Mendicité au Sahel: Un danger pour les enfants déplacés

Aboubacar Idrissa : « en mendiant, mon objectif, ce n’est pas l’argent, mais avoir de la nourriture ».

La crise sécuritaire a occasionné un déplacement massif des populations à Dori, chef-lieu de la province du Séno. Confrontés à plusieurs difficultés surtout alimentaires, les enfants pensent trouver leur « salut » dans la mendicité. Sans protection, livrés à eux-mêmes, errant dans les rues, ils sont exposés à toutes sortes d’abus…

Dans les restaurants, marchés, gargotes, maquis…de Dori, de nombreux enfants y errent et sans destination fixe. Sans domicile fixe, comme Amadou Gian, déplacé interne, leur présence dans ces lieux n’est pas fortuite. Devenus à tort ou à raison des mendiants, ils sont à la recherche de leur pitance quotidienne.

Contraint de fuir les forces terroristes, Amadou Gian, 10 ans, a trouvé refuge à Dori, il y a quelques jours. « Enrôlé » dans un foyer coranique, avec la « bénédiction » de son maitre, il a pris plaisir à mendier pour se débarrasser de la faim et de la soif qui le tenaillent à longueur de journée.

« Mes parents ne s’occupent pas de moi et m’ont confié à un marabout. Lorsque, je mendie, souvent je peux avoir 500 F CFA par jour, des fois, pas plus de 25 F CFA. Je mendie pour m’acheter des beignets », lance-t-il avec un large sourire.

Ce gamin sait que mendier n’est pas une pratique recommandée surtout pour un enfant de son âge. Mais, il dit ne pas avoir le choix parce que s’alimenter pour lui est une question vitale. C’est le même argumentaire qui maintient Aboubacar Idrissa (17 ans), dans les rues de Dori.

Dans sa fratrie, s’assurer un repas quotidien est un véritable casse-tête pour chacun des membres. « Je sors pour mendier parce que nous sommes nombreux dans notre tente et il n’y a pas à manger. Lorsque je sors, mon objectif, ce n’est pas l’argent, mais, la nourriture. Si par chance, je gagne de l’argent, je le garde.

Lorsque ma collecte est assez suffisante, je m’achète des vêtements », se justifie-t-il. La crise sécuritaire a engendré un déplacement massif des populations vers la province du Séno. Selon la Direction régionale de l’action humanitaire du Sahel, au 31 août, cette localité comptait 114 904 déplacés dont 62 221 enfants de moins de 18 ans et 19 742 enfants de moins de 5 ans.

« Mendier vaut mieux que voler »

Dans la capitale du Liptako, Dori, des dizaines d’enfants s’adonnent à la mendicité pour survivre. Refugiée depuis deux ans à Yanrala, dans le secteur 5, se loger et s’alimenter, est la préoccupation de Soudré Salamata. « Depuis le mois du jeûne musulman, en mai, je n’ai rien reçu comme aide alimentaire.

Mendier n’est pas bon. Si tu n’as pas à manger, c’est obligé que tu mendies pour ne pas voir tes enfants pleurer de faim. Mendier vaut mieux que voler. Je prie que les enfants qui mendient ne deviennent pas des voleurs », soutient la rescapée des attaques de Tchekaledji. La famille de la quadragénaire, Talato Sébogo, est forte de 16 membres, (femmes, enfants, belles-filles…). Difficile pour la déplacée de Galolé, à quelques encablures de Gorgadji, d’assurer leur pitance quotidienne comme d’antan.

Tendre la main aux bonnes volontés n’est toujours pas une initiative heureuse pour elle et les siens. « Ma principale préoccupation est comment, nous nourrir. Souvent, on me donne 1000 F CFA ou rien. Certaines personnes me donnent à manger, d’autres rien. Mon dernier don alimentaire de l’Action sociale remonte au mois du jeûne en mai dernier », relate-t-elle. Face à ces difficultés, Talato Sébogo s’est résolue à rejoindre ses fils dans la rue pour toujours tendre la main. « A Dori, les gens nous aident.

Mes enfants sont tous sans emploi et n’ont pas appris un quelconque métier pour l’exercer », regrette-t-elle. Cette situation, estime-t-elle, est imputable au nombre élevé de Personnes déplacées internes (PDI) qui n’ont pas tous accès à l’assistance alimentaire, donc, difficile de les aider tous.

Insuffisance de l’aide

Lorsqu’on parle d’insuffisance de l’aide, cela peut se comprendre à plusieurs niveaux, affirme le Directeur régional de l’action humanitaire du Sahel, Lassané Ouédraogo. Pour l’assistance alimentaire, précise-t-il, certains PDI reçoivent des céréales et d’autres en lieu et place des vivres, ont de l’argent pour s’en acheter.

« Il y’a des personnes parce qu’elles ont des vivres et pas l’argent, estiment qu’elles n’ont pas tout sans comprendre que ceux qui prennent l’argent, c’est en compensation des vivres », regrette-t-il. L’Action sociale apporte son aide, mais c’est insuffisant, à cause du nombre élevé de personnes, estime Sébogo Pogtida.

« Les communautés-hôtes ont toujours exprimé leur soutien aux PDI. Ils font des efforts dans la générosité. Pour l’aide sociale, nous recevons un sac de mil ou un demi sac pour une quinzaine de personnes.

Il faut se débrouiller avec sa famille », affirme-t-elle tout en justifiant que le manque de ressources alimentaires peut être source de mendicité. Pour Lassané Ouédraogo, la mendicité au Sahel est un phénomène qui a toujours existé avant le déplacement des populations.

Avant l’arrivée des PDI, la ville de Dori avait déjà un nombre très élevé d’enfants vivant dans la mendicité, avoue-t-il. Ce phénomène a existé avant cette situation de déplacement des populations, insiste-t-il.

De l’avis du Président de la section du MBDHP/section Séno, Hoeffi Dicko, la mendicité est un réel problème qui met en insécurité totale ces enfants.

Il clarifie : « je peux reconnaitre que peut être qu’avec la situation, le phénomène s’est aggravé. Aujourd’hui, de nombreuses écoles sont fermées, des enfants qui, en principe devraient être à l’école, se retrouvent dans la rue. Mais, lier la mendicité à cette situation sera difficile ».

Fuyant les violences terroristes, India Amidou Diallo, (17 ans) a quitté Fada N’Gourma, en solitaire pour espérer une vie meilleure dans cette partie sahélienne du pays. Sans gêne, boite en main, tenue vestimentaire délavée, il avoue fièrement être content de mendier, même s’il reconnait que la mendicité est négative pour un enfant. Il est prêt à arrêter à condition que quiconque lui garantisse ses repas quotidiens.

Responsabilité parentale

La mendicité des enfants est un phénomène à plusieurs niveaux de responsabilité, affirme le Directeur région du ministère en charge de l’action humanitaire. D’abord, dit-il, les parents doivent être les premiers responsables des enfants. « Nous avons vu des cas où les marabouts sont allés dans les villages. Ce sont les parents qui ont donné les enfants sans savoir où on les amène et qu’est-ce qu’ils vont y faire.

Celui qui devait être le premier responsable à assurer la protection de l’enfant, s’il a de tels comportements, cela devient très difficile », déplore Lassané Ouédraogo. Pour preuve, explique-t-il, en 2020, avec les services de sécurité, au moins 4 marabouts qui étaient en train de convoyer des enfants à Ouagadougou ont été interceptés. Des effectifs importants de 17, 21… enfants ont également été interceptés à Gorgadji, Djibo…lors de leur transport vers des destinations inconnues.

« Il faut que les maitres coraniques, ceux qui prennent ces enfants puissent avoir un minimum de responsabilité. Lorsqu’on prend des enfants et on sait qu’on n’est pas à mesure d’assurer leurs besoins élémentaires, on manque à son devoir de protection. Parce qu’on prend les enfants pour les éduquer, donc forcément, il faut leur assurer une certaine protection », insiste M. Ouédraogo. Malheureusement, regrette-t-il, de nombreuses écoles sont fermées et les enfants se retrouvent dans la rue.

Menaces terroristes

Extirper les enfants des rues a toujours été une équation difficile à résoudre au pays des Hommes intègres. De l’avis du Président de la section du MBDHP/section Seno, Hoeffi Dicko, la mendicité est un réel problème qui met en insécurité totale ces enfants parce qu’ils sont exposés à la violence, la consommation de la drogue… M. Dicko de confirmer que la mendicité a toujours existé et peut être qu’elle s’est accentuée avec la crise sécuritaire qui s’aggrave de jour en jour.

« A Wendou, nous avons plus de 5 000 déplacés. Si, toutes ces personnes doivent attendre les dons, elles ne peuvent pas être satisfaites. L’aide n’est pas suffisante, il faut donc l’augmenter », s’indigne Hoeffi Dicko.

Dans ce contexte d’extrémisme violent, ils sont exposés à être enlevés et enrôlés par les groupes armés surtout qu’on parle de plus en plus de la jeunesse des combattants terroristes, prévient M. Dicko.

« Pour le cas de Solhan, il semble que ce sont des enfants qui ont mené l’attaque. Cela laisse voir le risque que les enfants se retrouvent sur ce terrain », informe le Directeur régional de l’action humanitaire du Sahel.

Le rapport sur l’analyse du niveau de risque des enfants recrutés par les groupes d’oppositions armées au Mali, Burkina et Niger du Groupe d’études et de recherche sur les migrations avec l’appui de Save the Children publié en juillet 2021, révèle que les groupes armés djihadistes profitent de la relative paralysie du système éducatif et de la situation économique précaire au Burkina Faso, au Mali et au Niger pour procéder au recrutement massif de nombreux enfants et jeunes.

Soudré Salamata, PDI à Yanrala : « mendier n’est pas bon. Si, tu n’as pas à manger, c’est obligé que tu mendies pour ne pas voir tes enfants pleurer de faim».

Sans s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité et sans investir davantage dans des solutions multidimensionnelles à la crise, toute une génération d’enfants risque de voir leur survie, leur éducation et leur protection détruites, indique le rapport. En effet, dans le Sahel, des groupes armés recrutent et emploient des enfants, certains âgés de sept ans environ, selon le rapport.

« Lorsque je devais rejoindre le groupe de Dicko, je n’ai dit à personne. Je ne voulais pas que les gens soient au courant de mon projet. Au niveau du groupe armé, nous étions de nombreux enfants et jeunes. On nous demandait de faire des tâches précises et on les faisait sans rechigner.

Dans le groupe armé, j’espérais y trouver de meilleures conditions de vie mais, je me suis rendu compte qu’être dans un groupe armé me faisait plus de tort que de bien. J’ai décidé d’arrêter et de partir lorsque je me suis rendu compte des difficultés sans fin ! Dans le groupe armé, les enfants ne sont pas respectés, ils n’ont aucune opinion, rien, il faut respecter les instructions.

Les conditions étaient extrêmement difficiles, on n’avait presque rien à manger, on n’avait pas où dormir. On était tout le temps dans la brousse. Ce sont les autres qui partaient attaquer et lorsqu’ils ramenaient quelque chose à grignoter on mangeait mais mis à part cela les conditions de vie étaient insoutenables. J’ai passé deux ans dans le groupe de Dicko avant de quitter.

J’ai quitté ce groupe parce que je n’ai rien vu qui me motive. Les valeurs qui m’ont été inculquées ramaient à contre-courant. Je me suis rendu compte que j’étais en train de faire du mal. Depuis que je suis revenu en famille, je vis bien par la grâce de Dieu et je ne pense pas repartir un jour dans le groupe », témoigne I.I., un ex-combattant, originaire de Gankouna, cité dans le rapport.

Toujours dans le rapport, A.A., frère d’un ex-combattant de confier : « Mes deux frères âgés de 17 et 21 ans ont refusé d’être interrogés parce qu’ils ne veulent pas avoir des problèmes. Ils disent qu’ils ne veulent plus se rappeler de ce qu’ils ont vécu dans les groupes armés.

Personnellement, je respecte leur choix, car lorsqu’ils ont intégré le groupe Ansaroul Islam de Imam Dicko, ils étaient très jeunes. Ils sont restés pendant une année dans le groupe Ansaroul Islam de Imam Dicko. Ils l’ont rejoint par l’intermédiaire de leurs amis qui les fréquentaient ».

Le recrutement des enfants et des jeunes est souvent facilité par les pressions économiques voire sociales et le besoin de protection. Le document de Save the Children revèle également qu’environ 2,3 millions d’enfants ont besoin d’une protection en 2020. Il précise que 8 enfants sur 10 dans le Sahel central subissent des violences. Il a été vérifié que quelques 7 747 enfants dans le monde, y compris les pays du Sahel, dont certains n’avaient que 6 ans, ont été recrutés et utilisés.

« La tendance dans cette région est que, de plus en plus d’enfants sont victimes d’enlèvements, de meurtres, de recrutement et d’utilisation par des groupes armés (…). Les enfants sont recrutés diversement par les groupes armés : le recrutement volontaire, le recrutement par association avec les familles ou tuteurs, l’enrôlement forcé, etc. Les groupes armés utilisent les enfants pour toutes sortes d’activités et ils entrainent les enfants à la manipulation des armes et les préparent à prendre une part active aux combats.

Selon le DR de l’action humanitaire du Sahel, Lassané Ouédraogo, des d’actions sont menées pour que les enfants ne tombent pas
aux mains des groupes terroristes.

Garçons ou filles, les enfants sont au cœur de la stratégie de guerre des groupes armés qui les utilisent pour les besoins de la guerre sans toutefois respecter leur droit », souligne les rapporteurs. Cette crainte d’un enlèvement forcé, habite régulièrement, Hama, (11 ans) qui dit mendier avec plaisir. « J’ai peur qu’on me fasse du mal vu qu’avec mes amis, nous entrons partout pour espérer avoir à manger», s’inquiète-t-il.

Protéger les enfants

Dans le cadre de la protection des enfants, plusieurs actions sont menées pour que les enfants ne tombent pas aux mains des groupes terroristes et quittent la mendicité. Réunis au sein de la cellule communautaire de protection des enfants, des acteurs communautaires sont organisés dans les secteurs, villages pour des séances de sensibilisation et d’identification des cas de violences pouvant être référés vers les services techniques de l’Action humanitaire.

« Aujourd’hui, nous avons des zones difficiles d’accès et à travers cette cellule des cas sont identifiés et référés au service pour la prise en charge. Ces cellules sont également installées dans les zones d’accueil des PDI pour contribuer au niveau communautaire, à protéger les enfants. A notre niveau, nous travaillons pour la scolarisation, l’offre des bourses…pour la gestion et protection des enfants, etc.

Toutes ces actions contribuent à minimiser les risques de violences sur les enfants », rassure DR Lassané Ouédraogo. Le Président de la section du MBDHP/section Séno, Hoeffi Dicko, soutient aussi qu’il faut renforcer le dispositif de protection des enfants. Un autre constat, c’est la présence des petites filles dans la mendicité. « Quand les petites filles mendient, cela finit par la prostitution.

C’est vraiment un réel problème sur lequel, il faudra se pencher », insiste-t-il. Il faudra que le ministère de l’Action sociale réactive son projet de ramener ces enfants de la rue dans les centres. « Des personnes de bonne volonté, des ONG, associations…essaient de faire ce qu’elles peuvent pour ces enfants. J’en connais qui ont inscrit volontairement des enfants à l’école, des associations qui essaient de s’occuper d’eux.

Mais, c’est toujours mieux lorsque cela est encadré, suivi par le gouvernement », soutient M. Dicko. Aux parents de ces enfants, il les a priés de ne pas exposer les tout-petits sous le prétexte de la pauvreté. Mais, précise-t-il, les PDI sont des Burkinabè qui ont des droits et il faut que le gouvernement s’occupe bien d’elles.

Abdel Aziz NABALOUM

emirathe@yahoo.fr


“Sauvons-les, à tout prix”

La mendicité constitue un frein au développement et à l’épanouissement des enfants. Malheureusement, la crise sécuritaire a accentué ce phénomène auquel s’adonnent des dizaines d’enfants dans cette partie sahélienne du pays. Au regard de leur fragilité, des initiatives doivent être prises pour extirper ces enfants de la rue et leur assurer une protection, une éducation…afin de leur garantir une vie meilleure. Sinon, ils peuvent être de potientiels combattants pour les groupes armés terroristes qui n’hésitent pas à enrôler les enfants pour grossir leur rang, tout en foulant aux pieds les droits élementaires de ces mômes…

A.A.N

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