Marche du 27 novembre 2021 : Des échauffourées entre manifestants et forces de sécurité

La manifestation s’est poursuivie toute la journée dans des rues barricadées.

Des manifestants répondant à l’appel d’organisations de la société civile ont tenté de marcher le 27 novembre 2021 à Ouagadougou pour demander, entre autres, une meilleure gestion de la crise sécuritaire. Empêchés de se regrouper à la place de la nation, ils ont pris d’assaut les artères du centre-ville pour manifester leur mécontentement à travers des barricades, des incendies sur les différentes artères de la ville tout en défiant les forces de l’ordre.

En quittant le quartier Somgandé de Ouagadougou, ce samedi 27 novembre 2021 tout se présentait comme une journée ordinaire. Dès 7 heures, les populations vaquent à leurs occupations matinales, les commerces s’ouvrent tranquillement tandis que le marché s’anime progressivement. Des agents de police et des VADS réglementent la circulation à certains carrefours. A l’approche du cœur de la capitale, au niveau du rond-point des Nations-unies, les premiers dispositifs policiers rappellent que cette journée n’est somme toute pas aussi ordinaire au Burkina Faso.

C’est le jour J, celui pour lequel plusieurs acteurs de la vie publique ont dépensé tant d’énergie et auquel certaines voix attribuent la coupure de l’internet mobile dans le pays. Le jour pour lequel le président du Faso lui-même est sorti de sa réserve habituelle pour inviter ses compatriotes à se démarquer de tous les vendeurs d’illusions. C’est le jour pour lequel plusieurs organisations de la société civile ont donné rendez-vous aux populations à 8 heures, à la place de la nation pour dénoncer la gestion de la crise sécuritaire. La présence policière est de plus en plus forte à mesure que l’on approche de la place de la nation.

Ce n’est pas véritablement la mobilisation des grands jours dès qu’on parvient sur le site du rendez-vous. Mais sur le coup, ce n’est pas le nombre de manifestants qui frappe, mais la mythique place de la Nation qui reste vide de monde. Des gendarmes quadrillent en effet la place. Leurs regards fermes indiquent que le mot d’ordre est clair, l’accès à la place est interdit. Ce que ne s’explique pas une jeune dame, Anaïs Drabo, jean noir et tee-shirt aux symboles du mouvement « Sauvons le Burkina Faso ». Elle parlemente vivement avec un gendarme tandis qu’un petit attroupement se forme autour d’eux. Anaïs Drabo justifie sa volonté ferme de pénétrer dans l’enceinte que les agents lui interdisent.

Membre du mouvement « Sauvons le Faso », Anaïs Drabo (lunettes) a vainement tenté de rallier les forces de l’ordre à sa cause.

« Je suis sortie pour marcher parce que je suis femme de FDS et je n’ai pas envie d’être veuve. Si vous, vous ne pouvez pas sortir, nous allons sortir pour vous. Aujourd’hui je suis prête, et je vais marcher. Je suis là, je ne bouge pas », explique-t-elle. L’agent tente vainement de placer un mot devant le flot de paroles de la manifestante. « Moi je suis votre femme. Je dors avec toi matin-midi et soir pendant plus d’une dizaine d’années, donc de grâce… », poursuit dame Drabo. « Ce qui suppose que normalement vous devez être la première à nous comprendre. Je vous dis quelque chose et vous n’en tenez pas compte », parvient à placer le gendarme alors que l’attention de la jeune dame est attirée par un autre manifestant qui donne une interview aux médias.

« Je veux dire aux gens d’être objectifs. Il y a des opportunistes ici. Il y en a qui scandent ‘’libérez Diendéré’’, ou qui demandent la démission du président du Faso, qu’est-ce qu’un changement de régime nous a apporté ? », s’interroge cet autre manifestant qui dit s’appeler Adama Koné. Il n’en fallait pas plus pour pousser la jeune dame à abandonner « son mari FDS » pour aller remonter les bretelles au jeune homme.

« Que le monsieur ne soit pas là pour raconter autre chose, il ne fait pas partie de notre mouvement. Le mouvement Sauvons le Burkina Faso a un seul mot d’ordre, c’est le départ du chef de l’Etat ! ». Aussitôt un débat s’engage entre les deux manifestants devant les micros des journalistes. Adama Koné revendique son droit de « marcheur libre » pour interpeller le gouvernement à travailler à ramener plus de sécurité dans le pays alors que Anaïs Drabo l’accuse de vouloir saboter le mouvement.

« Les gens ont reçu des valises d’argent pour nous infiltrer », clame-t-elle. Las de ne pouvoir se faire entendre, Adama Koné s’éclipse dans la foule tandis que la jeune dame galvanise ses camarades : « Allons-y ». La place de la nation restant désespérément vide, des leaders essaient de canaliser les manifestants. L’un des membres du « mouvement de la libération », Ramiz Gouem, invite à aller se remobiliser sur l’aire de l’ex-camp fonctionnaire en face de la cathédrale de Ouagadougou pour revenir « conquérir » la place de la Nation.

Mais les manifestants ne suivent pas le mouvement. Au lieu de cela, d’autres meneurs donnent l’ordre de bloquer la circulation. Cet ordre obtient un meilleur écho. Très vite les manifestants sont les seuls à se déplacer sur cette voie entre la BCEAO et la place de la Nation. Certains curieux se frayent un passage pour jauger la mobilisation. « Je suis vraiment content de voir que la mobilisation est très faible.

La place de la Nation est restée désespéramment vide, empêchée d’accès par la Gendarmerie nationale.

Parce que nous sommes dans une situation critique telle que si nous nous désagrégeons, la nation va se détériorer », se réjouit Martial Rigobert Tiendrébéogo pour qui les manifestants se trompent de combat. « La colère est légitime mais le changement d’un président ne résout pas forcément la situation. La lutte contre le terrorisme passe par l’union des hommes, des cœurs, des forces », assure-t-il avant de s’éclipser. Aux alentours de 8h30, des Koglwéogos à bord d’un pick-up et sur des motos sont obligés de rebrousser chemin face à la furie des protestataires.

Chassé-croisé dans les rues

Les gendarmes demeurant imperturbables, les manifestants se déportent sur la place des Cinéastes et bloquent toutes les voies menant à ce rond-point. Aucune stratégie claire ne semble se dessiner. « Je pense que tous ceux qui sont épris de paix, tous ceux qui veulent que la sécurité revienne au Burkina vont rejoindre cette marche», espère Abdoul-Karim Bagagnan dit Lota qui se dit de la coalition du 27 novembre. La compréhension semble au beau fixe entre manifestants et forces de l’ordre depuis ce matin malgré le refus des gendarmes de laisser occuper la place de la Nation.

« Ils sont avec nous, seulement ils ont reçu des instructions. Et nous on attend à ce que notre nombre puisse grossir pour rentrer à l’intérieur de la place de la Nation et embarquer la ville », explique Abdoul-Karim Bagagnan dit Lota. Les minutes passent et le nombre ne semble pas grossir. A défaut de renfort, les manifestants sont ravitaillés en eau et en tee-shirt arborant les symboles des organisations à l’origine de la manifestation. Lorsque quelques minutes plus tard, ils tentent de repartir vers la place de la Nation, un jet de gaz lacrymogène les oblige à retourner sur la place des Cinéastes.

Mains en l’air, ils retourneront face aux gendarmes au son de l’hymne national, le Ditanyè. Une accalmie s’installe pendant laquelle les slogans continuent de fuser. Un peu après 9 heures, c’est la débandade. Les unités de la CRS et de la BAC chargent les manifestants. Les gaz lacrymogènes fusent et la foule se disperse. Les voies sont dégagées mais les protestataires persistent à se regrouper par petits groupes aux alentours de la zone de manifestation. Le grabuge s’installe. Les frondeurs dressent des barricades sur les voies et harcèlent les forces de sécurité.

Ils jettent des pierres aux forces de l’ordre et mettent du feu sur des pneus rassemblés sur la voie. En retour ils reçoivent toujours du gaz qui les fait larmoyer. Les quelques commerces ouverts aux alentours du marché se résignent à fermer et les propriétaires s’organisent pour empêcher leur saccage. Jusque dans la soirée, les manifestants maintiennent le chassé-croisé avec les services de maintien de l’ordre public. A défaut d’occuper la place de la Nation, c’est le service d’état-civil de la mairie centrale et le siège de campagne du parti au pouvoir qui ont subi, entre autres, la colère des manifestants.

Mamadou OUATTARA


Les coulisses de la marche

Quand la police gaze la gendarmerie

Si la première salve de gaz lacrymogène a été lancée par la gendarmerie, c’est bien les unités de la BAC et de la CRS qui ont « martyrisé » les yeux et les narines des manifestants avec leurs fameux projectiles larmoyants. Au moment de dégager la place de la Nation, les unités de la police n’ont par exemple pas hésité à gazer leurs collègues gendarmes derrière qui, s’étaient agglutinés quelques manifestants, mais surtout des journalistes.

Résultat, gendarmes, journalistes et manifestants ont dû libérer les lieux pour soulager leurs yeux. Les gendarmes ont pu néanmoins se consoler avec une plus grande côte de popularité chez les manifestants qui ont loué leur professionnalisme, contrairement aux policiers.


Le siège du MPP pris pour cible

Lors des manifestions du 27 novembre 2021, des manifestants ont pris pour cible le siège de campagne du parti au pouvoir, Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), situé au quartier Nonsin, qu’ils ont tenté d’incendier.

Selon des militants du MPP rencontrés sur les lieux, des jeunes manifestants sont arrivés à motos et à bord d’un mini car dina. « Ils avaient de l’essence, ils ont commencé à brûler des pneus sur la voie. Ceux qui étaient présents au siège pour la veille ont voulu réagir, mais ils ont commencé à être lapidés. Ils ont pu avancer vers le bâtiment, casser les vitres et faire sortir quelques chaises, des fauteuils pour y mettre le feu.

Mais nous avons pu les repousser. Il n’y a pas eu tellement de dégâts, des chaises et quelques documents brulés sous le hall », explique un militant MPP, Olivier Lallogo. Aux environs de 12 heures, un groupe de manifestants s’est encore dirigé vers le siège de campagne du parti au pouvoir. Mais ils n’ont pas pu y accéder, car un dispositif des forces de sécurité était déjà en place.


Deux jeunes présumés manifestants pris au siège du MPP

Après la tentative d’incendie du siège de campagne du MPP, des militants se sont mobilisés pour défendre le siège du parti. « Il y a des attroupements de gauche à droite pour venir brûler notre siège. Il faudrait que nous nous organisions pour sécuriser les lieux », soutient un militant qui a requis l’anonymat.

Si les gens veulent manifester pacifiquement, nous ne nous y opposons pas ; mais s’ils veulent brûler, vandaliser, saccager les maisons des gens, nous allons les en a empêcher, renchérit un autre militant du MPP, Abdoul Kader Sawadogo. Dans la foulée, deux présumés manifestants sont tombés dans les filets des militants du MPP. Considérés comme faisant partie de ceux qui envisagent incendier les locaux du parti, les deux infortunés ont été amenés au siège du parti, où ils ont été interrogés sur leur éventuelle participation au projet d’incendie du siège du parti.

Mais ils ont nié être impliqués dans cette affaire. Ils disent être en partance au travail. Au moment où nous quittions les lieux aux environs de 11h 30 minutes, les deux jeunes étaient encore entre les mains des militants MPP qui fouillaient leurs portables à la recherche de messages et appels suspects.


Des citoyens « pompiers »

Dans certaines rues du centre-ville, des manifestants ont érigé des barricades et brûlé des pneus. Après le passage de ces manifestants, des citoyens jouaient aux sapeurs-pompiers. Avec des bassines, des seaux d’eau, ils éteignaient les flammes et dégageaient les voies. Ces soldats du feu de fortune, facilitaient ainsi la circulation au grand bonheur des Ouagavillois qui vaquaient à leurs occupations !

Rassemblés par

Mamadou OUATTARA et

Mahamadi SEBOGO

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