«Nous allons porter le taux de transformation de nos matières premières à 25% »

Ancien militant de l’Association nationale des étudiants du Burkina, doctorant en business administration, précédemment président du conseil d’administration de Think Tank international, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, Harouna Kaboré, a été l’invité de la Rédaction, courant septembre 2019. Pendant une heure, il a répondu, sans détour, aux questions des journalistes sur les récentes mesures de suspension de l’importation du sucre, de l’huile alimentaire, mais aussi sur la fraude, son engagement militant, les échéances électorales de 2020…

Sidwaya (S.) : La marche de l’Union d’action populaire du 16 septembre a été dispersée. En quoi cette manifestation était de nature à troubler l’ordre public ?

Harouna Kaboré (H.K.) : Je voudrais remercier le directeur général des Editions Sidwaya et l’ensemble de son personnel pour l’accueil chaleureux qui m’a été réservé. J’ai vu plusieurs travailleurs déterminés. J’ai vu aussi les conditions de travail, ce qui m’a permis de m’imprégner de vos réalités. Je profite de votre journal pour rendre hommage à tous ceux qui ont été victimes du terrorisme, apporter toujours notre soutien et compassion aux familles des victimes et inviter les Burkinabè à se mobiliser derrière les Forces de défense et sécurité pour défendre la patrie et créer les conditions de la démocratie. Pour répondre à votre question, qui dit démocratie, dit devoirs et droits et qui dit devoirs et droits, dit support sur lequel on devrait pouvoir s’appuyer pour avancer. Ce support, ce sont les textes et lois, les valeurs et règles de la République. C’est l’ensemble donc de tout le corps législatif qui nous permet de fonctionner et de règlementer la vie publique. Pour ce fait, les évènements liés à la date du 16 septembre 2015 qui est une date historique d’autant plus que le peuple burkinabè, de façon héroïque, s’est uni contre le non-respect de la loi, d’autant plus que c’est un arrêt brusque d’un processus normal contre lequel le peuple burkinabè s’est battu pour que les lois et règlements de notre pays soient respectés afin que nous allions à des élections libres et transparentes. Quelles que soient la situation et les divergences, si nous travaillons à respecter la règlementation de part et d’autre, on devrait pouvoir éviter beaucoup de situations. La seule solution, c’est la communication, le dialogue. S’il y a des incompréhensions, on doit dialoguer pour permettre que les activités se déroulent normalement afin que les droits des uns ne soient pas bafoués et jouir de la liberté de manifester, la liberté syndicale dans le but de réclamer de meilleures conditions de vie. Mais tout ceci dans un dialogue républicain.

S. : Cette répression des manifestants ne va-t-elle pas contribuer à radicaliser le front social ?

H. K. : Les syndicalistes burkinabè sont responsables. Ce sont des acteurs aussi qui ont toujours contribué à ce qu’il y ait †beaucoup de liberté et d’amélioration des conditions de vie dans notre pays. Et cela se fait toujours dans une discussion franche et un dialogue fécond avec le gouvernement. Pour moi, le fil du dialogue n’est pas du tout rompu. Il peut y avoir par moments des montées de fièvre, mais on va continuer à discuter.

S. : Vous venez d’interdire la commercialisation des alcools frelatés en sachet. Qu’est-ce qui a motivé cette action ?

H. K. : Depuis des années, notamment à travers la presse, nous avons été interpelés sur ce fléau. Ceux qui importent ces produits sont également interpelés. Certaines communes ont même pris des mesures avec délibération en conseil municipal pour interdire ces boissons frelatées, parce qu’elles déciment les populations des villes et campagnes et détruisent en particulier une frange de la jeunesse. La consommation de ces alcools a un impact économique parce que vous avez des personnes totalement dépendantes qui sont inaptes à mener des activités économiques, alors que ce sont des bras valides. Elle a également un impact sanitaire, parce que les consommateurs sont des personnes dont il faut s’occuper car étant sous l’effet de ces stupéfiants, cela est dangereux pour la quiétude et la sécurité de la population. Plusieurs actions de sensibilisation ont été menées et nous nous sommes appuyés sur la loi 016 sur le commerce, précisément sur son article 64 qui donne la possibilité de prendre des mesures et de les appliquer sans préavis et sans délais à l’effet de protéger les populations si on juge que le produit concerné est nocif à la santé publique. Aujourd’hui, nos équipes sont véritablement mobilisées sur le terrain pour ramasser l’ensemble des sachets du CPUT à travers le pays. Il y a un travail de fond qui est fait sur l’ensemble du territoire pour retirer de façon définitive ces sachets de la circulation, en dehors de Dori et de Fada où nous avons eu des difficultés pour coordonner avec les Forces de défense et de sécurité (FDS). Là où nous n’avons pas pu, nous avons sellé les magasins, ce qui nous permettra d’éviter d’inonder notre pays de ces boissons dangereuses. En clair, la consommation de la boisson n’est pas interdite au Burkina Faso. Mieux, beaucoup de commerçants qui interviennent dans ce domaine exercent leurs activités avec responsabilité. Ils sont eux-mêmes demandeurs d’accompagnement pour assainir le secteur.

S. : L’on sait que les commerçants changent généralement de stratégies. Quelles sont les dispositions prises pour faire respecter la mesure ?

H. K. : La vente de l’alcool n’est pas interdite. Un agent de l’action sociale a soutenu un Master sur la consommation de cet alcool à Tiébélé. Le tableau qui m’a été présenté, en plus de ce que nos services font, il n’y a pas un seul de ces sachets dont la teneur n’atteint pas 40% d’alcool. Quand vous regardez les instructions sur ces sachets, vous verrez que les doses ne sont pas respectées. Lorsque vous êtes amené à trouver 10 000 ou 15 000 F CFA pour payer une bouteille de liqueur, ou que vous consommez l’alcool de façon responsable, cela n’est pas interdit. Mais les sachets de 25 ou 100 F sont très accessibles mais très nocifs pour la santé. Il s’agit donc de réduire l’accessibilité de ce type d’alcool parce que l’importation aussi est interdite. Nous travaillons aussi sur un cahier des charges sur l’importation des bouteilles pour que les indications sur les emballages soient respectées et que nous soignons rassurés de leur composition.

S. : Qu’en sera-t-il des contrôles aux frontières ?

H. K. : De concert avec la douane, nous allons accentuer les contrôles de ces produits, avec l’aide des populations, les dénonciations et l’apport des communes. Aujourd’hui, les maires sont la police des communes. Un grand travail est en train d’être fait pour réduire le phénomène au fur et à mesure afin de le contenir.

S. : Des boissons de grandes marques sont aussi contrefaites. Comment comptez-vous étendre la mesure à cette contrefaçon ?

H. K. : Avant cette mesure, la direction du contrôle des prix et de la règlementation et les brigades mobiles faisaient déjà le contrôle des unités industrielles dans tous les domaines, notamment dans la boisson, l’huilerie, pour nous rassurer des normes de conformité. Le nouveau cahier des charges que nous sommes en train d’élaborer va aller plus loin pour juguler le problème, parce que dans le domaine industriel et alimentaire, il y a des règles, des taux et une hygiène à respecter. Mieux, lorsque nous avons rencontré les acteurs du domaine industriel, nous nous sommes engagés à les accompagner. Le but, ce n’est pas de fermer des usines, mais de les accompagner à se mettre aux normes et d’assainir le secteur.

S. : Vous êtes récemment parvenu à imposer des images sur les paquets de cigarette. Comment avez-vous
procédé ?

H. K. : Nous avons procédé par une concertation d’abord en rappelant aux uns et aux autres que les marquages sanitaires doivent être faits. Nous avons mis ensuite un groupe de travail au ministère au terme duquel un guide a été élaboré, validé avec l’ensemble des acteurs. C’est sur la base de ce guide qu’on a adapté le projet de décret ou de l’arrêté qui est introduit, de concert avec ma collègue de la Santé, en Conseil des ministres, pour adoption. Nous avons signifié aux marqueurs et aux industriels qu’à partir du 31 mai 2019, l’autorisation d’importer du tabac ne sera plus délivrée. Après, nous avons informé qu’à partir du 31 juillet, la mesure rentrait en vigueur. Aujourd’hui, il peut encore exister sur le marché quelques cartouches où vous n’avez pas le marquage mais c’est définitivement réglé. Le maître mot, c’était la concertation et le dialogue. Ce sont les lois de la République qui doivent être respectées. Cette mesure a été prise avec l’implication des industriels, des distributeurs, des marqueurs et des associations de lutte contre le tabac notamment l’Association contre le tabac (ACONTA).

S. : Est-ce qu’il suffit d’imposer une image dite choquante sur un paquet de cigarettes pour dissuader les fumeurs ?

H. K. : Nous n’avons même pas la prétention de dire qu’une seule mesure suffit. La loi de finances 2018 prévoyait une augmentation de la vente du tabac. Nous avons pris l’ensemble des arrêtés nécessaires pour l’augmentation des prix, les images, la sensibilisation par les associations de lutte contre la consommation du tabac. La liberté individuelle étant garantie, les gens ont le droit de faire ceci ou cela, mais l’Etat doit jouer sa partition parce qu’il a signé des conventions internationales.

S. : Il est interdit aux enfants de vendre et d’acheter des cigarettes. Est-ce qu’il y a des mesures pour protéger cette frange de la population qui fume ?

H. K. : C’est une combinaison de mesures qui permet d’atteindre un objectif. La ministre en charge de la Solidarité travaille déjà pour sortir des enfants de la rue qui sont exposés à ce phénomène. Nous faisons en sorte aussi qu’il y ait des sensibilisations pour que les parents prennent le relais. Un travail est fait sur le plan éducatif avec nos enseignants. Ils expliquent ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas. C’est la combinaison de l’ensemble de ces mesures et des actions répressives qui peuvent juguler le phénomène. Le tabac est ravageur et la preuve, c’est écrit sur le paquet ‘’la fumée tue’’.

S. : Vous avez également procédé à la suspension de l’importation de l’huile et du sucre. Ne privez-vous pas ainsi les Burkinabè d’avoir le choix ?

H. K. : Le choix est garanti. En matière de liberté, il y a des droits et des devoirs. Ce sont des textes qui sont appliqués dans notre pays et le vivre en société, c’est aussi appliquer ces instruments juridiques. En ce qui concerne le sucre, nous avons une consommation nationale de 120 mille tonnes. La SOSUCO produit autour de 30 000 tonnes. Donc, il n’est pas interdit au Burkina d’importer autre type de sucre. Nous voulons booster la consommation locale en sortant notre sucre et en commandant le gap de 90 000 tonnes. Mais dans les 90 000 tonnes, les Burkinabè ont une variété de choix proposé. Ce n’est donc pas en opposition du choix, mais cette mesure vise à tirer les unités industrielles vers le haut. Il en est de même pour l’huile alimentaire. 50 000 tonnes sont produites sur le plan national, pour une consommation de 100 000 tonnes. Nous avons ainsi la latitude de commander d’autres types. Nous donnons aux Burkinabè le choix de consommer local et de continuer à avoir de l’huile venue d’ailleurs. Des huileries qui étaient un peu en berne à Bobo-Dioulasso vont se relever et la mesure va encourager les banques à les accompagner. Au niveau de la SN SOSUCO, cela va permettre de faire un investissement supplémentaire pour améliorer l’outil de production. D’autres sociétés de sucre du côté de Bagrépôle nous ont approché. Si vous voulez industrialiser le pays, transformer la matière première locale, créer davantage d’emplois, il faut aussi prendre des mesures encourageantes.

S. : Il y a le facteur prix qui fait que les gens ont tendance à acheter le riz ou le sucre qui vient d’ailleurs…

H. K : Le riz et le sucre ont des prix règlementés. Aujourd’hui, il y a un texte qui régit le paquet de sucre. Il est vendu à 750 F et est dans le pouvoir d’achat des Burkinabè. Le prix du bidon d’huile est à peu près à 13 514 F CFA et 700 F le litre. Si un commerçant est capable d’importer et de vendre en deçà de ces prix, c’est la loi du marché. Les valeurs de référence en matière de dédouanement du sucre tournent autour de 190 000 F CFA. Les prix à l’international sont connus. Si vous vendez le sucre à l’international, vous dédouanez à la valeur de référence, vous ne pouvez que vendre moins cher. Si vous importez l’huile telle qu’elle est vendue à l’extérieur en respectant les textes du dédouanement au Burkina Faso, vous ne pouvez pas vendre moins cher que la SN CITEC. Ce n’est pas parce que le produit est de l’extérieur qu’il est moins cher. Il faut déjà exclure cela du raisonnement des uns et des autres, parce que c’est totalement faux. C’est la fraude qui permet aux commerçants de vendre moins cher. Cela donne l’impression que c’est notre production nationale qui est chère. Nous avons des projets d’entrepôts qui sont prévus pour 2020. Nous avons commencé à augmenter le nombre de véhicules pour combattre la fraude et la contrefaçon.

S. : Est-ce que la suspension d’importer ne va pas amplifier la fraude ?

H. K. : Une politique de ce type nécessite l’ensemble des mesures qu’il faut. Avant qu’il n’y ait cette mesure, nous combattions déjà la fraude.   En effet, la Direction générale du contrôle et de la répression de la fraude, une des directions centrales du ministère du Commerce, a subi une réforme qui consiste à lui donner une emprise sur le plan national à travers la création des brigades mobiles, coordonnées par un secrétariat permanent, d’une direction de l’investigation et plus de moyens. L’adoption de nouveaux textes à travers la commission nationale de la concurrence pour règlementer le secteur, l’intensification du travail de la douane à travers l’informatisation du système de dédouanement et les guichets uniques permettent d’aller de l’avant dans la lutte. L’ensemble de ces mesures combinées avec la lutte pour que nos frontières soient moins poreuses concourent à réduire la fraude dans les proportions de 3 à 5%. La fraude devient dangereuse lorsqu’elle atteint des proportions de 20 à 30%.

S. : A quand la relance effective de Faso fani ?

H. K. : Le processus est engagé. Faso fani, c’est un projet privé qui s’appelait Faso tex qui a décidé donc de relancer leur Faso fani. Il s’est retrouvé dans des problèmes et nous avons décidé de l’accompagner. Ces problèmes étaient de deux ordres : financier, notamment une dette de 2 milliards de F CFA avec un pool bancaire composé de la BCB et ECOBANK, et sa créance avec l’Etat à hauteur de 800 millions pour l’achat de la cité universitaire. Il demandait aussi un rabattement de la dette qui avait gonflé au regard du temps mis. Une autre difficulté du repreneur était de trouver un opérateur technique. Avec l’aide d’un Burkinabè ayant travaillé en Inde, nous avons réussi à trouver un opérateur technique qui s’appelle GMD, un groupe indien qui a créé aujourd’hui Faso Fani GMD pour pouvoir repartir sur de nouvelles bases. Nous avons obtenu, grâce aux discussions avec le pool bancaire, un rabattement de 30% financier, soit une dette de 2 milliards. L’Etat, en fin décembre 2018, a payé les 800 millions de francs CFA. Nous avons décidé de l’accompagner avec le code des investissements. Il y a eu un protocole d’accord tripartite stipulant les obligations de chacune des parties. Une étude de faisabilité a montré les différentes étapes à suivre. Il y a une équipe qui travaille sur le volet financier et souhaite reprendre les travaux proprement dits à la fin de la saison des pluies. En fait, il s’agit du calendrier qui nous a été proposé par l’opérateur privé GMD. Il faut préciser que l’Etat n’a pas la main à 100% sur le processus. Lorsqu’il doit faire appel à des acteurs privés, il compte sur leur bonne foi. C’est le lieu de vous inviter à les sensibiliser au respect des calendriers sur lesquels ils se sont engagés. Faso fani nous tient à cœur et nous sommes même en train de faire d’autres projets dans la région notamment le projet A-STAR qui aura une emprise à Ouagadougou mais des ateliers à Koudougou et Bobo-Dioulasso. A la faveur de la TICAD, nous avons discuté avec MAROBENI, qui est arrivé au Burkina le 23 septembre 2019 pour discuter avec la SOFITEX, FILSAH, la Chambre de commerce et d’industrie en vue de l’implantation d’une unité de filature.

S. : Où en est-on avec l’usine de transformation de tomate de Loumbila ?

H. K. : L’usine de transformation de tomate à Loumbila est un projet qui tient à cœur les Burkinabè parce qu’on produit suffisamment de tomate qui pourrit souvent dans les champs ou fait l’objet d’achat bord champ alors que cela ne profite pas aux producteurs et productrices. Ce sont ces raisons qui ont motivé la mise en place de l’unité de la STFL qui va transformer la tomate et la mangue. Malheureusement, il y a eu beaucoup de problèmes concernant l’unité et une mauvaise gestion du projet. Pour mettre en œuvre l’axe 3 du PNDES, il a été décidé de continuer le projet. Il y avait deux problèmes à savoir, l’absence des ressources pour continuer et la nécessité d’évaluer pour savoir si le projet en lui-même tient sur le plan industriel. Nous nous sommes rendu compte que la chaîne de fabrication des boîtes de tomate était manuelle. On s’est rendu compte aussi que l’approvisionnement en mangue n’était pas aussi évident comme prévu. Nous avons quand même décidé de maintenir le projet en automatisant la chaîne de la production des boîtes, et en se disant que l’on pourrait avoir d’autres types de confinement qui pourraient être vendus si les tomates doivent transiter par les sites de prétraitements que sont Gourcy, Yako et Ouahigouya. Nous avons réussi à mobiliser le financement en fin d’année dernière à hauteur de 8 millions d’euros, soit près de 4 milliards de F CFA et nous avons repris langue avec l’entreprise qui avait démarré le projet. C’est un financement BIDC mais à la base c’est EXIM Bank Inde qui accompagne la BIDC. Nous discutons pour nous entendre sur le montant final et nous avons bon espoir que d’ici au dernier trimestre, on devrait démarrer. A côté de cela, nous sommes en train de travailler sur la mise en œuvre de trois sites de prétraitements pour lesquels nous avons des financements. Le processus de transformation de notre matière première continue. Nous avons une politique d’industrialisation du Burkina et si la stratégie est mise en œuvre, nous allons porter le taux de transformation de nos matières premières à 25% et cela s’appelle l’industrialisation. J’entends beaucoup de sceptiques mais si nous arrivons à porter le taux de transformation de nos matières premières à 25%, nous allons créer une pépinière de PMI/PME et cela fera du Burkina un pays industrialisé.

S. : Le Burkina Faso depuis l’année passée a renoué des relations avec la République populaire de Chine. Quels sont les projets que vous avez avec ce nouveau partenaire ?

H. K. : Sur le plan commercial, il faut dire que les Burkinabè commerçaient déjà avec la Chine. Le rétablissement des relations diplomatiques permet de régler un certain nombre de choses comme la venue de Chinois ici ou le départ de nos ressortissants là-bas. Nous pouvons aujourd’hui exporter un certain nombre de produits à taux zéro, et nous sommes en train de travailler sur les certificats pour éviter que nos produits arrivent en Chine à des coûts exagérés et donc moins compétitifs. Nous pouvons aussi avoir la possibilité de bénéficier de certains types de financements et d’interventions en «joint-venture» et de l’ensemble des projets sous régionaux développés par la Chine dans l’espace ouest-africain tels que les infrastructures dans le cadre de la route de la soie.

S.: Vous vous réclamez acteur de l’insurrection populaire d’octobre 2014. Avec l’évolution de la situation sociopolitique nationale, êtes-vous toujours fier d’avoir contribué au départ du président Blaise Compaoré ?

H. K. : L’évolution de notre pays est faite de beaucoup de luttes. Le point commun de ces luttes, c’est plus de liberté, de démocratie et de développement. En 1932, notre pays a été morcelé et rattaché à d’autres pays. Nos devanciers se sont battus, et en 1947, notre pays a été reconstitué. La même dynamique a abouti à l’indépendance en 1960, puis au soulèvement populaire en 1966. Quelques années plus tard, le capitaine Thomas Sankara, de 1983 à 1987, s’est battu pour que nous puissions avoir davantage de dignité. Et sentant son rêve de liberté et de démocratie menacé, le peuple burkinabè a pris, à nouveau, son destin en main, en octobre 2014, face à un homme qui essayait de caporaliser le pouvoir. Notre peuple s’est donc levé afin que nous allions encore vers le haut, en termes d’acquis démocratiques. Ce fut un grand moment de démocratie populaire. Les Burkinabè ont participé de manière massive pour montrer leur détermination commune à aller à une étape supplémentaire. Nous devons lire l’insurrection dans ce sens : l’envie des Burkinabè de faire autre chose. Le combat a été sous-tendu par des idéaux. La question qu’il faut se poser aujourd’hui est la suivante : « Y a-t-il un insurgé ou un Burkinabè qui regrette aujourd’hui que notre peuple ait amorcé une échelle supérieure? ». Il sera difficile d’en trouver. L’insurrection a été une lutte pour la liberté, la démocratie et l’amélioration des conditions de vie. Nous devons tous nous réjouir d’y avoir pris part. Depuis mes années d’université, où j’ai été président de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB), vice-président de l’Union générale des étudiants du Burkina (UGEB), et vice-président de l’Association des étudiants burkinabè de France (AEBF), j’ai toujours répondu présent lorsqu’il s’agit de lutte pour améliorer les conditions de vie, et pour plus de démocratie et de liberté. Personnellement, je ne regrette aucune de ces luttes auxquelles j’ai pris part. Aujourd’hui, le combat du peuple burkinabè a débouché sur les premières élections libres et transparentes, saluées par la communauté internationale. C’est un motif de fierté d’avoir contribué mutuellement à l’avènement d’un Burkina meilleur.

S. : Des citoyens qui espéraient voir un changement dans leurs conditions de vie après l’insurrection populaire disent être déçus…

H. K. : Le combat pour le renouveau est un long processus. Il est comparable à une guerre. Lorsque vous remportez une bataille, il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Il faut continuer à travailler pour gagner les autres batailles. L’insurrection populaire est un escalier, un tremplin pour continuer à nous battre, à défendre les idéaux et à les mettre en œuvre. Le travail n’est pas fini. Certains Burkinabè vont faire une partie du travail, d’autres prendront la relève pour avancer et ainsi de suite. Nous sommes dans un processus. Le plus important est que nous ne revenions plus en arrière.

S. : Le Burkina Faso est, depuis quelques années, en proie à des attaques terroristes. Que faut-il faire pour venir à bout de ces groupes terroristes ?

H. K. : La première des choses est de rester debout, et de pouvoir puiser dans notre histoire. Nous n’avons jamais été vaincus, lorsque nous sommes unis. La seconde est qu’au niveau du gouvernement, nous continuions à nous donner les moyens en matière de politique publique face à la lutte contre le terrorisme: stratégie, renforcement des capacités des Forces de défense et de sécurité, soutien de leurs familles, renforcement de la collaboration entre populations et FDS en termes de renseignement, mise à disposition de moyens aux familles qui sont victimes, et nouer des relations avec les pays environnants, et les partenaires internationaux afin de pouvoir juguler le phénomène. Nous devons donc combiner l’ensemble de ces actions pour arriver à bout du terrorisme. Quand vous regardez l’histoire, vous constaterez que les terroristes ont toujours été déboutés là où ils ont tenté de s’installer. L’Etat islamique, aujourd’hui c’est quasiment terminé. Les terroristes sont des individus en quête d’espace pour mener un certain nombre d’activités illégales, telles que le trafic de drogues ou le commerce d’organes. Si nous continuons à mettre en œuvre de meilleures stratégies de politique publique, à mobiliser les FDS, et à nouer des alliances stratégiques dans la sous-région, nous allons venir à bout de ce phénomène.

S. : La mise en œuvre du programme du président du Faso est perturbée par le front social et le terrorisme. Est-ce que vous êtes serein pour 2020 ?

H. K. : La plus grande sérénité pour 2020 est de veiller à ce que le pays soit en paix, et que les élections puissent se dérouler de manière irréprochable et transparente comme en 2015. Si nous arrivons à faire cela, tout le reste relève de la compétition électorale où chacun viendra avec ses arguments. En ce moment, le peuple burkinabè décidera. Notre travail consiste, pour le moment, à rester concentré sur la mise en œuvre du Plan national de développement économique et social (PNDES), la cohésion sociale, la sécurité afin que les Burkinabè, au moment venu, puissent dire que les conditions sont garanties pour exercer leur droit de vote.

S. : Les présidents guinéen et ivoirien n’ont pas encore dit leur dernier mot sur leur éventuelle candidature à l’élection présidentielle dans leur pays, alors que constitutionnellement, ils n’en ont plus le droit. Quel commentaire pouvez-vous en faire ?

H. K. : En matière d’élection dans les différents pays, cela relève de la souveraineté de tous les peuples de décider de ce qui est meilleur pour eux dans le total respect des règles nationales et des conventions internationales. Je souhaite qu’il en soit ainsi en Guinée et en Côte d’Ivoire.

S. : Ne pensez-vous pas que le droit à la démocratie et à plus de liberté des peuples guinéen et ivoirien semble être pris en otage ?

H. K. : Les Burkinabè se sont battus pour le respect des règles nationales et des conventions internationales, notamment la Charte africaine de la démocratie et des droits de l’homme. Je le répète, les peuples sont souverains et libres. Et tous les peuples se battent autour de ces mêmes conventions. C’est donc aux différents peuples de se battre et de décider ce qui est bien pour eux.

S. : Comment avez-vous trouvé Sidwaya au terme de cette visite ?

H. K. : Je voudrais remercier la direction générale des Editions Sidwaya et le personnel pour l’accueil et dire que, si ma mémoire est bonne, c’est la première fois que je découvre les locaux du « journal de tous les Burkinabè », et le type de travail qui y est abattu. C’est une véritable industrie. Nous sommes le ministère en charge des EPE. Nous avons pris connaissance de l’ensemble des préoccupations qui ont été soulevées, et je crois que je suis venu m’en imprégner davantage dans votre maison. Je pourrais donc être l’un des avocats de Sidwaya pour continuer à voir quelles mesures supplémentaires le gouvernement peut prendre pour continuer à améliorer les conditions de vie et de travail des agents. J’ai également constaté qu’il y a au moins 60% de jeunes qui travaillent à Sidwaya. Cela prouve à souhait que le métier de journalisme n’est pas abandonné. Il existe toujours des gens qui pratiquent bien ce métier. La transmission du savoir et des connaissances a donc été excellente. Je souhaite en outre que votre outil de production continue à tenir et à donner la bonne information, parce que Sidwaya veut dire « la vérité est venue » (en langue mooré). Je ne peux cependant occulter l’existence de difficultés dans la maison par rapport à un certain nombre de préoccupations que vous avez soulevées auprès du gouvernement. Je souhaite pour ma part que le dialogue puisse prévaloir, qu’il soit fécond et produise l’effet nécessaire pour que nous puissions retrouver l’ensemble de quiétude indispensable pour continuer à couvrir les événements sur le plan national et international. Tout cela participe à la vie démocratique, au développement et le seul développement que nous connaissons, c’est celui qui se passe dans la démocratie. Vous êtes appelés le 4e pouvoir et vous êtes une fierté pour l’ensemble des Burkinabè. Le Burkina Faso est le premier pays africain en matière de liberté de presse dans la zone UEMOA. Vous devez donc rester dans cette dynamique.

S. : Il n’est pas sûr que le Burkina Faso le demeure au regard des récentes modifications apportées au Code pénal…

H. K. : Je n’ai pas la même lecture. Ce Code pénal ne touche pas la presse, notamment les médias professionnels comme Sidwaya. Je pense qu’il touche plutôt un certain type d’activisme sur les réseaux sociaux qui n’est pas encadré par rapport à des situations bien données. C’est ma lecture. Je ne pense pas que vous serez inquiétés dans ce cadre à partir du moment où ce qui est demandé, c’est de faire en sorte que nous puissions travailler à accompagner nos FDS dans le respect total des règles. Et vous le faites si bien. Je ne pense pas que nous nous soyons battus pour les libertés et vouloir faire après des musèlements, notamment de la presse. On peut être là aujourd’hui et demain ailleurs. On n’est pas tout le temps du bon côté du fusil. Nous faisons donc attention aux actes que nous posons. Un dicton bien connu dit que «lorsque vous montez, il faut prêter attention à ceux qui sont au bas de l’échelle, parce qu’à la descente, vous pourrez les croiser et avoir besoin d’eux». Nous sommes donc conscients. Quand on est responsable, on ne perd pas le sens des réalités.

Interview réalisée par la Rédaction

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