
L’albinisme est une maladie génétique caractérisée par une production insuffisante ou une absence de mélanine, le pigment noir qui colore la peau, les cheveux et les yeux. Le manque de mélanine est à l’origine de problèmes cutanés chez ces personnes, notamment les lésions précancéreuses ou cancéreuses. Les risques de développer un cancer de la peau et des troubles cutanés chez les personnes atteintes d’albinisme sont extrêmement élevés. Et pourtant une meilleure prévention permettrait d’éviter la survenue de ces cancers. Immersion dans l’univers de ces personnes atteintes d’albinisme au Burkina qui, avec le soutien du gouvernement et de ses partenaires, arrivent à vaincre le mal.
Raphaël Dabo (31 ans) doit travailler pour se faire une place au
soleil tout en évitant le soleil. En effet, atteint d’albinisme, ce commerçant ambulant d’ustensiles de cuisine sillonne, chaque jour, les rues de Ouagadougou, la capitale burkinabè, à la recherche de sa pitance quotidienne. Ce vendredi 24 octobre 2025, il est 8h15 mn. Les rayons solaires se montrent déjà menaçants, constituant ainsi un obstacle à l’exercice de son métier. Il doit se protéger. Face à ce dilemme, il travaille également comme vigile de nuit dans une entreprise de la place.
En sus de ce combat permanant, le trentenaire fait face à un autre défi de taille, trouver des ressources pour prendre en charge un mal pernicieux, le cancer de la peau, qui le hante depuis près de 10 ans. « La maladie s’est manifestée quand j’avais 20 ans », susurre-t-il, d’un air hagard. Originaire de la province de la Koosin dans la région du Sourou, M. Dabo confie avoir perdu son frère aîné à cause du cancer de la peau. « Nous sommes 13 enfants de la même mère dont quatre albinos.
Mon frère cadet, après avoir lutté contre le cancer de la peau pendant près de sept ans, est finalement décédé quand il avait l’âge de 30 ans », se souvient-il avec amertume. Le mal de M. Dabo a commencé juste après le décès de son frère. « Tout a commencé avec l’apparition d’un petit bouton sur ma joue, tout comme chez mon défunt frère. Au village, nous ne savions pas que c’était un cancer. La famille a fait d’abord recours à la médecine traditionnelle en vain jusqu’à ce que mon frère perde la vie », dit-il avec un brin de regret.

C’est plus tard, après le décès de son frère que la famille s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un cancer. Conscient de la gravité de son mal, Raphaël Dabo, issu d’une famille à revenu modeste, multiplie les démarches dans l’optique de trouver des soins appropriés. Ainsi, il apprend que la Fondation Salif Kéita, l’icône de la musique malienne, vient en aide aux personnes atteintes d’albinisme. Doumbala, son village natal, étant à quelques jets de pierre de la frontière malienne, il se rend au Mali. Mais, le périple va se solder par un échec. Il n’a jamais pu rentrer en contact avec le « bon samaritain ». « Je suis revenu au village sans gain de cause », regrette-t-il.
Appliquer à la lettre les recommandations
Mais cela n’a entaché en rien sa détermination. M. Dabo se rend alors à Ouagadougou à la recherche d’une meilleure prise en charge. Il frappe d’abord aux portes des associations spécialisées dans la prise en charge des personnes atteintes d’albinisme. Une piste l’oriente vers l’Association des femmes albinos du Burkina (AFAB).
« Grâce à l’association, j’ai bénéficié d’une prise en charge à l’hôpital Yalgado », déclare-t-il, avec un brin de sourire. En sus de l’AFAB, il confie avoir reçu le soutien d’autres structures comme le Fonds national de la solidarité, le service de l’action sociale du Centre hospitalier universitaire (CHU) Yalgado Ouédraogo et la Fondation Slamazone. « Les factures proforma assurées par le fonds sont estimées à plus de 800 000 F CFA. La Fondation Slamazone a aussi pris en charge certaines factures », relève-t-il. Fort de ces soutiens, Raphaël Dabo est persuadé qu’il parviendra un jour à vaincre son mal.
Il applique donc à la lettre les recommandations des médecins, notamment celle de se mettre à l’abri du soleil lorsque les rayons du soleil deviennent menaçants.
Si M. Dabo a reçu le soutien de partenaires, Alassane Wendkuni Barry, 42 ans, archiviste de son Etat, n’y a pas fait recours. Pour cause, sa famille lui était d’une aide précieuse lorsqu’il était confronté à ses premières lésions cancéreuses. A l’époque, il avait 30 ans et était encore étudiant. Au début, se remémore-t-il, ce sont des boutons qui se sont mués en de petites plaies. « Je me traitais mais, comme les plaies ne guérissaient pas, je me suis résolu à aller en consultation à l’hôpital Yalgado.
Après un dépistage, un cas de cancer a été signalé mais bénigne selon les spécialistes. Les médecins ont procédé à son traitement », se souvient-il. Puis de préciser que les plaies tardaient à se refermer. Plus d’une année après, M. Barry repart chez le dermatologue qui

le réoriente vers un cancérologue à l’hôpital Yalgado. Une intervention sera faite pour extraire définitivement le cancer. Après cet épisode, M. Barry sera victime d’un autre cancer à 34 ans. « Cette fois-ci, c’était au niveau de la tête. Ce cas a été pris en charge convenablement et la plaie s’est refermée », avoue-t-il. Pour cette deuxième épreuve, M. Barry assure avoir contribué à sa prise en charge.
« Je dispensais des cours à domicile. Avec mes économies et le soutien des parents, nous avons pu prendre en charge les frais de l’intervention estimés à plus de 200 000 F CFA », indique M. Barry. Cependant, il reconnait que les personnes démunies souffrent le martyr pour la prise en charge des cas de cancers. Il se souvient que pendant son intervention, une situation l’a vraiment affecté.
« J’ai rencontré un frère albinos dont le dos était recouvert de plaies. Ce dernier devait être consulté en premier mais n’avait pas son kit d’intervention au complet. Quand le docteur est arrivé, il a uniquement reçu ceux qui avaient leur kit à jour », explique-t-il. Il avoue qu’il avait un pincement au cœur de voir que ce dernier n’ait pas pu faire son intervention. « J’étais vraiment découragé. J’ai essayé de contacter à l’époque l’Association burkinabè pour l’inclusion des albinos. Avant d’entrer au bloc opératoire, j’ai demandé à ma petite sœur d’appeler les responsables de l’association pour leur expliquer la situation », soutient-t-il. A sa sortie du bloc opératoire, le premier réflexe, assure-t-il, a été de prendre de ses nouvelles.

« Ma sœur m’a fait savoir que malheureusement l’association dit qu’elle n’a pas de ressources pour sa prise en charge. Le cancer a finalement eu raison de lui », déplore-t-il. C’est la raison pour laquelle lorsqu’il a recouvré la santé, M. Barry a créé, avec ses amis étudiants, l’Association pour la protection et la promotion des personnes atteintes d’albinisme dont il est le président. L’objectif est de soutenir les personnes atteintes d’albinisme en détresse.
« Le médecin m’a dit que j’ai de la chance »
Ce genre de soutien, d’autres patients moins nantis en ont besoin. C’est le cas d’Ibrahim Bidiga, père de famille de 42 ans, cultivateur à Garango. Il traine depuis des années, des lésions au niveau de sa tête. De son explication, cela à commencer par des démangeaisons lorsqu’il était à Abidjan. Il a soigné et les boutons ont disparu. De retour au bercail en 2023, le mal réapparait. Il commence un traitement à l’indigénat et le produit utilisé a failli empirer sa situation. Son salut est venu de l’AFAB.
« Lorsque que j’ai contacté la présidente de l’association, elle m’a suggéré de venir à Ouagadougou où j’ai pu me faire consulter par un spécialiste », raconte-t-il. Après la biopsie (prélèvement de tissus ou de cellules pour une analyse microscopique) poursuit-il, le médecin lui a révélé qu’il a eu la chance car si le mal durait encore quelques semaines, il allait devenir aveugle car le produit utilisé était très nuisible. « Il s’agit de la poudre pour les fusils de chasse. Le médecin me l’a formellement interdit et depuis lors, j’ai abandonné ce traitement traditionnel », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, M. Bidiga rend grâce à Dieu, car sa santé s’est nettement améliorée. Les médecins lui ont prescrit des comprimés et des pommades. Tous les matins et soirs, il applique la pommade sur les lésions. « Je remercie l’association qui a pu assurer une bonne partie de mes soins », confie-t-il. En plus du soutien de l’association, M. Bidiga déclare avoir déboursé au moins 350 000 F CFA de sa poche. D’où son plaidoyer auprès de l’Etat pour une meilleure prise en charge des personnes atteintes d’albinisme. Djamilatou Bara, 19 ans, célibataire habitante à Béguédo a aussi bénéficié du soutien de l’AFAB.
Elle a eu une plaie au niveau du visage. Grâce à l’association, elle a subi deux interventions au CHU de Bogodogo en 2024. « Les médecins m’ont dit que j’ai eu la chance, car il restait quelques centimètres pour que la plaie atteigne l’œil. Au regard de la gravité, ils ont programmé la première intervention dans les trois jours qui ont suivi ma consultation », avoue-t-elle. Mlle Bara va passer plus de quatre mois dans la capitale pour ses soins. Sa santé s’est aussi améliorée et elle réitère sa gratitude à l’association. « La première opération a couté environ 280 000 F CFA.

L’association m’a aidée à hauteur de 180 000 F CFA pour les examens et les parents ont complété le reste », précise-t-elle. A Béguédo, Maazou Bara (26 ans), a également bénéficié de la générosité de l’association pour des consultations au CHU de Bogodogo. Ces consultations lui ont permis de suivre des traitements au « Trypano » à Ouagadougou. « J’ai fait le déplacement à cinq reprises dans la capitale. Le personnel traitant m’a prescrit des produits et des vaccins », explique-t-il. Il déclare que ses traitements lui ont coûté au total 109 600 F CFA, y compris les frais de voyage. Malgré ces efforts, M. Bara avoue n’avoir pas encore obtenu gain de cause. « La plaie disparait et réapparait par moments. Les médecins ont émis deux hypothèses : une injection ou une intervention », relève-t-il la tête baissée.
Les cas complexes référés au haut niveau
Ne disposant plus de ressources, il déclare avoir demandé de l’aide à l’association. « L’AFAB dit qu’elle cherche des partenaires pour la prise en charge de mon intervention », ajoute-t-il. M. Bara est menuisier, mais il a abandonné ce métier pour des raisons de mauvaises vues. Il est retourné à l’agriculture mais pour le moment, il lui est difficile de tirer les marrons du feu. Il a donc le regard tourné vers les bonnes volontés. Tout comme lui, Saratou Bancé 25 ans mariée à Torla, un village dans la commune de Garango, attend impatiemment cette occasion pour traiter les plaies qui persistent sur ces lèvres. Avec l’aide de son mari, elle avait consulté un dermatologue à Tenkodogo.
« On m’avait donné des produits mais ma santé ne s’est guère améliorée. Nous avons déboursé plus de 30 000 F CFA pour les soins », martèle-t-elle. L’accessibilité financière aux soins de santé est une véritable préoccupation chez certains patients, reconnait Dr Edith Sanfo, médecin spécialiste en dermatologie vénérologie au Centre hospitalier régional

de Tenkodogo. Pour les cas avérés, assure-t-elle, les personnes démunies sont orientées vers le service social du CHR. « Nous orientons également certains patients vers les responsables des associations d’aide aux personnes vivant avec l’albinisme », ajoute-t-elle. La dermatologue confie, en outre, que sa structure reçoit en consultation en moyenne une personne atteinte d’albinisme par mois. « Nous prenons en charge les dermatoses communes que présentent ces personnes.
Il s’agit des dermatoses non compliquées, parce que le plateau technique ne permet pas de prendre en charge les cas complexes comme le cancer », clarifie-t-elle. Puis, de poursuivre que pour les cas extrêmes, son service se réfère aux structures de références nationales, notamment le CHU Yalgado Ouédraogo, pour des soins appropriés. Pour la prise en charge des lésions qui peuvent être soignées au CHR de Tenkodogo, Dr Sanfo explique que son service reçoit d’abord le patient, lui pose un certain nombre de questions sur sa situation sanitaire antérieure et sur les symptômes qu’il présente.
L’équipe médicale fait ensuite une analyse de toutes ces données et émet des hypothèses diagnostiques puis retient une. « Nous proposons généralement un traitement à base de crème ou de pommade, parfois associés de comprimés. Nous donnons également
des conseils pour éviter l’aggravation des lésions cutanées, pour éviter la récidive des lésions et éviter d’avoir d’autres dermatoses après guérison de l’épisode en cours », relève-t-elle. Dans la même veine, le coordonnateur du Programme national de lutte contre le cancer, le Pr Nayi Zongo, indique que l’absence de mélanine chez les personnes atteintes d’albinisme les rend particulièrement vulnérables aux lésions et au cancer de la peau. «
Comme nous vivons dans l’un des pays les plus ensoleillés de la planète, ces personnes atteintes d’albinisme, exposées au soleil, développent des lésions qui ne sont pas des cancers mais qui sont des lésions précancéreuses, c’est-à-dire des lésions que l’on peut soigner sans qu’elles ne deviennent des cancers », explique-t-il.
Si le patient se rend tôt dans un centre de santé, assure-t-il, il aura la chance d’avoir des soins appropriés et pourra guérir de son mal. Cependant, s’il tarde, les lésions précancéreuses peuvent se transformer en cancer. « Ces cancers peuvent être évités grâce

à la prévention, la détection précoce et la chirurgie. Lorsqu’ils sont traités à un stade précoce inférieur à deux centimètres, ils guérissent bien. Mais une fois métastasés, les traitements ne sont plus efficaces », prévient-il.
Le cancérologue estime que 50 % des personnes atteintes d’albinisme développeront un cancer cutané au cours de leur vie. C’est pourquoi, il conseille
à ces derniers d’aller immédiatement en consultation dans un centre de santé, quel que soit le niveau du centre de santé, dès l’apparition d’une lésion inhabituelle sur leur peau.
Vers une prise en charge gratuites ?
Le Pr Zongo reconnait également que la pauvreté constitue un handicap. Cette situation peut empêcher le patient d’aller vers un personnel soignant mais, insiste-t-il, il est important de consulter un spécialiste. « La malchance est qu’une fois que le cancer échappe dans la zone où il est né et s’éparpille dans l’organisme, nous n’avons plus de moyens de le guérir. Les maîtres mots sont la prévention des cancers de la peau, la détection précoce des cas de cancer et leur traitement efficace », affirme-t-il. Pour résoudre la question financière, le Pr Nayi Zongo soutient que les plus hautes autorités du ministère de la Santé se sont engagées à une prise en charge globale de tous les problèmes de santé liés à l’albinisme, dont le cancer. Un engagement salué par la présidente de l’AFAB, Maïmouna Démé.
Elle a foi que les personnes atteintes d’albinisme seront prises en compte dans la politique de gratuité des soins au regard des mesures sociales que le gouvernement est en train de prendre pour améliorer l’offre de soins à travers la réduction des coûts des produits pharmaceutiques et actes médicaux. « Nous avons été reçus par le ministre de la Santé et plusieurs directions du ministère pour voir dans quelle mesure accompagner les personnes atteintes d’albinisme. Le processus est lancé », assure-t-elle. En attendant ce soutien, Mme Démé confie que l’AFAB, avec l’appui de ses partenaires, poursuit ses efforts pour le bien-être des personnes atteintes d’albinisme.
A ce propos, elle affirme qu’en 2025, sa structure a pris en charge une centaine de patients. Cependant elle déplore le décès de certains à cause d’un diagnostic tardif de leur cancer. D’où son invite aux personnes atteintes d’albinisme à consulter immédiatement un dermatologue dès qu’un cas ou une tâche suspecte apparait sur le corps. « Nous poursuivons les sensibilisations. Nous prodiguons des conseils aux parents des enfants vivant avec un albinisme à conduire leurs enfants chez les dermatologues régulièrement »,

ajoute-t-elle. Un message bien reçu par Korotimi Gabé, mère de deux enfants atteints d’albinisme vivant à Béguédo. Cette année, à cause de son bébé, elle s’est résignée d’aller au champ.
« L’enfant étant encore petit. Je ne peux pas prendre le risque de le laisser seul car il peut se retrouver à tout moment au soleil », déclare-t-elle. Saadou Bandaogo, 32 ans est marié et père de deux enfants. Il vit avec l’albinisme sans soucis majeurs. Il exerce la menuiserie depuis plus de 10 ans. Son secret est qu’il suit les conseils des spécialistes. M. Bandaogo atteste avoir bénéficié de plusieurs séances de sensibilisations. « J’ai eu quelques fissures au niveau de la main, il y a 3 mois. J’applique des crèmes solaires et cela me soulage énormément », soutient-il.
Abdoulaye BALBONE
Quelques conseils aux personnes vivant avec l’albinisme
Les personnes vivant avec l’albinisme doivent éviter de s’exposer au soleil tant que cela est possible. Pour les cas de force majeure, elles peuvent utiliser d’autres méthodes de protection, notamment des chapeaux à bord large pour donner de l’ombre au visage et des vêtements qui couvrent le maximum possible, le corps. Il est aussi recommandé d’utiliser les écrans solaires ou crème solaire à appliquer sur les parties que les habits ne couvrent pas lorsque la personne doit sortir sous le soleil pour ses activités. Les personnes atteintes d’albinisme doivent également consulter un médecin lorsqu’elles présentent des lésions cutanées. Et ce, pour s’assurer qu’il ne s’agit pas de cas graves ou le cas échant pour recevoir rapidement des soins afin d’éviter une complication. Elles doivent aussi chercher à adhérer aux associations de personnes vivant avec l’albinisme pour avoir un soutien social et psychologique et mieux vivre avec la situation d’albinisme. Les parents dont les bébés sont albinos sont priés de se rapprocher le plus tôt possible du personnel soignant pour bénéficier de conseils et préserver la belle peau de leur bébé. Plus la protection commence tôt, mieux la santé de la peau est préservée. Les personnes atteintes d’albinisme peuvent se faire établir des cartes d’indigène pour bénéficier de l’exonération du prix de la consultation ou des examens paracliniques.
AB





