Pr Salaka Sanou, enseignant-chercheur à l’université Joseph-KI-Zerbo

Enseignant-chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou, pendant plus de trente ans, le professeur Salaka Sanou a été l’invité de la Rédaction de Sidwaya. Deux heures durant, l’ancien responsable de la SNC, et ex-directeur général chargé de l’enseignement supérieur, a abordé, sans langue de bois, des sujets liés à la culture, la littérature, la forêt de Kua…

S. : Pr Salaka Sanou est-il militant d’un parti politique ?

S.S. : J’ai commencé très tôt à militer à l’Association des étudiants voltaïques à Ouagadougou (AEVO). Quand je suis allé en France, en novembre 1977, j’ai continué aussi à militer dans l’Association des étudiants voltaïques en France (AEVF) au moment où il y avait des problèmes idéologiques au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et puis à l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV). J’avais choisi mon camp, celui que l’on appelait le Mouvement du 21 juin. J’y suis resté jusqu’à mon retour au pays en 1982 dans une effervescence qui présageait la révolution du 4-Août. Quand je suis rentré, j’ai continué à militer dans l’ULC (l’Union des luttes communistes), devenue entretemps l’ULCR (l’Union des luttes communistes reconstruites). Je suis resté dans ce mouvement jusqu’à l’avènement de la révolution d’Août 1983. J’ai joué ma partition jusqu’aux évènements dramatiques de 1987. Je me suis dit : moi, fils de paysan, l’aîné d’une famille de six garçons et de trois filles, tout le monde compte sur moi ; si je continue ainsi, il n’est pas exclu qu’un jour on parle de moi aussi au passé. C’est ainsi que j’ai pris mes distances avec la politique. A l’époque, pour faire plaisir aux gens, je disais que j’allais attendre d’avoir 50 ans avant de m’engager de nouveau dans la politique. Mais j’avoue que j’ai pris goût à ne pas militer dans un parti politique. Depuis, je me sens très à l’aise, et cela m’a permis de faire une bonne carrière d’enseignant-chercheur.

S. : Vous avez dirigé la SNC, est-ce que ce n’est pas une récompense politique ?

S.S. : Non ! J’ai été Secrétaire permanent de la Semaine nationale de la culture. C’est toute une histoire. J’ai commencé comme fonctionnaire le 10 mai 1983 à la direction générale des affaires culturelles. Quand j’y suis arrivé, il y avait une réunion de la commission interministérielle chargée de travailler sur le droit d’auteur. Traoré Sibiri Oumar (paix à son âme) qui m’a considéré comme un petit frère dit : «petit frère, il n’y a pas meilleure façon de t’intégrer que de te faire rapporteur de la commission interministérielle». C’est ainsi que j’ai commencé. A mon premier jour dans l’administration, nous avons travaillé sur le droit d’auteur. On a cheminé et aujourd’hui voilà ce que le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) est devenu. Ensuite, comme deuxième dossier, Prosper Kompaoré me confie un document qui devait présenter les productions culturelles de notre pays et qui devait être soumis au gouvernement. Ce dossier concerne la Semaine nationale de la culture (SNC) et on s’était basé sur des textes qui existaient. Il y a eu le grand prix des arts et des lettres sous le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN). On a travaillé là-dessus et le dossier réalisé a été adopté en Conseil des ministres le 29 juillet 1983. Je me plais à plaisanter avec les gens que ce n’est pas la révolution d’Août qui a créé la Semaine nationale de la culture, parce que le décret qui a adopté les textes de la SNC a été pris en Conseil des ministres le 29 juillet 1983. En octobre 1983, j’ai été recruté comme assistant à l’université de Ouagadougou et j’ai continué à travailler avec l’administration culturelle. C’est au cours des cinq mois que j’ai passés à la direction générale des affaires culturelles que j’ai découvert l’existence de la littérature burkinabè et certains artistes burkinabè. La première édition de la SNC a eu lieu en décembre 1983 et naturellement j’étais dans l’organisation. Pour la deuxième édition, à Gaoua en 1984 on m’a associé à l’organisation et j’étais dans le jury des arts du spectacle. C’est à ce moment-là qu’il y a eu la fameuse déclaration de Gaoua dans laquelle le jury des arts du spectacle avait déclaré que toutes les troupes en danse et musique traditionnelles sont déclarées premières. Cela a provoqué un tollé général. Il fallait réfléchir à la SNC. C’est ainsi qu’il y a eu l’organisation d’un séminaire à Matourkou en avril 1985 à la SNC. A l’occasion, beaucoup de visions se sont dégagées sur la SNC. Le débat sur la compétition s’est invité et on a discuté. Pour ne pas supprimer la compétition, le séminaire a proposé de distinguer danse traditionnelle de grâce et de rythme, danse traditionnelle de force et d’acrobatie et danse traditionnelle de synthèse. J’avais ma position qui reste la même aujourd’hui. J’étais contre toute idée de compétition entre des expressions artistiques traditionnelles. Je suis resté sur ma position jusqu’en 1996 et le ministre Mahamoudou Ouédraogo m’a dit : «Toi tu as une certaine vision de la SNC, je voudrais que tu la mettes en œuvre». C’est ainsi que j’ai été nommé Secrétaire permanent de la SNC en novembre 1996 ; ce n’est pas une récompense politique. Comme l’artisan de cette nomination est là, il pourrait en témoigner ! Quand j’ai pris service, certains ont estimé que n’ayant pas la carte du ‘’bon parti politique’’ je n’avais pas ma place là-bas.

S. : Comment peut-on noter des
cultures pendant la SNC ?

S.S. : Ma conception de la culture n’a pas changé. La culture, c’est ce qui distingue l’homme de l’animal. C’est ce qu’on nous a appris en philosophie dans «nature et culture». Aujourd’hui, si nous estimons qu’il faut faire compétir des expressions artistiques traditionnelles, cela n’est pas correct. Si je prends la danse ‘’zèrè’’ des Bobo pour la comparer à la danse ‘’warba’’ des Moose, cela ne peut pas marcher. Chaque danse est l’expression d’un moment particulier de la vie de la communauté. Si l’on dit qu’une danse est meilleure à une autre, cela reviendra à dire que la culture de tel peuple est meilleure à celle de tel autre. Que vous preniez des troupes de théâtre pour faire une représentation théâtrale ou faire compétir des orchestres, c’est tout à fait normal. Mais mettre en compétition la danse traditionnelle des Peulh avec celle des Bissa, je dis non. Je pars du principe que l’interculturalité c’est le fondement des relations humaines, le respect de la culture d’autrui. Si je veux que l’on respecte ma culture, je dois respecter celle d’autrui.

S. : Comment expliquez-vous votre amour pour la chose culturelle?

S.S. : Il y a une anecdote qui explique mon intérêt à la culture. Quand j’ai commencé les cours à l’université de Ouagadougou en tant qu’étudiant, en janvier 1975, les contrôles continus étaient déjà passés. J’étais soumis à l’examen terminal unique. Au cours des discussions à l’issue d’un exposé sur les masques de Léna, il a été question des relations entre les Bobo et les Peulh; j’ai pris la parole pour expliquer comment ça se passait dans mon village. Le professeur, qui était un Français, m’a demandé où se trouvait mon village ? Je lui ai répondu que c’est Tondogosso. Il m’a fait savoir qu’il y avait assisté à la danse des masques le weekend d’avant. J’étais tout fier de savoir que mon professeur a été dans mon village. Or c’était pour mon malheur; parce qu’il cherchait des informations sur les masques de la Haute-Volta. Quand j’ai fait mon examen de juin, j’ai été recalé dans sa matière qui portait sur les masques. Je devais donc la reprendre en octobre. Là aussi, échec! Et comme le voulait le système de l’époque, tout en passant en deuxième année, je devais reprendre cette matière de première année. Le premier jour qui était consacré à une prise de contact avec l’enseignant, je m’installe au fond de la salle. Mais, l’enseignant en question me désigne de faire un bon dossier sur les masques de mon village. C’est là que j’ai compris pourquoi je n’avais pas eu mon unité de valeur. Nous étions trois dans notre groupe à reprendre l’unité de valeur, et nous avons travaillé sur trois aspects des masques bobo : l’initiation, la langue des masques et les différentes occasions de sorties des masques. Nous avons eu 15 et 16 sur 20. J’ai gardé ce dossier et quand j’ai été recruté comme assistant à l’université en 1983, nous avons commencé à réfléchir aux programmes de formation et nous devions créer des nouvelles options. C’est là que j’ai fait ressortir mon dossier sur les masques et je l’ai proposé aux collègues du département. J’ai suggéré de créer un projet de recherche intitulé : «Esthétique littéraire et artistique négro-africaine (ELAN)». L’idée était de nous amener à réfléchir nous-mêmes à nos propres cultures. Dans ce projet de recherche, on s’est intéressé à tout. Il était question, au départ, de travailler sur les danses, la musique, les masques, les scarifications, etc. Après la vision Esthétique littéraire et artistique négro-africaine (ELAN), nous avons évolué vers les études culturelles africaines, parce que la culture est vraiment un tout. J’ai eu un parcours qui m’a amené à réfléchir à la culture dans notre pays ; ceci m’a renforcé dans cette conviction qu’il fallait que nous, les universitaires, nous nous intéressions à nos cultures. Mon intérêt pour la culture n’est pas seulement conjoncturel, il résulte d’une accumulation de plusieurs choses qui m’y ont amené.

S. : Selon vous, quelle place la
culture peut avoir dans le développement d’une nation ?

S.S. : Puisque nous sommes des êtres humains, nous existons par la culture. Si nous mettons la culture de côté, il n’y a pas de développement de l’Homme. Ce qui me distingue, moi Bobo, d’un Bwaba ou d’un Moaaga, c’est la culture. Est-ce que je peux prétendre me développer, en laissant de côté ma culture, ce qui fait mon identité, ce qui fait que je suis ? Dans un pays comme le Burkina Faso, où il y a une multitude de communautés, on prône le développement séparé des ethnies, donc il n’y a pas de développement national. Mais si ! La Haute-Volta, devenue aujourd’hui Burkina Faso, ce n’est pas nous qui l’avons fondée ; c’est le colonisateur. Et en déterminant les frontières, il n’a pas demandé notre autorisation. Si vous regardez, il y a des Senoufo au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali. Vous avez des Samo et des Peulh au Mali. Vous avez des Gourmantché au Niger, au Burkina, au Togo, au Bénin. Mais le Gourmantché burkinabè va dire qu’il est Burkinabè, le Gourmantché togolais va dire qu’il est Togolais, mais est-ce que c’est cela leur caractère de gourmantché ? Non. Je veux dire par-là qu’on nous a mis dans un espace donc tirons le meilleur profit de cet espace. Cherchons à travers nos différentes communautés ce qui constitue le socle sur lequel nous pouvons bâtir notre vivre-ensemble. Ce socle existe. Si je prends l’initiation, elle existe chez les Moose, les Gourmantché, les Bwaba, les Bobo et les Nuni. Si nous cherchons à savoir les fondements de l’initiation pour voir les valeurs qui y sont véhiculées et nous fonder sur cela, on a un socle important pour le développement. En 1999 lors des grandes conférences du ministère de la Culture et Communication à l’époque, un collègue, le Pr Louis Millogo avait fait une communication sur la typologie des initiations au Burkina Faso. Il a montré que l’initiation, partout où elle existe, est fondée sur un certain nombre de valeurs qui sont partagées. Ce qu’on enseigne à l’initié bobo, c’est ce qui est enseigné à l’initié bwaba, gourmantché, etc. Et là déjà il y a des éléments qui fondent notre vivre-ensemble. Je prends seulement cet exemple mais si on fouille, il y a beaucoup d’autres éléments qui montrent que, malgré nos différences, nous avons ce socle. En 1992, nous sommes allés à Zawara en pays nuni et c’était la première fois que j’y partais pour une sortie de masques qu’ils appellent la descente au marigot, c’est l’initiation. Nous sommes allés et le dernier jour, nous avons assisté à une sortie de masque. Les masques dansaient et à un moment donné, un d’entre eux est venu m’attraper par la main et là j’ai eu peur. Je suis bobo et je connais le masque bobo mais pas le masque d’une autre ethnie. Donc j’ai eu peur. C’est ainsi que j’ai aussi attrapé la main de celui qui était notre hôte. Le masque nous a amenés quelque part et j’y ai été frappé par un geste : le masque, avant de rentrer dans la cour, a tourné le dos et est rentré de dos. Donc cela m’a rassuré parce que chez les Bobo, le masque ne rentre jamais de face dans une maison ou dans un endroit clôturé. Ce sont des petites choses comme cela qui montrent qu’il y a quelque chose de commun et c’est là que le travail de chercheur est intéressant et important. Il faut que le chercheur puisse découvrir ce qui constitue notre unité et construit notre développement sur cette base au lieu de faire du saupoudrage en partant des critères que les autres nous ont imposés et qui deviennent la référence universelle.

S. : La place que le masque occupe aujourd’hui est-elle toujours la même, il y a de cela 50 ans ?

S.S. : Oui et je dirai que ça dépend du cadre géographique. J’ai fait un article sur le masque et la violence institutionnalisée. Dans cet article, je pars du principe que la violence est inhérente au masque. Ça peut paraître bizarre mais c’est comme cela. Le masque est un être de la brousse qui s’est révélé à l’homme et qui a indiqué les conditions dans lesquelles il peut vivre avec l’homme dans son espace de vie, c’est-à-dire le village. L’homme a accepté et l’a amené dans le village. Et les différents rites de sortie ont pour but de rappeler cette création du masque. C’est comme un peu dans les différentes religions. Les cultes sont faits pour le rappel de la création au départ. Donc chez les Bobo, le masque s’inscrit dans cette perspective, et il y a un certain nombre de rites à l’occasion desquels, la présence du masque est nécessaire. Dans les villages, tout est circonscrit, tout est balisé. Les passages des masques sont connus, les conditions de sortie du masque sont connues et quand il sort, ce qui doit se passer est connu. Par exemple, si on prend la ville de Bobo-Dioulasso, c’était un village mais aujourd’hui tout le monde se trouve au centre de Bobo or, dans le village vous avez le bosquet sacré dont l’accès est interdit aux femmes et même ce ne sont pas tous les hommes qui y vont et à tout moment. De notre enfance jusqu’à aujourd’hui, il y a des choses qui se font toujours. Quand vous êtes néophyte et qu’on vous envoie la nuit dans le bosquet sacré vous n’allez pas y entrer comme cela, on vous instruit. On vous dicte les paroles que vous devrez dire à tel endroit et tel moment pour avoir accès au bosquet sacré. Si vous ne prononcez pas ces paroles, vous allez voir ce qui va se passer, vous serez chassés. Jusqu’à présent cette pratique a toujours cours. Dans le village tout est réglementé. Quand le masque sort au village, les enfants le suivent et quand il y a un vieux qui meurt dans le village, les masques peuvent sortir à n’importe quel moment ; on dit que c’est le masque d’un tel et il y a toujours du monde derrière lui. Quand le masque sort, il guette les femmes pour les fouetter. Les femmes vont penser que c’est du masochisme mais non, c’est de l’éducation et on pourrait revenir sur ce point. Le masque part du principe que ceux qui le suivent produisent trop de bruits et cela prévient les femmes donc, il est obligé de se retourner contre les enfants pour les pourchasser. Il les poursuit comme s’il voulait les fouetter et les enfants aussi sont heureux de courir derrière le masque. C’est un jeu dans lequel il n’y a pas de méchanceté ; or dans les villes ce n’est pas le cas. Voyez-vous, quand le masque sort à Bobo par exemple, les jeunes sortent en tenue de sport pour le provoquer et là ce n’est plus un jeu comme dans les villages mais un affrontement. Or le masque n’aime pas que l’homme le défie. Il ne peut pas l’accepter et c’est pour cela que l’on parle de la violence des masques en ville. Il faut aussi y ajouter qu’il n’y a pas une maîtrise de la sortie des masques dans les villes. Ce dont on parle dans les villes, on ne parle jamais de cela dans les villages sauf, le cas récent de Lena et là, c’est un autre problème. Sinon, au village, ce que l’on considère comme violence du masque est une violence contrôlée.

S. : Est-ce la culture qui doit s’adapter à l’Homme ou c’est l’Homme qui doit s’adapter à la culture ?

S.S. : Dès lors que la culture c’est l’Homme, elle évolue nécessairement mais ce n’est pas l’extérieur seulement qui doit faire évoluer la culture. Aujourd’hui, quand on regarde nos sociétés, que vous alliez dans les villages les plus reculés ou que vous restiez en ville, vous vous rendez compte que les jeunes sont bien informés grâce aux technologies de la communication. Il y a des choses qui changent et on ne peut pas ne pas prendre cela en compte. Quand j’ai envoyé mes étudiants au village, ils étaient surpris de voir qu’au lieu que les jeunes soient dans les cases principales où il y a les danses traditionnelles, ils sont dans les endroits où il y a la musique moderne. C’est l’évolution. Mais comment faire pour que l’évolution ne tue pas la culture ? C’est là que les garants de la culture doivent avoir l’intelligence. C’est là aussi que nous, les chercheurs, devrions avoir l’intelligence de contribuer à la compréhension des choses. Il faut amener les responsables et les jeunes à se dire que nous sommes, certes, dans un monde où les choses évoluent mais, que nous devons rester nous-mêmes. Aujourd’hui, quand on regarde le monde, ce sont les valeurs occidentales qui sont devenues universelles parce que les occidentaux ont réussi à les imposer. Mais pourquoi nous n’en faisons pas de même, et ce, à tous les niveaux ? Je prends un exemple encore; chez nous, on a ce qu’on appelle Yosèrè qui est une espèce de «secte» des femmes. On dit que nous les Bobo, nous sommes des machistes mais ces femmes, quand elles font leurs rites, si elles croisent un homme avec une daba ou une hache à l’épaule, il est sanctionné et à ce moment précis, ce sont les femmes qui ont le pouvoir officiellement dans le village. Quand elles font leurs sacrifices, elles s’en vont prendre les couteaux avec lesquels on fait les sacrifices sur les principaux fétiches. Elles viennent poser ces couteaux et elles font leurs sacrifices et ce geste montre leur puissance. Mais nous ne regardons pas tout cela. Quand on va dans les villages, on voit que les femmes ne sont pas autorisées à être aux côtés des masques donc, c’est du machisme comme si nous étions des Occidentaux, ce qui est d’ailleurs faux. Il y a ainsi un certain nombre de choses auxquelles nous-mêmes nous devons réfléchir et c’est pourquoi je dis que les chercheurs ont leur place dans cette histoire. Comment est-ce-que nous connaissons nos cultures ? Et si nous les connaissons comment peut-on les développer face aux autres. C’est ça le vrai problème. Mais, au lieu de cela, nous partons du principe que chez nous il n’y a rien, il faut tout prendre chez les autres donc le développement, c’est l’évolution, c’est la modernité, c’est tout ce que les autres font.

S. : Quel est votre avis sur le conflit entre la culture moderne et traditionnelle ?

S.S. : Mon avis est qu’il n’y a pas toujours conflit entre tradition et modernité. C’est vrai que dans certains domaines, nous avons l’impression qu’il y a conflit parce que nous n’avons pas suffisamment étudié le phénomène. J’ai récemment dirigé une thèse qui a été soutenue sur l’initiation chez les Gourmantché. Et celui qui a fait ce travail a découvert curieusement qu’il y a un engouement des gens de la ville pour l’initiation chez les Gourmantché qui dure pourtant 90 jours. Mais il y a des adaptations qui se font. En réalité, la modernité semble prendre le pas mais nous qui sommes parents, nous devrions intéresser nos enfants à nos cultures. De la même manière que les enfants sont aptes à capter la culture de l’autre, ils sont aptes à capter nos cultures. Si nous empêchons nos enfants d’aller au village en disant qu’il y a des sorciers, ou bien si un parent dit à son enfant «si tu ne travailles pas bien je vais t’envoyer au village pendant les vacances», l’enfant se dit qu’aller au village est une punition donc, il va tout faire pour éviter d’aller au village. Avec tout ça, vous êtes étonnés que l’enfant ne connaisse pas son village ; mais ce sont les parents qui en sont responsables. C’est à eux d’amener les enfants à s’intéresser au village et à notre culture parce que ceux qui naissent en ville, ce n’est pas de leur faute. A la limite, c’est la faute des parents parce que ce sont eux qui sont venus en ville, ce sont eux qui ont fait leurs enfants en ville.

S. : Que pensez-vous des conflits entre les religions ?

S.S. : Moi j’accuse les adultes. Je pars du principe que chaque culture se vaut et chaque religion se vaut. Je ne dis pas qu’il y a une religion qui est meilleure à une autre. En partant du principe de l’altérité des cultures, je respecte toutes les cultures, je respecte toutes les religions. Moi j’affirme mon animisme. Cela ne me crée aucun problème de dire que je suis de foi animisme et cela ne m’a pas empêché de faire mon mariage à l’église catholique. Cela ne m’a pas empêché de baptiser mes enfants à l’église. Cela n’a pas empêché mes enfants de faire leur mariage à l’église et d’y faire baptiser leurs enfants. Je n’ai aucun problème de ce côté. Moi, ce que je souhaiterais c’est que ça soit pareil partout vu que le problème vient de là. Si par exemple moi, je me convertis et ma religion m’interdit de faire ceci ou cela désormais, c’est mon droit le plus absolu mais, il ne faudrait pas que je dise après que je n’ai plus de culture parce que j’ai choisi.

S. : Dans ce cas est-ce que vous n’allez pas à l’encontre de la religion parce qu’elle interdit cela ?

Laquelle des religions interdit ce dont vous parlez ? Si vous dites à l’encontre de la religion vous prenez quelle religion pour repère ? N’étant pas baptisé, les conditions pour que je fasse mon mariage à l’église avec ma femme c’était d’avoir deux témoins baptisés et c’est ce que j’ai fait.

S. : Selon vous, l’hôpital de Bobo peut-il être construit dans la forêt de Kua ?

S.S. : Je ne vais pas vous répondre directement, mais je vais parler de ce que je sais. Je vous ai dit que j’ai fait l’école à Tondogosso et à pareil moment (mai-juin), nous avions des sorties récréatives avec nos maîtres qui nous conduisaient dans la forêt dont il est question aujourd’hui. Et quand nous allions à Bobo-Dioulasso pour vendre du bois, au retour, nous nous arrêtions à un ruisseau pour laver nos pieds. En ce moment, la route n’était pas encore bitumée. C’est en 1977 qu’elle a été bitumée. L’eau coulait en permanence dans ce ruisseau. Pour ceux qui voient un peu la route de Bobo, c’est juste après le poste de péage actuel. Ce problème de construction du nouveau CHU de Bobo-Dioulasso, est mal posé de mon point de vue. En lisant les interventions des internautes, on arrive à penser que chaque fois qu’on veut faire quelque chose à Bobo-Dioulasso, il y a toujours des problèmes et c’est pour cela qu’on n’y fait rien. Si par exemple, on veut me coudre un habit, le minimum c’est de prendre mes mesures. Dans la situation de Bobo-Dioulasso, tout le monde est responsable, l’autorité centrale à Ouagadougou comme les autorités locales. Le problème, je peux me tromper, c’est qu’il n’y a pas une véritable réflexion pour voir de quoi Bobo-Dioulasso a besoin aujourd’hui. J’entends souvent que des filles et fils de telle ou telle région se réunissent, mais est-ce que vous avez déjà appris que les filles et fils de Bobo-Dioulasso se sont réunis ? Quand j’étais Secrétaire permanent de la Semaine nationale de la culture, certains responsables avaient estimé que je n’avais pas la carte du bon parti et c’est pour cela que je devrais quitter le poste de Secrétaire permanant de la SNC. Comment concevoir le développement avec cet esprit d’exclusion sur la base d’appartenance politique ? Je n’ai pas répondu à votre question mais je vous donne des indications.

S. : Vous avez peur de répondre à cette question ?

S.S. : A mon âge, de quoi pourrais-je avoir peur? Je dis tout simplement que si on demande mon point de vue, je ne construirai pas l’hôpital là où on veut le construire parce qu’il y a suffisamment d’espace. En le disant, je pense à mes collègues de l’université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso parce qu’on ne les entend pas alors qu’ils sont les premiers bénéficiaires. L’INSSA qui est la faculté de médecine avait proposé (je crois) un endroit indiqué pour construire le CHU avant que les Chinois ne viennent. Mais il y a eu beaucoup de débats, autour du projet. J’aurais souhaité que dans ce débat vous les journalistes vous vous adressiez aux responsables de l’université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso par rapport à leur souhait sur l’emplacement du CHU parce qu’après tout, ils sont les bénéficiaires, même si la population en est aussi une ; ils devraient avoir leur mot sur la question ! Le CHU c’est un centre où on doit former les médecins, généralistes comme spécialistes. Voyez où se trouve l’université sur la route de Nasso et où on veut construire l’hôpital? Pour moi, le point de vue qui devrait valoir c’est celui des collègues hospitalo-universitaires de Bobo-Dioulasso parce que ce sont eux qui savent de quoi ils ont besoin, où ils veulent et pourquoi.

S. : Vous avez tantôt parlé de culture sous l’angle différentiel. Qu’est-ce que cela veut dire ?

S.S. : La culture sous l’angle différentiel veut dire que : premièrement il y a une définition unique de la culture à savoir, celle de l’UNESCO. Mais cette définition se décline différemment selon les réalités spécifiques propres à chaque communauté. J’ai pris l’exemple de la société bobo, pas que je suis un ethnocentriste, mais c’est la société que je prétends connaître un peu. Je préfère parler de ce que je pense connaître plutôt que des choses que je ne maîtrise pas. Dans cette culture, le masque est la porte d’entrée. Pour connaître la culture moaaga par exemple, il faut passer par la conception du pouvoir. Ce que j’apprécie dans cette conception, c’est le principe du zabyouré c’est-à-dire le nom de guerre, de règne. Quand quelqu’un devient chef, il a trois noms de règne. Un premier à travers lequel il remercie celui qui lui a permis d’être chef. A travers le deuxième, il dit aux autres que c’est lui qui règne. A travers le troisième, il montre l’angle sous lequel il place son règne. C’est le fondement de la culture moaaga. Si vous partez dans un village et vous voulez comprendre la culture moaaga, tant que vous ne passez pas par la chefferie, vous passez à côté. C’est cela le différentiel au niveau de la culture. Elle s’exprime de façon différente selon les communautés, les localités, les époques. C’est pourquoi elle n’est pas statique, elle évolue. Prenez l’exemple de la forêt de Kua, nous l’appelions Pala. Je vous ai dit ce qu’elle était il y a plus de 50 ans, donc l’homme évolue et la culture aussi. Si on estime que la culture est statique, cela veut dire que l’homme n’évolue pas. Les cultures telles que nous les vivons sont en phase d’évolution. A partir de ce moment, il nous revient de saisir les orientations que va suivre cette évolution et voir comment nous y adapter. C’est de cette manière qu’il faut comprendre cette approche différentielle de la culture.

S. : Le Burkina Faso est confronté à un problème d’insécurité. Selon vous quelle thérapie peut-on tirer des sociétés administratives traditionnelles ?

S.S. : Je prends toujours l’exemple des Bobo pour me faire comprendre. L’initiation chez les bobo comprend trois étapes. La première c’est quand l’enfant a entre 7 et 10 ans, on le fait sortir pour le montrer aux masques et lui révéler le secret banal du masque. L’important c’est ce qu’on dit à l’enfant lorsqu’on lui montre le masque. On lui fait savoir que le jour qu’il va le dire à quelqu’un, surtout à sa mère, il va mourir. A cette période l’enfant a très peur de la mort donc, il va garder le secret. La deuxième c’est entre 17 et 20 ans, et là c’est la force qu’on va lui montrer. On lui apprend à être endurant et à encaisser, mais en même temps on lui apprend à être patient. Troisième étape, c’est l’apprentissage de la langue des masques à travers lequel les Bobo, quelles que soient les variables de la langue bobo, se comprennent. Je rappelle ces étapes pour montrer les valeurs qu’on enseigne dans cette initiation. A partir de la deuxième étape, ce sont des valeurs de solidarité à l’intérieur d’un groupe d’une même classe d’âge, mais aussi le respect de la hiérarchie parce que celui qui t’a initié c’est lui qui a fait de toi un homme, donc tu dois lui vouer un respect absolu. C’est l’endurance physique, mais aussi l’amour de la communauté. En partant de ces valeurs qui sont enseignées pendant l’initiation, et en les mettant en œuvre aujourd’hui devant le problème d’insécurité, c’est réglé. A partir des éléments simples de l’initiation, on peut résoudre le problème de l’insécurité. On dit que ces terroristes vivent parmi la population; dans ce cas, il y a un problème de cohésion sociale.

S. Vous avez publié un ouvrage sur la littérature burkinabè : comment vous est venue l’idée ?

S.S. : (Soupirs !) J’ai dit que mon passage à la direction générale des affaires culturelles m’a familiarisé avec le milieu culturel, artistique au Burkina dont le milieu littéraire. Quand j’ai commencé à enseigner à l’université, il y avait un enseignement intitulé Introduction à la littérature voltaïque en année de maîtrise. Or, j’avais un ami qui a soutenu sa thèse sur les traditions dans la littérature africaine d’expression à partir du Crépuscule des temps anciens, la première thèse soutenue sur la littérature burkinabè. Donc je me suis dit qu’on pouvait approfondir la réflexion sur la littérature dans notre pays. Dans la réorganisation des enseignements, on a créé une option Critique littéraire africaine et dans cette option, il y a un enseignement intitulé l’Ecrivain africain dans la société qu’on m’a confié. A l’époque, tout jeune, je rêvais de faire suivre des écrivains par des écrivains pendant une semaine en vue de préparer des exposés. Mais après, je me suis rendu compte que c’était utopique parce qu’il y a la vie privée de l’écrivain qu’il faut respecter. J’ai trouvé une solution palliative, c’est un questionnaire que les étudiants administraient aux écrivains pour leur permettre de constituer un document qu’ils devraient exposer en classe et si possible avec la présence de l’écrivain concerné. C’est ainsi que nous avons commencé en 1992. Nous avons eu une dizaine d’écrivains. Puis en 1993 j’ai eu une bourse post-grade du DAAD, la coopération allemande, de trois mois de recherche à l’université de Bayreuth. J’ai amené ces exposés et dans mes recherches bibliographiques je me suis rendu compte qu’il y avait des choses qui me permettaient de les exploiter. C’est ainsi que l’idée de faire une bio-bibliographie de la littérature burkinabè a germé. A un moment donné, quand mon projet de recherche était prêt, mon directeur de recherche m’a dit qu’on pouvait faire maintenant l’Habilitation à diriger les recherches (HDR) alors que ma carrière était bloquée. Parmi les conditions de la HDR, il fallait avoir un essai et c’est ainsi qu’on a construit le projet d’éditer l’ouvrage intitulé La littérature burkinabè : l’histoire, les hommes, les œuvres. L’ouvrage a été édité en 2000 et comprend une partie où je fais l’histoire de la littérature burkinabè en dégageant les principales étapes, une partie où il s’agit de connaître les écrivains en exploitant les exposés des étudiants pour montrer leurs biographies, leurs bibliographies et la manière dont ils percevaient la littérature dans notre pays. En plus de cet ouvrage, il y a beaucoup d’autres publications que j’ai faites pour connaître l’institution de la littérature dans notre pays. L’institution de la littérature c’est non seulement connaître les écrivains mais aussi les structures par lesquelles ces écrivains passent pour se faire connaître telles que l’édition, les instances de récompenses. Aujourd’hui, je suis fier de savoir qu’il n’y a pas ce seul étudiant qui soit passé par les départements de Lettres modernes et de linguistique aussi bien de Ouagadougou que de Koudougou qui ne connaisse rien de la littérature burkinabè.

S. : Avez-vous rencontré des difficultés dans la réalisation du livre ?

S.S. : Les difficultés ne manquent pas. Quand on fait un travail de pionnier, la première des difficultés, c’est l’incompréhension. Les gens ne vous comprennent pas ou estiment qu’il y a des choses que vous voulez dire sur eux. Je vous raconte une anecdote. En avril 1985 à Matourkou, il y a eu un séminaire sur la SNC et à l’époque, je faisais un cours, intitulé Sociocritique et dans ce cours il y a un chapitre que je consacrais à la vision du monde de l’écrivain. Je faisais faire des exposés par des étudiants. Pendant qu’on était à Matourkou, il y avait des étudiants qui devaient faire un exposé sur Les Dieux délinquants de Augustin Sondé Coulibaly. Comme ils n’ont pas pu le faire à cause de mon absence, je leur ai demandé néanmoins le document qu’ils ont produit pour lire et je leur ai donné la note de 16/20. J’ai envoyé l’exposé pour publication dans Carrefour Africain. L’une des conclusions de cet exposé est que Augustin Sondé Coulibaly avait une vision du monde réformiste. Nous étions en 1985 au moment où il y avait les dégagements, les licenciements pour des points de vue politiques, idéologiques. Augustin Coulibaly a compris que je l’indiquais comme réformiste pour être dégagé. Il a fallu des explications et des intermédiaires pour qu’il comprenne que je n’ai fait qu’un travail d’enseignant-chercheur. C’est ce genre de problèmes qu’on rencontre. Au départ on n’est pas compris, c’est à la longue que les gens comprennent. Un autre exemple, j’ai un de mes docteurs qui a travaillé sur des œuvres d’artistes burkinabè. Au début, il revenait souvent découragé parce qu’il n’arrivait pas à rencontrer certains artistes. Je lui conseillais de travailler avec le peu qu’il avait en attendant que les artistes découvrent l’intérêt de ses recherches ; et quand ils ont découvert le travail qu’il fait, ils ont compris que c’était pour eux. En ce moment ce sont les artistes qui veulent le rencontrer.
L’autre aspect, c’est l’édition. J’ai eu la chance de bénéficier de l’appui de la coopération française à l’époque, pour l’édition de l’ouvrage, mais ce n’est pas facile. Nous avons déjà suffisamment de problèmes, même pour nous gérer, à plus forte raison prélever dans le salaire pour éditer un ouvrage.

S. : «Le crépuscule des temps anciens» de Nazi Boni est-il la première œuvre littéraire du Burkina Faso, ou est-ce Dimdolossom Ouédraogo qui a produit la première œuvre comme le réclame Pacéré Titenga ?

S.S. : C’est une question très récurrente. Ma réponse est relativement simple. Quand les étudiants me posent la question, je leur réponds ceci : si vous avez un ouvrage et vous voulez savoir si c’est une œuvre littéraire, classez-le. S’agit-il d’un roman, d’un recueil de poèmes, d’un recueil de contes, d’un recueil de nouvelles ou d’un texte dramatique ? Si vous arrivez à le classer dans un genre littéraire, donc c’est une œuvre littéraire et si vous n’arrivez pas à le faire ce n’est donc pas une œuvre littéraire. Maintenant pour revenir à Dimdolossom Ouédraogo, Me Pacéré a dit effectivement que c’est Dimdolossom Ouédraogo qui était le premier écrivain voltaïque. Dans mon ouvrage, j’ai dit qu’il n’y a que Me Pacéré seul qui le dit. En le disant, ce n’est pas de la polémique et Me Pacéré m’a beaucoup accompagné dans le travail. Mais je parle en tant qu’enseignant-chercheur, donc ma démarche se veut scientifique. Une chose est de revendiquer l’existence de Voltaïques qui ont réfléchi, ont publié des œuvres dans les années 1930, une autre chose est de dire que les écrivains voltaïques ont fait de la littérature. Tout à l’heure je vous ai dit que quand on veut connaître la société moaaga, il faut passer par la conception du naam. Mais qu’est-ce que Dimdolossom Ouédroago a fait dans ses écrits ? Ce sont des ouvrages ethnographiques. Il a montré ce qu’est la société moaaga. On ne peut pas parler de la société moaaga si l’on ne parle pas du naam. On ne peut pas parler du naam chez les Mosse si on ne parle pas des zabyouya. Or, les zabyouya, ce sont des devises. Et les devises sont en réalité de la littérature orale. Si les ouvrages de Dimdolossom Ouédraogo étaient uniquement des recueils de devises, on pourrait dire que c’est de la littérature. Mais, il utilise ces devises pour expliquer et permettre de connaître une société. Donc ce n’est pas de la littérature. C’est aussi simple que cela. Pour moi, on est fier de savoir que des Voltaïques ont écrit et publié et dans les années 1930, mais dans cette fierté, il ne faut pas induire les gens en erreur.

S. : Il y a un colloque international qui s’achève aujourd’hui à Ouagadougou. Quels sont les objectifs de cette initiative ?

SS : Le Laboratoire Littératures, Espaces et Sociétés, que je dirige, s’est donné pour mission de réfléchir à tout ce qui est expression artistique en rapport avec l’espace et la société. Dans ce cadre, après avoir fait beaucoup de recherches, que ça soit sur l’angle des articles scientifiques, celui des thèses et mémoires de maîtrises et de DEA, nous avons abouti à la conclusion qu’il faut formaliser tout cela tout en ayant comme préoccupation essentielle, la culture. Mais comment analyser la culture ? Nous nous sommes dit qu’il faut organiser un colloque pour lequel nous allons inviter un certain nombre de personnes à venir échanger. Mais, nous nous sommes dit aussi, qu’il nous fallait faire quelque chose avant, sur lequel ce colloque viendra s’appuyer. C’est ainsi que nous avons eu l’idée de faire un ouvrage collectif intitulé « Dɔnko. Etudes culturelles africaines ». Dɔnko en langue nationale dioula signifie le savoir, la connaissance. L’idée c’est d’amener les enseignants-chercheurs, les chercheurs et les étudiants à se dire que nos cultures devraient être des objets de recherches. Pourquoi ? Si je fais le point des résultats obtenus dans cette optique-là, nous avons des thèses sur la littérature, mais aussi sur les rites funéraires chez les Bwaba, sur l’initiation chez les Gourmantché, l’intronisation chez les Niononsé, les clips vidéos, les rites agraires chez les Lela. Donc, des recherches dans différents domaines qui prouvent qu’il y a de la matière. Ce colloque qui se déroule du 12 au 14 juin (aujourd’hui) a connu plus de 60 communications de divers horizons, de la France, du Canada, des pays voisins, des universités de Bobo-Dioulasso, de Koudougou, de Ouagadougou, du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), etc. ; il nous a permis de réfléchir à la culture, aux différentes expressions de la culture.

S. : Quel est l’intérêt de ce colloque pour les étudiants des universités ?

S.S : Pour les étudiants, ils ont eu d’abord l’occasion de rencontrer beaucoup d’enseignants-chercheurs avec lesquels ils ont discuté. Ils ont aussi eu l’occasion d’écouter des communications et de se rendre compte qu’il y a beaucoup de pistes de recherches. Ensuite, pour l’université Joseph-Ki-Zerbo, c’est l’occasion de montrer qu’il y a de la recherche qui se fait dans cette université. Parce que ce colloque a été l’occasion pour nous de lancer l’ouvrage collectif. En même temps, nous avons présenté une revue en ligne intitulée « Donco, études littéraires et culturelles africaines ». C’est une revue à travers laquelle nous allons publier tout ce qui est en rapport avec la culture, de façon générale. A la fin du colloque, il s’est dégagé des perspectives du genre à créer une structure pérenne pour que la réflexion sur les cultures africaines soit permanente au niveau des chercheurs. Par conséquent, elle nous donnera l’occasion d’inscrire l’université Joseph-Ki-Zerbo parmi les initiatrices de la réflexion sur les études culturelles africaines dans le milieu francophone, parce que les anglophones ont déjà beaucoup réfléchi aux cultures africaines. A la fin du colloque, pour allier la théorie à la pratique, nous avons organisé une table ronde sur : «Les cultures africaines face aux défis de vivre- ensemble : savoir et transfert politique» qui a été animée par les grandes personnalités de la culture, telles que les anciens ministres de la culture et de la communication, Mamoudou Ouédraogo, Baba Hama, Philippe Savadogo (qui, pour des raisons indépendantes de sa volonté, n’a pas pu être avec nous, mais a fourni sa contribution) et du représentant du ministère en charge de la culture.

S. : Comment se présente la littérature burkinabè de façon générale ?
S.S. : Aujourd’hui, la littérature burkinabè se porte bien. Elle se porte bien avec les instances de légitimation, par exemple le Grand prix national des arts et des lettres (GPNAL) dans son volet littérature. Si l’on fait le point, on peut dire que la SNC, à travers le GPNAL, a permis de faire connaître plus de 5000 écrivains depuis 1983. En termes d’œuvres littéraires, c’est plus que ça. En termes également d’œuvres éditées, il y en a beaucoup, parce que les œuvres lauréates sont éditées soit par l’administration culturelle, soit par les auteurs eux-mêmes. Ce qui fait que la bibliographie nationale en matière de littérature est abondante et on ne peut que s’en féliciter. Par contre, cette littérature n’est pas connue. Cela est dû à plusieurs facteurs. Par exemple, les journalistes ne jouent pas totalement leurs rôles dans la promotion des œuvres littéraires. J’aurais rêvé voir en permanence des pages littéraires dans les productions journalistiques. Il y a aussi le fait que cette littérature, malgré son abondance et sa richesse, n’est pas suffisamment enseignée et là, j’interpelle chaque fois les responsables de l’éducation nationale au niveau post-primaire et secondaire, parce qu’au niveau du primaire, ce sont les écrivains burkinabè qui sont au programme. A l’université, nous avons fait les efforts nécessaires pour enseigner la littérature burkinabè.

S. : On constate que les jeunes lisent de moins en moins, quelle est la solution que vous proposez?

S.S. : C’est de la paresse intellectuelle tout simplement. Actuellement, j’ai fait une petite expérience avec une dizaine d’étudiants de licence 3e année, en leur proposant des œuvres à lire toutes les deux semaines, et ça marche. Il suffit tout simplement de les motiver. Il faut les intéresser à la lecture en leur montrant son intérêt. Elle nous permet de voyager, d’enrichir notre vocabulaire, l’expression et l’argumentation. Bref, il n’y a que des avantages dans la lecture. Les jeunes disent souvent qu’ils n’ont pas le temps et pendant ce temps, ils sont branchés sur leurs téléphones et sur les réseaux sociaux. Un temps qui pouvait être consacré à la lecture.

S. : L’internet ne menace-t-il pas la littérature ?

S.S. : Mais, il y a des livres sur le Net. C’est une question de volonté et il faut tout simplement sensibiliser les jeunes. Une bonne sensibilisation leur permet de se rendre compte que la lecture est d’intérêt pour eux. C’est parce que justement nos jeunes sont renfermés sur eux. Ils ne connaissent pas d’autre monde que celui dans lequel ils vivent. C’est aussi l’une des raisons de l’incivisme que l’on vit de nos jours.

S. : Quel peut être l’apport du coutumier à la construction de la nation ?

S.S. : Quand vous prenez la littérature burkinabè, avec «Le crépuscule des temps anciens», la première œuvre littéraire parle de quoi ? Nazi Boni interpelle les intellectuels africains à s’intéresser aux traditions. Et il a cette belle phrase : «C’est maintenant qu’il faut le faire, sinon, plus tard, il sera peut-être trop tard». Nazi Boni, dès 1962 nous invitait à nous intéresser à nos traditions. Dans ce livre, on découvre comment était la tradition des Bwaba, la lutte, la danse, le travail. Tout cela, ce sont des choses que l’on apprend. La lecture peut renforcer les sentiments humains.

S. : Qu’est-ce que le Laboratoire littératures, espaces et sociétés ?

Le Laboratoire littératures, espaces et sociétés a été créé en 2013 avec la mise en œuvre du système Licence-master-doctorat (LMD). Le LMD est la réorganisation et la restructuration des enseignements et de la recherche. Avec ce système, il est fait obligation de créer des laboratoires qui vont être des cadres dans lesquels la recherche scientifique va se mener. Comme nous travaillons sur la littérature, la culture, nous nous sommes dit que nous allons créer un laboratoire dans lequel ses domaines pourront être abordés. La littérature est notre point de départ, l’espace est important dans la littérature, la société et la culture. La société est tout ce qui anime les espaces. Le laboratoire englobe donc toutes les réflexions que nous pouvons faire sur la culture, sur les expressions artistiques et sur la littérature. Comme il est fait obligation à chaque enseignant-chercheur dans le cadre du système LMD de faire partie d’un laboratoire, nous avons donc créé ce laboratoire dans lequel il y a une quinzaine d’enseignants-chercheurs de l’université Joseph-Ki-Zerbo, de l’université Norbert -Zongo de Koudougou et de l’université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso. Les chercheurs ont chacun un domaine de recherche mais la thématique centrale du Laboratoire est la culture, l’expression artistique et la littérature africaine. Nous préparons les jeunes chercheurs, à travers l’encadrement de leurs thèses de doctorat, à intégrer le monde de la recherche institutionnelle. Les sujets de doctorat dont je vous ai parlé ont été réalisés dans le cadre de ce laboratoire et il y a une bonne dizaine de thèses en cours de réalisation aussi bien sur la littérature que sur la culture. Par exemple, il y a une thèse qui se prépare sur les titres et les couvertures des œuvres burkinabè. L’illustration qui est faite sur la couverture, le titre et le contenu de l’œuvre peuvent amener à réfléchir.

S. : Quelle définition simple peut-on donner à la recherche scientifique ?

S.S. : La recherche scientifique est quand quelqu’un se donne pour mission de réfléchir à un phénomène à partir des instruments théoriques éprouvés. Une recherche scientifique sur les masques ne se résume pas à regarder les masques pour dire qu’ils sont jolis. Je dois arriver à dire pourquoi le masque existe dans telle société. Pour ce faire, je vais d’abord voir ce qui a été dit ailleurs sur le phénomène des masques. On apprend qu’il y a le mythe fondateur du masque, c’est une expression, «mythe fondateur» ! Je cherche aussi à voir s’il y a un mythe fondateur sur les masques sur lesquels je veux travailler. S’il en existe, que dit-il ? Le mythe explique comment le phénomène s’est présenté à un homme en brousse et comment les deux se sont entendus pour venir au village. Je vais aussi me poser la question sur l’utilité du masque. Je vais me rendre compte qu’il y a plusieurs occasions où le masque est présent parmi les hommes. Quels sont ces occasions et pourquoi tel type de masque à telle occasion ? En procédant ainsi, je mène une recherche scientifique sur les masques. Je permets, en ce moment, à celui qui va me lire de savoir ce que c’est que le masque dans tel groupe ethnique ou dans telle communauté.

S. : L’on a constaté que depuis l’insurrection populaire, il y a une prolifération dans la parution d’ouvrages littéraires. Comment cela peut-il s’expliquer ?

S.S. : La littérature marxiste à l’époque nous enseignait que les révolutions constituent des accélérations dans l’évolution des sociétés. L’insurrection populaire a été brusque et brutale dans la vie de notre pays parce que ce qui était inimaginable est arrivé et de la manière la plus claire. On ne peut pas douter que ce genre d’événements va créer dans l’esprit des artistes une espèce de stimulation. C’est un phénomène universel, au moment où il y a une accélération de la vie de la société, il y a aussi une accélération de la création artistique.

S. : Qu’attendez-vous de vos poulains dans le domaine de la recherche scientifique ?

S.S. : J’attends premièrement d’eux de ne jamais se décourager dans la recherche. Je suis resté maître-assistant pendant 17 ans. Mon horizon était bouché, j’ai continué jusqu’à ce qu’il se débouche. Je leur dirai ensuite de croire en ce qu’ils font, d’avoir la foi, d’être convaincus et de se donner les moyens d’y arriver. Il faut aussi se dire : «quelque chose a été fait avant moi et au moment de partir, il faut qu’on voit ce que moi aussi j’ai fait». Cela s’appelle préparer l’avenir.

S. : Combien de docteurs avez-vous formés ?

S.S. : Pour le moment il y a 13 thèses que j’ai dirigées ou codirigées au Burkina comme à l’extérieur. J’ai par exemple codirigé la thèse d’un Ougandais à l’université de Limoges. J’ai aussi dirigé la thèse d’un Tchadien ici. Avant que je n’aille à la retraite, il y a cinq ou six thèses qui vont être soutenues d’ici janvier 2020, ce qui me fera une bonne vingtaine.

S. : Est-ce suffisant ?

S.S. : Pour un enseignant-chercheur, c’est peu mais, pour le Pr Salaka Sanou, c’est énorme. Pourquoi ? Tant que vous n’êtes pas maître de conférences, vous ne pouvez pas diriger une thèse alors que je suis resté maître-assistant pendant 17 ans. C’est à partir de 2005 que j’ai commencé à diriger des thèses. Donc de 2005 à 2020 si j’ai une vingtaine de thèses, c’est énorme. Sans aussi compter que les fonctions administratives sont très prenantes. Je suis resté directeur général de l’enseignement supérieur pendant près de dix ans. Cela a retardé beaucoup l’évolution des thèses ; mais lorsque j’ai quitté cette direction en mars 2016 jusqu’en décembre 2016 j’ai fait soutenir cinq thèses. Ces thèses étaient bloquées de mon fait parce que je n’avais pas le temps.

S. : Durant votre parcours, quel est le projet qui vous tenait à cœur que vous n’avez pas pu réaliser ?

S.S. : Je voulais faire une carte des masques du Burkina, mais je n’y suis pas parvenu.

S. : Pourquoi ?

S.S. : Parce que je n’ai pas trouvé d’étudiants qui veulent travailler sur les masques dans toutes les communautés de masques au Burkina. L’idée était de faire faire des mémoires sur des masques dans les ethnies où il en existe pour que, à un moment donné, on fasse le point pour dire voilà les groupes ou les sous-groupes ethniques qui ont des masques. C’est mon plus grand regret.

S. : Quel peut être l’apport du numérique dans l’application effective du système LMD ?

S.S. : J’avais longuement espéré qu’on ne parlât pas du LMD. Le système a des avantages et aussi des exigences. C’est ce que les gens n’ont pas bien compris. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas rempli toutes les exigences qu’il ne faut pas y aller. Aujourd’hui, l’accès à l’information scientifique se fait par le Net. L’ouvrage collectif que nous venons de présenter à l’occasion du colloque Dɔnko. Etudes culturelles africaines, est en ligne. La revue qui s’appelle Dɔnko. Etudes littéraires et culturelles africaines sera en ligne. Pour pouvoir accéder à cette information scientifique, il faut aller sur internet. Quand j’entends les étudiants se plaindre, regardez leurs téléphones, ils échangent sur Facebook, ils ont des mégas pour s’écrire sur whatsapp, mais ils vous diront qu’ils n’ont pas de mégas pour les cours. C’est comme la question de la lecture, c’est une question de sensibilisation. Si je mets mon cours en ligne ça veut dire qu’il est accessible. Cela veut dire que n’importe qui de mon profil peut voir mon cours. Le fait d’obliger les enseignants à mettre leur cours en ligne n’est pas mauvais.

La redaction

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