Marianne Oliver/Dembélé, présidente de la commission spécialisée « Ressources Humaines et règlementation du travail » de la CMB: « La plupart des mines au Burkina Faso ont un taux d’emplois nationaux compris entre 90 et 95% au minimum »

La présidente de la commission spécialisée « Ressources Humaines et règlementation du travail » de la CMB, Marianne Oliver/Dembélé : « Rares sont les postes clés où plus de la moitié des successeurs potentiels ne sont pas des nationaux »

Les sociétés minières industrielles burkinabè emploient directement plus de 15 000 personnes. Malgré sa contribution à la lutte contre le chômage, ce secteur fait l’objet, à tort ou à raison, de critiques souvent acerbes, relative à l’absorption des nationaux dans les emplois miniers, à la faible présence des nationaux dans les postes de cadres, à la différence de traitement salarial entre expatriés et employés locaux. Mais qu’en est en réalité ? Pour en savoir, le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, a tendu son micro à la présidente de la commission spécialisée « Ressources Humaines et règlementation du travail » de la chambre des Mines du Burkina (CMB), Marianne Oliver/Dembélé, par ailleurs responsable Ressources Humaines du groupe Endeavour Mining pour ses opérations au Burkina Faso. Mme Oliver lève également un coin de voile sur les actions menées par la CMB et celles à réaliser par l’Etat pour renforcer davantage l’accès des nationaux aux emplois miniers.

S : L’une des critiques faites au secteur minier burkinabè est qu’il n’emploie pas assez de nationaux. Quel est l’état des lieux des emplois nationaux dans le secteur minier ?

Marianne Oliver/Dembélé (M.O.D) :  Le secteur minier emploi directement plus de 15 000 personnes et indirectement, via les entreprises sous-traitantes, trois fois plus de personnes, soit près de 45 000 personnes. La plupart des mines au Burkina Faso, ont un taux d’emplois nationaux compris entre 90 et 95% au minimum.

Cela dit, le secteur minier burkinabè est relativement jeune ainsi les critiques actuelles sont plus du fait de la perception que certains avaient au début du développement de l’industrie minière dans le pays. Il est très fort probable que ce soit cette image qui perdure dans les esprits

Pour aussi comprendre vraiment les avancées dans cette dernière décennie, il est important de faire une distinction entre la création intrinsèque de l’emploi et la nécessité de promouvoir davantage le talent local burkinabè.

S : Certains trouvent aussi que les nationaux sont plus présents dans les emplois subalternes que dans les postes de cadres. Que répondez-vous à ces critiques ?

M.O.D : Les profils de postes miniers sont des profils très techniques et très pointus. En début d’activité, il est extrêmement important d’asseoir les systèmes et les processus d’exploitation et pour ce faire, le besoin n’est pas que pour le profil qui sait opérer un engin mais surtout pour des experts qui doivent analyser le contexte, comprendre les enjeux, les blocages, les pannes, analyser et prévenir tout type d’incidents, produire selon la planification, et ce, sans incident.

Il faut aussi faire remarquer qu’une mines emplois 60 à 70% d’ouvriers qualifiés, cependant, nous n’avons pas d’écoles de formation suffisamment équipées et dédiées aux métiers de la mine. Certaines institutions académiques privées se sont positionnées sur le segment de la formation aux métiers des mines et l’industrie minière et essaient de permettre d’améliorer les capacités de la main d’œuvre locale. Cependant, ces formations restent à améliorer dans l’élaboration des curricula, en y intégrant une phase pratique.

Ce qui fait que les mines doivent investir davantage en temps et en ressources pour former les nouvelles recrues avant leur insertion dans la mine. La formation se fait donc à même l’activité et avec des situations pratiques. Ceci a l’avantage d’être très concret mais demeure un exercice qui nous prend du temps.

Ainsi, pour qui suit les statistiques, il sera aisé de noter que qu’au cours des 3 à 5 dernières années, les améliorations réalisées sont considérables. Nous avons dans notre portefeuille des mines dont le comité de direction est a plus de 80% national.

Le grand changement est dû premièrement au fait que le secteur s’est mis dans les conditions pour activer les plans de succession, et à ce jour, rares sont les postes clés où plus de la moitié des successeurs potentiels ne sont pas des nationaux.

Les programmes de gestion de talents font également partie intégrante des objectifs de travail dans les grandes mines établies.

Si avant le personnel de supervision était essentiellement non national, à ce jour, sur plusieurs de nos mines, il n’y a très peu de non nationaux aux postes de supervision directe. Toujours dans la logique de promotion du talent national, plusieurs de nos mines ont commencé à promouvoir le retour au pays de candidats burkinabés hautement qualifiés de la « diaspora ». Ce sont des nationaux qui ont fait leurs études en occident et ont justement rien à envier aux non nationaux. Nous avons donc des programmes spéciaux pour leur permettre un retour au pays en remplacement d’une partie du personnel non national.

Enfin, il est aussi important de noter le niveau d’investissement fait dans la formation du personnel national. Il s’élève à plusieurs centaines de millions F CFA sur une base annuelle. Ceci n’est point remarqué car ce sont, en général, des formations non diplômantes mais plutôt des formations très techniques et capacitances.

S : Il y a aussi cette question de la différence de traitement salarial entre nationaux et expatriés…

M.O.D :  La grande différence entre les postes se situe normalement dans le fait que le non national possède très souvent (1) une expertise spécifique dans son domaine (2) ; il ‘exporte de l’expérience et un savoir-faire technique qui n’existe très souvent pas là où il est et (3) il est déplacé loin de sa famille pendant des semaines entières, voire des mois entiers.

Normalement, à expérience égale, la mine préfèrera embaucher le national puisque déjà ceci se différencie par tous les coûts de déplacement. A expérience égale, si un expatrié est maintenu dans la structure, la différence devrait se trouver dans la prime d’éloignement et/ou d’expatriation.

Il est à noter que les DRH sont de plus en plus des nationaux et des francophones qui maitrisent encore mieux nos textes et s’assurent que la rémunération conventionnelle est bien la même. La différence résidera dans les avantages liés soit à l’expertise/expérience, soit à l’éloignement de la famille (ayant comme corolaire le long temps passé sur le site). C’est pour éviter de tels surcoûts que, de plus en plus, des mines mettent en place des plans de relève du personnel expatrié.

S : Quels sont les véritables freins à l’accès des nationaux aux emplois miniers ?

Selon Marianne Oliver/Dembélé de la CMB, le Burkina Faso manque d’écoles de formation suffisamment équipées et dédiées aux métiers de la mine.

M.O.D : Tout d’abord, je pense qu’il faut corriger la perception qu’il y a un frein à l’accès des nationaux à l’emploi dans le secteur minier. Le secteur minier est l’un des rares secteurs qui emploie le plus de personnes du fait des emplois directs et indirects avec les sous-traitants et du fait de l’organisation pratique du travail qui double carrément le personnel pour permettre à une partie de ce personnel de se reposer un temps suffisant pendant que l’autre travaille. La vraie question est l’accès aux postes clés. A ce niveau, il y a effectivement certains obstacles qui ne sont pas insupportables. On peut citer, entre autres :

  • la maitrise de la langue anglaise qui limite les échanges et l’apprentissage ;
  • le manque de structures et/ou d’écoles de formation dans les métiers des mines qui soient à même de former de manière solide les employés en dehors de la formation donnée par le personnel non national qui est souvent pris par l’importante charge de tâches quotidiennes du poste ;
  • le coté très pointu et nécessitant des accréditations internationales de certains postes. Ainsi, une formation sur le poste dans le pays ne suffirait pas à confirmer une compétence qui va bien au-delà de la formation ;
  • la longue expérience, souvent requise pour transformer une formation, une connaissance en compétence peut être vue de prime abord comme un frein ;
  • enfin, le secteur minier requiert des compétences dites ‘soft’ qui sont des capacités interfonctionnelles requises dans la gestion des finances ou dans la gestion des ressources humaines. Souvent, des personnes sont très compétentes sur le plan technique mais pèchent souvent sur les autres aspects qui, dans les faits, comptent autant que la technicité.
  • Cela dit, on observe une vraie tendance où ces obstacles sont de plus en plus levés ; car, on a davantage de nationaux qui ont eu de l’expérience ailleurs ou dans le pays et qui sont à même d’occuper les postes jadis occupées par des expatriés. Le Directeur Général de l’une de nos sociétés minières au Burkina Faso est burkinabè, c’est le premier du genre et nous sommes confiants que d’autres suivront.

S : Certains travailleurs employés dans les sociétés minières par l’entremise des sociétés de placements disent se retrouver avec des salaires nettement en deçà de ce qu’ils devraient avoir. Quel est l’ampleur du phénomène et comment y remédier ?

Pour améliorer l’employabilité des nationaux dans le secteur minier, le Burkina relever impérativement le défi de la formation de qualité et de haut niveau dans ce domaine.

M.O.D :  Le secteur minier est fait d’acteurs de tailles différentes. Certains donnent partiellement un service aux mines et certains donnent des services exclusifs. Ils n’auront pas les mêmes moyens.

Toute entreprise a tout intérêt à payer correctement ses employés pour assurer son attractivité, la rétention des talents et même sa propre survie, via un service de qualité.

Il est donc important pour l’entreprise sous-traitante de traiter ses employés de manière juste et équitable en fonction du revenu. Ceci étant, ces entreprises de placement n’étant pas la mine, elles ont leur politique de rémunération qui tient compte des réalités du marché pour garder leurs employés en sécurité et assurer leur motivation, gage de productivité.

Cela dit, votre question porte sur les sociétés de placement qui sont régies par la loi et à ce que je sache, elles exercent conformément à la législation du travail en vigueur. D’ailleurs, cette pratique n’est pas propre au secteur minier.

S : Qu’est-ce qui est fait au niveau de la Chambre des mines pour promouvoir l’employabilité des nationaux dans le secteur minier ?

M.O.D : La Chambre des mines mène un certain nombre d’initiatives pour permettre aux Burkinabè d’accéder davantage aux emplois dans le secteur de l’industrie minière. A titre illustratif, on peut citer :

  • la mise en commun des moyens de formation pour capitaliser sur l’accès au développement de compétence ;
  • le soutien mutuel ;
  • l’analyse des statistiques et l’alerte en cas de signaux négatifs ;
  • la plateforme de publication des offres d’emploi ;
  • la CMB porte également, en collaboration avec la Chambre de Commerce du Burkina Faso, le projet de création d’une école de formation dans les métiers de la mine.  Nous mutualisons nos efforts avec le CCI-BF pour pouvoir lever des fonds à cet effet.
  • La CMB a eu à faire des déplacements au Canada pour recruter des nationaux ayant fait des études dans le secteur des mines pour les inciter à faire un retour au pays en remplacement de certains non nationaux. Il y a des jeunes burkinabè qui ont été recrutés dans ce cadre et travaillent aujourd’hui dans certaines mines.

S : Quel doit être la part de responsabilité de l’Etat ?

M.O.D : Le rôle de l’Etat pourrait se situer dans les actions suivantes :

  • comprendre les réalités de ce secteur clé pour l’économie du pays ;
  • tenir compte de ses réalités et de ses spécificités dans la rédaction des textes de loi ;
  • mettre en place un vaste programme de formation et de renforcement de capacités des jeunes pour que le transfert de compétences se fasse plus vite et plus sereinement ;soutenir politiquement et financièrement le projet de création de l’école des métiers de la mine ; enfin, accompagner les parties à l’adoption de la convention collective du secteur qui est en discussion depuis 2012 et qui permettra de réduire les risques de conflits sociaux.

 

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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