Production du riz amélioré : ces amazones qui repoussent l’insécurité alimentaire

Au Burkina, les femmes s’investissent davantage dans la culture du riz à la faveur de l’introduction de nouvelles variétés.

Dans les bas-fonds aménagés et/ou sur les périmètres irrigués de Bama, dans les Hauts Bassins, et à Mogtédo, dans le Plateau central, les femmes s’illustrent avec brio dans la riziculture. Grâce aux semences de riz développées par les chercheurs burkinabè, l’autre moitié du ciel contribue à repousser les limites de la faim au pays des Hommes intègres.

Au Burkina Faso, la riziculture est aussi l’apanage des femmes. Dans la plaine de Bama, située dans la province du Houet, l’autre moitié du ciel dicte sa loi dans une culture autrefois réservée aux hommes, dans cette partie du pays. Et ce, à la faveur de l’introduction des semences de riz développées par des chercheurs burkinabè. Jeudi 22 juin 2023, ce périmètre aménagé de plus de 1 260 hectares est pris d’assaut par une vingtaine d’« amazones ».

Pendant que les unes sont au stade de labour, d’autres arrosent les plants de pépinières de riz. Parmi elles, figure Kadi Kaboré, 37 ans. Elle possède un hectare de terrain. Pour la présente campagne humide, elle dit avoir acquis 5 kilogrammes de semences de riz Orilyx6, une variété développée par l’Institut national de l’environnement et de recherches agricoles (INERA). « J’ai fait les pépinières.

Maintenant, je prépare le terrain pour le repiquage du riz. Après les récoltes de l’année dernière, j’ai mis de la fumure organique. Lorsque nous avons eu les premières pluies, j’ai fait labourer le sol. Je continue à remuer le sol, espérant que la fumure puisse bien l’enrichir et que j’aie de bonnes récoltes », explique celle qui dit suivre à la lettre, les conseils des techniciens de l’agriculture.

Un fort potentiel de rendement

« Si nous réussissions à maitriser l’eau, nous pourrions faire plusieurs cycles de production et augmenter nos rendements. Il n’y a donc pas de raison que nous ne puissions
pas atteindre l’autosuffisance alimentaire en riz », affirme Dr Eric Pascal Adanabou, directeur régional en charge de l’Agriculture des Haut-Bassins.

C’est aussi dans l’espoir d’avoir de « bons rendements » que sa coépouse Afséta Ouédraogo a adopté les semences améliorées de riz, depuis 2020. Elle a changé ses habitudes culturales. La productrice de riz a opté, quant à elle, pour la TS2. En ce mois de juin, elle est au stade de repiquage.

Oumar Son est un agent d’agriculture à Bama. Il prodigue aux productrices de la localité, des conseils sur les bonnes pratiques agricoles et suit leurs exploitations. Il explique le choix des dames par le « fort potentiel de rendement » des semences de riz développées par les chercheurs de l’INERA et mises à la disposition des producteurs et productrices. Selon lui, l’Olylix6, la TS2, la FKR60N et la FKR62N… sont les nouvelles variétés mises en valeur dans la plaine de Bama.

De façon spécifique, l’Orylux6 produit 6 à 7 tonnes à l’hectare, entre 100 et 105 jours. Quant au TS2, il a un cycle de 120 jours pour un rendement de l’ordre de 7 tonnes à l’hectare. Pour sa part, le FKR60N a un cycle compris entre 100 et 105 jours avec un rendement de 5 à 6 tonnes par hectare. De son côté, le FKR62N produit 7 tonnes à l’hectare pour un cycle de 115 à 120 jours.

Changer de vie

A l’image de Kadi et de Afséta, de nombreuses femmes ont parié sur la production de semences améliorées de riz dans les bas-fonds et périmètres irrigués au Burkina Faso. Et, c’est pari gagnant. Fière allure, Rasmata Ouédraogo fait le tour de sa parcelle d’un hectare

Dans la plaine de Bama, Afséta Ouédraogo a fini de repiquer son riz de variété TS2.

de riz, dans la plaine de Bama.

En ce début de saison des pluies, elle fait partie des rares productrices à penser déjà à la moisson. Le riz de variété Orylix6, qu’elle a repiqué courant janvier-février 2023 est au stade de maturation de grain. A vue d’œil, les feuilles ont jauni. Les grains aussi. « On va couper le riz dans deux ou trois semaines », dit-elle, sourire aux lèvres.

Dame Ouédraogo s’attend à récolter au moins cinq tonnes et demi à l’hectare. Le coût du riz au kilogramme est estimé entre 600 et 1 500 FCFA. Depuis 2020, Rasmata produit deux fois par an. « C’est au cours des deux premières productions que j’ai récolté moins de cinq tonnes de riz », confie- t-elle.

Aujourd’hui, ajoute la quarantenaire, la production du riz a changé sa vie. Grâce à la vente de ses récoltes, elle a acquis des biens. Une motocyclette, des animaux dont des bœufs de trait, une boutique de vente pagnes…, détaille Mme Ouédraogo.

Manger à sa faim

Le riz de variété améliorée a aussi permis à Kalizéta Kaboré d’améliorer ses conditions de vie. Il y a seulement deux ans que la native de Mogtédo, dans le Plateau central, a adopté la FKR60N, une semence développée par les chercheurs burkinabè. Les récoltes de la

Rasmata Ouédraogo : « la production du riz a changé ma
vie ».

saison précédente lui ont permis d’avoir plus de vingt tonnes de riz sur trois hectares. « C’est vraiment bénéfique.

Il y a longtemps que j’ai demandé la popote à mon mari. S’il m’en donne, tant mieux. S’il ne donne pas, je peux gérer cela moi-même. Aujourd’hui, nous n’achetons plus le riz pour la consommation. Je fais un stock pour nourrir ma famille et je vends aussi. J’ai payé une formation en pâtisserie et une motocyclette pour ma fille qui réside à Ouagadougou. Je lui envoie régulièrement de l’argent aussi », affirme Kalizéta Kaboré.

Elle soutient que la manne tirée de la production permet à de nombreuses dames de manger à leur faim et se sortir des « griffes » de la pauvreté. Awa Ouédraogo est productrice de riz à Bama et mère de quatre enfants. La trentenaire met en valeur l’Orylux6 sur deux hectares.

Ces trois dernières années, Awa Ouédraogo a fait six moissons, soit deux par an, en saison pluvieuse et en saison sèche. « Je gagne beaucoup, parce que ce riz est plus rentable à l’hectare et plus cher sur le marché aussi. Les consommateurs et les commerçants apprécient les nouvelles variétés plus que les anciennes qu’on produisait. Elles ont un goût aromatisé.

Souvent, des commerçants paient alors que nous n’avons même pas encore récolté. D’autres ont proposé de subventionner la production du riz Orylux. Ils veulent nous donner les intrants agricoles et en retour, nous avons obligation de leur revendre nos récoltes. Nous réfléchissons toujours », dit-elle, sourires aux lèvres.

Des « héroïnes »

Pour Kalizéta Kaboré, la culture du riz amélioré lui permet de s’autosuffire.

La bravoure des « amazones » de la riziculture fait l’unanimité. Seydou Ky est président d’une coopération de producteurs de riz à Bama. Selon lui, seulement une centaine de femmes cultivent le riz. « Elles nous aident beaucoup. Dans la production du riz, le travail des femmes est immense.

Le repiquage, la coupe, le séchage, l’étuvage… ce sont les femmes. Elles sont au début et à la fin », encense le « vieux » Ky. Dans la seule région des Haut-Bassins, les producteurs ont récolté 77 932 tonnes de riz en 2022, selon le directeur régional en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, Dr Eric Pascal Adanabou qui estime que plus de la moitié est à mettre à l’actif des femmes.

Lucien Kaboré est ingénieur d’agriculture et doctorant en génétique et amélioration des plantes. Il estime que les femmes constituent l’essentielle de la « force ouvrière » dans la production du riz, « environ 90% ». Kalizéta Ouédraogo est étuveuse de riz. Elle loue la qualité de riz produit par ses consœurs. « Elles font un bon travail. Elles ont été formées et produisent du riz de qualité. Au cours de la phase de dégustation, les gens ont vraiment aimé les nouvelles variétés développées par nos chercheurs », affirme-t-elle. Pour le directeur régional chargé de l’Agriculture, les femmes constituent un maillon essentiel de la production du riz. C’est pourquoi, dit-il, elles sont fortement impliquées dans les programmes de formation et/ou de renforcement de capacités aux bonnes pratiques agricoles et de distribution des intrants agricoles.

Privilégier les semences améliorées

Le riz figue parmi les produits de grande consommation des Burkinabè, en 2019, selon la direction générale du commerce, à partir de la base de données de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD). La production nationale peine à couvrir les besoins de consommation.

Le Burkina Faso consomme chaque année 650 000 tonnes de riz dont 400 000 tonnes viennent de l’importation, selon le ministère du commerce, cité par l’INSD. « Ce qui montre qu’il y a un marché très important et une opportunité à saisir pour les producteurs locaux », analyse Dr Adanabou.

Il a l’assurance qu’avec les femmes dans la valorisation des semences de riz améliorées, le Burkina peut atteindre l’autosuffisance alimentaire. « Aujourd’hui, nos producteurs/productrices sont bien formés aux bonnes pratiques agricoles. Ils sont désormais tournés vers l’agriculture intensive et ont à leur disposition des semences de variétés améliorées.

Si nous réussissions à maitriser l’eau, nous pourrions faire plusieurs cycles de production et augmenter nos rendements. Il n’y a donc pas de raison que nous ne puissions pas atteindre l’autosuffisance alimentaire en riz », affirme Dr Eric Pascal Adanabou. Lucien Kaboré est du même avis.

es femmes ont changé d’habitudes culturales grâce au potentiel de rendement des nouvelles variétés, selon Oumar Son, agent d’agriculture à Bama.

Le doctorant en génétique et amélioration des plantes invite le gouvernement à vulgariser les semences des chercheurs burkinabè pour booster la productivité agricole, dans ce contexte de crise sécuritaire, surtout que des zones agricoles sont aujourd’hui inaccessibles. « Face au défi sécuritaire, à la pression foncière et aux aléas climatiques, il est évident que les superficies cultivables sont considérablement réduites.

Utiliser les variétés améliorées et les paquets technologiques qui les accompagnent en termes de techniques de récupération des terres dégradées et de protection des plantes contre les ravageurs est l’alternative qui s’offre à nous », détaille le chercheur. Il explique que, contrairement à d’autres variétés de riz cultivées dans le pays, la production de nouvelles variétés ne nécessite pas beaucoup d’eau, parce que la source de la gêne est de type pluvial.

L’autre avantage, aux dires de Lucien Kaboré, est que les semences développées récemment par les chercheurs burkinabè apportent une réponse aux maladies du riz et aux aléas climatiques qui occasionnent des pertes de récoltes pour des milliers de producteurs. Nourrir les Burkinabè Les « amazones » rencontrées à Bama et à Mogtédo sont assez confiantes. Si certaines difficultés sont résolues, elles peuvent nourrir les Burkinabè, disent-elles, en substance.

« A Mogtédo, les femmes n’ont pas accès à la terre. Celles qui sont dans les rizières ont toutes hérité, soit de leurs parents et/ou époux décédés. Moi par exemple, j’exploite le terrain de mon père », indique Kalizéta Kaboré. Rasmata Ouédraogo plaide pour la maitrise de l’eau, afin que tout le monde puisse produire au moins deux fois par an.

Moumouni Sawadogo, producteur de riz à Mogtédo, défend l’autre moitié du ciel pour qu’elle ait accès, outre la terre, aux équipements agricoles. « Pour la distribution du matériel de travail, par exemple, les hommes ne veulent pas donner aux femmes. Pourtant lorsqu’elles reçoivent quelque chose, on voit les traces, elles travaillent avec ça. Avec les femmes, c’est toute la famille qui gagne », confesse le quinquagénaire.

Djakaridia SIRIBIE


« …si on veut accompagner le chef de l’Etat et s’autosuffire en riz, il faut se baser sur la science », Dr Edgar Traoré.

Le spécialiste de la génétique et de l’amélioration des plantes, Dr Edgar Traoré, s’est prononcé sur l’« Initiative présidentielle pour la production agricole 2023-2024 ».

« En matière agricole, tout part de la semence. Elle compte pour 40 % pour les résultats de la production. Mais la semence ne va pas seule, il y a aussi le respect des techniques de bonnes pratiques agricoles. C’est ce qu’on appelle l’intensification de la production agricole. On peut partir d’une production de trois tonnes à l’hectare à cinq tonnes sur la même superficie, parce qu’on a bien formé nos producteurs et on les assiste pour qu’ils respectent les itinéraires agricoles. (…)

Donc, si on veut accompagner le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, s’autosuffire en riz, il faut se baser sur la science. Il ne s’agit pas seulement de la science agricole, il y a la science sociétale. C’est-à-dire, il faut tenir compte des couches sociales, des habitudes sociales et de l’écologie pour sélectionner la variété. »

D. S.

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