cette organisation créée par l’UEMOA et de la cérémonie de présentation de son certificat de reconnaissance internationale, tenues les 12 et 13 mai 2022, dans la capitale ivoirienne, le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, s’est entretenu avec lui sur les enjeux liés à l’accréditation pour les économies, la santé des populations de la région. Il lève également un coin de voile sur les principales conclusions de l’Assemblée générale.
Sidwaya (S) : Le Système Ouest-africain d’accréditation (SOAC) est un organisme sous régional peu connu du grand public. Pouvez-vous présenter succinctement cette organisation ?
Marcel Gbaguidi (M. G.) : Le SOAC a été créé en 2005, à Dakar, au Sénégal, par règlement du conseil des ministres de l’UEMOA. L’objectif est de permettre aux Etats de disposer d’un organisme sous régional qui puisse dire si les laboratoires, les organismes d’inspection et de certification, avec lesquels nous sommes permanemment en contact, sont compétents.
D’une manière simple, lorsque vous avez une bouteille d’eau que vous voulez boire, il faut vous assurez que cette eau est conforme, de qualité. La conformité de cette eau va être analysée par un laboratoire. Au Burkina Faso, par exemple, ces analyses sont faites par le Laboratoire national de santé publique ou l’IRSAT-DTA, qui est le département de technologie alimentaire du CNRST.
La question qui va se poser immédiatement est de savoir si ce laboratoire chargé de faire ces analyses est lui-même compétent. Autrement, est-ce que ses analyses qu’il va vous donner sont conformes ? Un autre exemple, pour montrer l’importance du SOAC, est le contexte de la COVID-19, avec ce débat mondial sur la fiabilité des tests. Les laboratoires chargés de faire ses tests-COVID sont-ils fiables ?
Comment s’assurer de leur fiabilité ? Pour le savoir, il faut que ces laboratoires soient accrédités. L’accréditation est donc la reconnaissance de la compétence d’une structure qui évalue la conformité, telle que les laboratoires, les organismes d’inspection, de certification. Pour résoudre le problème de l’accréditation dans son espace, l’UEMOA a jugé utile de mettre en place un organisme régional qui va couvrir les besoins des huit pays membres ; vu que pris individuellement, les Etats n’ont pas les moyens d’aller vers la création d’agences nationales d’accréditation.
C’est ce qui a amené la création du SOAC en 2005, contrairement à la pratique mondiale qui est un organisme d’accréditation par pays. La démarche de création de cet organisme communautaire a pris du temps. Ainsi, le SOAC a commencé effectivement ses activités en 2018, après s’être assuré que ses textes étaient alignés sur les règlementations internationales. Nous sommes donc à quatre années d’opérationnalisation du SOAC.
Pour ce qui est de nos missions, nous intervenons sur la compétence des laboratoires, des organismes d’inspection, des organismes de certification.
S : Quelle est la place de l’accréditation dans les économies de la sous-région ?
M. G. : En général, nous avons trois types de laboratoires. Les laboratoires d’étalonnage qui vont s’assurer que lorsque vous payez 10 litres d’essence à la station, on vous sert effectivement 10 litres et non moins. Il en est de même, lorsque vous payez 10 kg de viande au marché. Il faut un laboratoire pour s’assurer que la balance utilisée par le boucher est conforme. Mais ce laboratoire a besoin aussi d’être accrédité.
Par ces exemples, l’on voit clairement l’importance de l’accréditation pour le consommateur qui achète de l’essence, consomme la viande, de l’eau ou qui va se soigner. A l’hôpital, quelle que soit sa formation, sa compétence, le médecin a besoin des résultats de laboratoire. Imaginez que ces résultats soient faux, le médecin va décider de vous faire opérer, alors que ce n’est pas la bonne décision ; ce qui, malheureusement, arrive souvent dans nos formations sanitaires ! L’accréditation est donc importante pour la santé et la sécurité du citoyen.
Dans le domaine commercial, lorsque vous voulez vendre du coton burkinabè en Europe, il va falloir d’abord vérifier la qualité du coton, la longueur de la fibre. Cela se fait dans un laboratoire de classement du coton. A ce niveau, il faut noter que le laboratoire de la SOFITEX est accrédité SOAC. Au-delà de la qualité de la fibre, il y a la question du poids des balles de coton qu’il faut vérifier.
Au niveau international, on enregistre souvent des litiges entre vendeurs et acheteurs au sujet du poids des marchandises, car il y a toujours une question d’argent derrière. Il faudrait donc disposer d’un laboratoire d’étalonnage accrédité et reconnu sur les masses et pesées. Ainsi, lorsque vous partez sur le marché avec vos balles de coton, vous y allez avec des certificats conformes et il n’y a plus de contentieux. Car les contrôles de qualité et du poids sont faits par un laboratoire accrédité.
L’accréditation comporte donc des enjeux à la fois commerciaux, de développement et de sécurité des populations. Lorsque vous voulez par exemple exporter la mangue du Burkina Faso sur des marchés internationaux exigeants, il faudra contrôler le taux de résidu de pesticide, pour s’assurer que son taux est faible, conforme à la réglementation internationale. Ce contrôle est fait par un laboratoire qui doit être compétent, donc accrédité par un organisme indépendant comme le SOAC.
S : Avec vos explications nourries d’exemples édifiants, l’importance de l’accréditation n’est plus à démontrer. Mais avez-vous le sentiment que, sous nos tropiques, il y a une réelle prise de conscience des enjeux liées à l’accréditation au niveau des Etats, du secteur privé ?
M. G. : Face au fait qu’il s’agisse d’un sujet technique, complexe, nous avons essayé d’avoir un volet promotion, information pour mieux communiquer sur l’importance de l’accréditation. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons mis en place un partenariat avec la presse qui a été lancé depuis deux ou trois ans. Nous essayons d’organiser régulièrement des déjeuners de presse pour informer sur les enjeux liés à l’accréditation.
Les médias sont un vecteur permettant à une autorité ou un citoyen, qui va lire par exemple Sidwaya, d’avoir cette information sur la place de l’accréditation. En plus de cela, les autorités sont de plus en plus conscientes ; car, leurs pays sont rapidement confrontés à cette question d’accès au marché international lorsqu’ils veulent exporter. Un pays producteur de coton qui veut avoir des ressources avec cette production peut malheureusement, ne pas y arriver ; car sur le marché, son coton ne répond pas aux normes.
Cela a amené certains Etats à investir davantage dans des laboratoires d’étalonnage. Conscients ou non, tôt ou tard, les Etats vont être confrontés à cette difficulté d’accès au marché international ! La COVID-19 l’a démontré. Aujourd’hui, tous les chefs d’Etat savent l’importance des laboratoires, cherchent à les financer et avoir des hôpitaux de niveau supérieur dans leurs pays. Ce qui n’était pas le cas auparavant ! L’histoire a en quelque sorte rattrapé la méconnaissance du secteur de l’accréditation.
S : Le SOAC bénéficie désormais d’une reconnaissance internationale, qui fait que les analyses des laboratoires accrédités auprès de lui sont reconnues partout dans le monde. En tant que premier responsable de cette organisation, quel est le sentiment qui vous anime après une telle victoire ?
M. G. : La reconnaissance est importante, car nous ne vivons pas en vases clos ! Lorsque je bois une eau à Ouagadougou, je dois avoir cette eau de même qualité à Bobo-Dioulasso. Au-delà du Burkina Faso, cette eau peut être exportée ici en Côte d’Ivoire. Mais qui assure la traçabilité de la qualité de cette eau ? Elle doit pouvoir se faire à travers un laboratoire compétent, reconnu, accrédité.
Du coup, l’accréditation n’est plus locale, elle devient régionale, internationale, si l’on veut aller sur certains marchés. Avec le cas de l’eau minérale, l’entreprise productrice fait analyser cette eau dans un laboratoire, qui lui-même se fait évaluer, accréditer par un organisme indépendant comme le SOAC. Mais qui va décider que le SOAC lui-même est compétent ?
Le SOAC, à son tour, se fait évaluer par des pairs au niveau africain et international. Lorsque vous passez cette évaluation et vous la réussissez, on dit que votre organisme est signataire des accords de reconnaissance mutuelle. Cela signifie par exemple qu’un organisme français d’accréditation, reconnait, par le mécanisme des accords mutuels, que les attestations délivrées par un laboratoire accrédité par le SOAC sont équivalentes aux siennes !
Dès lors, les barrières commerciales liées à la qualité des produits tombent ! L’exportateur ne se verra plus refouler ses produits à la frontière pour défaut de certificats valables. Désormais, il aura un certificat internationalement reconnu. C’est ce processus que le SOAC vient d’achever !
S : Quel est l’organisme qui a décerné cette reconnaissance au SOAC ?
M. G. : La reconnaissance internationale est encadrée. Chaque région du monde doit aller chercher sa reconnaissance au niveau de sa coopération. En Afrique, la coopération compétente est la Coopération africaine d’accréditation (AFRAC : ndlr), qui, elle-même, se fait évaluer à l’international ; et elle est reconnue compétente par la Coopération internationale d’accréditation des laboratoires. C’est cette chaine d’accréditation qui permet au consommateur de boire son eau en toute sécurité et à l’opérateur économique d’exporter cette eau en toute confiance !
S : C’est donc un sentiment de satisfaction qui vous anime après cette reconnaissance par les pairs…
M. G. : Oui ! Un sentiment de satisfaction mais aussi de reconnaissance envers tous ceux qui ont travaillé sur ce projet. En rappel, les questions d’accréditation ont démarré en 2001, le SOAC a été créé en 2005. Les experts de tous les pays ont planché là-dessus ! L’organisation des Nations-unies, l’Union européenne ont apporté leurs appuis. L’UEMOA a été le maitre d’œuvre. Aujourd’hui, nous sommes heureux d’avoir participé à concrétiser ce travail, surtout qu’en Afrique de l’Ouest, des trois organismes d’accréditation existantes, le SOAC est le seul à être reconnu !En Afrique, les leaders de l’accréditation se recrutent en Afrique australe et de l’Est. Aujourd’hui, l’Afrique de l’Ouest peut aussi s’asseoir à la table des grands !
S : Les membres statutaires du SOAC ont tenu la 4e Assemblée générale de l’organisation, le 12 mai 2022. Quelles sont les principales conclusions de cette rencontre ?
M. G. : Les échanges ont essentiellement porté sur comment pérenniser les acquis, surtout lorsque vous avez atteint un tel niveau ; l’objectif étant d’éviter de retomber bas ! Les réflexions se sont poursuivies avec un atelier sur les questions de financement de l’accréditation en Afrique de l’Ouest, notamment dans les secteurs publics où l’on voit souvent des laboratoires qui s’engagent dans l’accréditation mais qui, par la suite, abandonnent, pas par manque de compétences mais de ressources financières !
Des recommandations fortes ont également été formulées pour une forte implication de la commission de l’UEMOA qui a créé le SOAC, mais aussi des Etats qui en sont les bénéficiaires. L’un des points d’orgue de cette rencontre a été la reconduction du bureau du Conseil d’administration pour une période de deux ans, afin d’aider à stabiliser les importants acquis. Car, malgré les performances réalisées, l’organisme reste encore fragile.
S : Au cours de cette réunion, vous avez passé en revue la convention de financement avec l’UEMOA. Quel bilan peut-on tirer des 40 mois de mise en œuvre de cet accord de financement ?
M. G. : Après 40 mois de mise en œuvre de cette convention, au bout du compte, nous avons 34 structures accréditées, dont 33 laboratoires et un organisme de certification. Cela montre qu’au-delà des laboratoires, nous migrons vers d’autres domaines comme la certification. Je pense à la marque burkinabè de conformité (NBF : ndlr).
Cette marque est délivrée par l’ABNORM qui a besoin d’être accréditée. La certification est un nouveau chantier que nous allons continuer à développer. Par-delà tout, la plus grande satisfaction du bilan est cette reconnaissance internationale du SOAC. Parvenir à ce résultat en 40 mois, nous permet de dire aux bailleurs voilà ce que vous nous avez donnés, voici ce qu’on en a fait avec !
Nous pensons que les partenaires sont satisfaits, puisque la commission de l’UEMOA a décidé de reconduire son financement du SOAC avec la même enveloppe de 430 millions F CFA pour la période 2022-2024. C’est une fierté pour la région Afrique de l’Ouest d’être parvenue à ce résultat qu’est la reconnaissance internationale du SOAC. C’est un palier que certains n’ont pas encore atteint et rêvent d’atteindre ! Il s’agit du fruit d’un travail commun qu’il faut consolider.
Car, il ne s’agit pas d’aller s’asseoir à la table internationale avec les autres et une année après, ils se retournent pour demander : « où est passé le SOAC ?» Pour que cela n’arrive pas, il faudrait que les différents acteurs, les bénéficiaires, l’Etat, le secteur privé, les techniciens, y compris la presse, jouent leur partition.
C’est pour cette raison que nous avons noué un partenariat avec la presse et lancé le concours d’écriture en accréditation pour amener les hommes et femmes des médias à nous aider à vulgariser un domaine trop technique mais pourtant lié à nos vies de tous les jours.
S : Avez-vous un message à l’endroit des acteurs intervenant dans l’infrastructure qualité ?
M. G. : Un Etat ne peut pas assurer sa souveraineté s’il ne prend pas en charge les questions de qualité ! Je reviens à la bouteille d’eau. Chacun, dans son pays, doit se poser la question de savoir si la décision de la conformité sur cette eau que je bois est-elle prise localement, internationalement ou n’est pas du tout prise !
Les éléments de réponses à ces questions débouchent sur l’implication des différentes parties prenantes, en l’occurrence les Etats, les experts, le secteur privé. Si cela n’est pas fait, il est difficile de parler du développement. Car, c’est comme si vous mettez en place des laboratoires, avec des équipements, mais les résultats qui en sortent, personne n’est en mesure de dire s’ils sont bons on pas !
Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO