Reconquête du territoire national: veillée « d’armes » à la place de la Nation

Dans ce dortoir, les bagages sont posés pêle-mêle.

Ils sont des centaines de jeunes à camper depuis trois, quatre mois…voire plus, à la place de la Nation de Ouagadougou. Venus de Djibo, Fada N’Gourma, Tenkodogo, Toma, Tougan, Ouahigouya…leur objectif : intégrer les rangs des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour libérer la mère-patrie, en proie aux attaques des forces terroristes. Les jours se succèdent, mais leur enrôlement pour le théâtre des combats se fait attendre. Exposés aux intempéries (pluie, vent…), maladies…à la belle étoile, leurs conditions de vie ne sont pas reluisantes. Mais, ils gardent toujours espoir d’être enrôlés pour défendre le Burkina Faso…

La nuit a fini de recouvrir le ciel Ouagalais de son manteau noir. La fine pluie qui s’est déversée en début de soirée sur la capitale a presque vidé le centre-ville de ses occupants. Terrés dans leurs commerces, bureaux… les derniers « rescapés » s’empressent de regagner leur domicile. Au rond-point des Cinéastes, à peine quelques silhouettes sont visibles. Les automobilistes, motocyclistes n’hésitent pas à « brûler » les feux tricolores. Jouxtant ce chef-d’œuvre qui rappelle que Ouagadougou est aussi la capitale du cinéma africain, l’horloge de l’Hôtel de Ville affiche : 27°C et 20h09, ce 4 octobre 2023.

Une température rarissime en cette période de l’année où la canicule commence déjà à surchauffer les thermomètres. Les appels téléphoniques des candidats au recrutement de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) avec qui nous avions pris rendez-vous, la veille, lorsqu’ils squattaient par dizaines, le hangar du Médiateur du Faso pour échapper à la pluie qui s’abattait sur la capitale, ne cessent de faire vibrer notre téléphone portable. A grands pas, nous rallions la place de la Nation, leur Quartier général (QG).

Un dortoir à ciel ouvert

En cette nuit tombée, cette mythique place est transformée en un gigantesque dortoir à ciel ouvert. Dans la pénombre, difficile de dénombrer les âmes. 100, 200…personnes. Impossible d’avancer un chiffre. En groupuscules, déjà dans les bras de Morphée, certains

L’automédication est courante au sein des candidats VDP.

sont couchés sur des matelas de fortune, des pagnes, des feuilles de cartons… pendant que d’autres sont scotchés à leurs téléphones, assis à même le sol, près de leur baluchon. Des habits lessivés sont étalés, pêle-mêle.

Faisant la vaisselle ou prenant leur diner à même le sol, des jeunes d’une trentaine d’âge n’arrêtent pas de nous dévisager. Dans l’obscurité, les mouvements des dizaines d’yeux fixés sur nous laissent croire que nous sommes étrangers des lieux. Le temps de leur marmonner quelques mots, une dizaine de jeunes accourent vers nous. «Monsieur, le journaliste. Notre délégué est en réunion avec d’autres camarades. Ils arrivent dans peu de temps », lance l’un d’eux. Le « boss » des lieux est en conciliabule.

Sans son « ok », personne ne peut piper mot. Déjà, 20 minutes d’attente. Aux chants assourdissants des insectes, commencent à s’entremêler, le bourdonnement et les piqûres des moustiques. 21h10 ! Sous bonne escorte, Sié Poda, le maitre des lieux, avance vers nous. Après les civilités, chacun veut maintenant piper mot.

« Nous nous débrouillons pour vivre… »

Assis dans sa « chambre », sur une natte, ses vêtements posés en vrac, Simon Yaméogo, 25 ans, s’apprête à passer sa 66e nuit à la belle étoile. Les yeux écarquillés, il a dû quitter manu militari Gassan, dans la province du Nayala, sous injonction des groupes terroristes pour trouver refuge au secteur 4 de Koudougou. «Je suis venu répondre à l’appel du président du Faso qui a sonné la mobilisation générale. Ce qui se passe dans les autres localités, notamment, les attaques terroristes ne nous plait pas.

C’est pourquoi, nous avons décidé de venir apporter notre contribution pour ramener la paix dans notre pays », lance-t-il, la gorge enrouée. A Koudougou, Simon n’a pas hésité à se porter candidat, lors du recrutement des VDP. Son échec dans la cité du Cavalier rouge l’a conduit dans la capitale pour espérer réaliser son rêve. Replongé dans son glorieux passé, où son activité de vente de vêtements prospérait, il était loin de s’imaginer qu’il allait plier ses bagages pour se retrouver dans un nid de moustiques, à la place de la Nation, encore moins être parmi les candidats pour libérer la mère-patrie des forces obscurantistes.

« Après un an d’activités à Gassan, mon commerce marchait bien et un soir de novembre 2022, ils sont venus nous dire de quitter le village. Donc, j’ai quitté pour me réfugier à Koudougou», se rappelle-t-il. Révolté, le jeune Yaméogo a décidé de prendre les armes pour défendre son pays. Mais, sa vie n’est pas rose. Dans leur camp de « cantonnement », les conditions sont précaires. Ils sont à la merci des moustiques, des insectes, des reptiles… «Nous n’avons pas d’eau ni de toilettes à proximité. Il faut aller dans les toilettes publiques de la maison du Peuple, près d’un km pour prendre son bain, faire ses besoins…», peste-t-il.

Pis, dit-il, il se « débrouille » pour se garantir un repas quotidien. «Nous sommes solidaires. Ici, beaucoup ne disposent plus d’argent. Celui qui a à manger le partage avec les autres. Nous constituons désormais une famille. Même si tu n’as pas d’argent, tu peux te joindre à un groupe qui en a», avoue le jeune Simon. Assis dans son « bunker », en train de murmurer, Oumar Traoré se demande comment faire pour ne pas dormir le ventre creux, cette nuit. Le regard interrogateur, les yeux dirigés dans tous les sens, nous n’hésitons pas à prendre place à ses côtés.

Tenancier d’un kiosque à café dans le quartier Wayalghin de Ouagadougou, il a abandonné les siens et son activité qui lui procurait quotidiennement 15 000 francs CFA pour passer

Simon Yaméogo estime que les jeunes peuvent libérer le pays.

désormais ses jours et ses nuits en plein air. Depuis trois mois, il broie du noir. Difficile pour lui de prendre un bon bain, encore moins s’alimenter. «Souvent, parmi la population, des bonnes volontés viennent nous donner à manger», raconte- t-il.

«Nous nous débrouillons pour dormir, souvent à même le sol. S’il pleut, nous nous abritons sous les hangars. Souvent, les tenanciers des kiosques nous chassent. Mais, notre seule motivation, c’est qu’on espère être enrôlé un jour. Sinon, la vie ici est vraiment difficile pour nous», confesse-t-il. Mais, il n’est pas prêt à retourner à domicile pour gonfler le nombre des siens, surtout ceux venus de Yerefla dans le Sud-Ouest, fuyant les groupes terroristes. Le temps de lui arracher quelques mots encore, des silhouettes de jeunes filles attirent notre attention. Nous nous dirigeons vers elles.

Mais, il faut enjamber des habits étalés, des couchettes, des assiettes sales… Quelques sauts… nous sommes dans la « demeure » de Pauline Kazawa. On y trouve essentiellement une natte, des draps, un sac à dos et quelques assiettes. Filiforme, la tête rasée comme une nouvelle recrue de l’armée, cette jeune fille de 22 ans a quitté Bondokuy, dans la région de la Boucle du Mouhoun pour rallier la place de la Nation de Ouagadougou.

D’abord peu loquace, elle finit par se lâcher après quelques minutes d’hésitation. «Les terroristes sont venus détruire la mairie, les services administratifs… dans mon village. Cela ne m’a pas plu. Voilà pourquoi, j’ai décidé de venir prendre les armes pour défendre ma localité », informe-t-elle. Comme ses futurs « frères d’armes », sans ressources financières ni véritables moyens de subsistance, la nouvelle vie de Pauline Kazawa, loin de ses géniteurs n’est pas un fleuve tranquille.

«A Ouagadougou, je n’ai aucune famille. Sans argent, c’est très difficile de survivre. Souvent, j’appelle mes parents restés au village pour qu’ils m’envoient un peu d’argent, souvent 1000 FCFA ou 2000 FCFA pour pouvoir manger quelques semaines. Désormais, les matins, je pars faire de petits boulots pour avoir un peu d’argent et le soir, je viens dormir ici», raconte-t-elle. Elle ajoute : «Ici, tout est difficile.

La nuit, lorsque tu pars te soulager sur le goudron, des motocyclistes foncent sur toi et tu es obligée de fuir pour ne pas être écrasée. Par manque d’argent, souvent, quand je vois mes menstrues, je ne sais même pas comment m’y prendre. En déhors de la honte, cela indispose les autres».

« Nous voulons défendre notre pays…»

Aidara Kindo est venu de Djibo (209 km de la capitale) pour répondre à l’appel du chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, de défendre la Nation. «Nous avons entendu l’appel du président pour le retour de la paix. C’est pourquoi nous avons décidé de venir nous inscrire comme VDP », affirme-t-il. Le rêve de cet ex-orpailleur est de défendre le pays des Hommes intègres même au prix de sa vie. « Ce n’est pas la rémunération qui nous importe, mais le travail volontaire.

Sinon, pour un VDP, 60 000 F CFA, comme salaire, ce n’est pas de l’argent comparé au sacrifice sur le terrain. Même si, je suis engagé sans salaire pendant six mois, cela ne me dérange pas », dit-il. Ce jeune orpailleur qui fouinait dans les entrailles de la terre de Seytenga pour chercher le métal jaune s’en tirait à bon compte. «Dans le Sahel, mes activités prospéraient. Je gagnais plus de 100 000 F CFA ou plus par mois.

Dormir à la belle étoile est le quotidien des candidats VDP.

Si la paix revient, je pourrais avoir plus. Donc, il faut que chacun contribue à son retour », conseille-t-il. Agé de 43 ans, Alassane Coulibaly a abandonné, le 1er août 2023, « sa richesse », son épouse et ses six enfants pour camper à la place de la Nation. Dans sa terre natale, à Bondokuy, les groupes armés ont détruit presque tout sur leur passage. Des antennes téléphoniques, aux concessions… ces « fous de Dieu » ont tout saccagé.

Alors, il a décidé de ne plus rester les bras croisés pour défendre la terre de ses ancêtres. « Ici, nous mourons de faim. Mais, nous attendons que le Président IB vienne nous chercher pour combattre les terroristes afin que le Burkina retrouve son lustre et sa paix d’antan », espère-t-il. Et d’insister qu’il restera là jusqu’à son enrôlement.

« Nous préférons mourir sur le champ de bataille que de retourner chez nous à la maison. La mort est une obligation pour tout être humain », susurre-t-il. Son vœu est d’extirper les siens et toutes les populations du joug des terroriste, dans toutes les contrées du pays. «Nous avons tout abandonné, nos champs, animaux…pour survivre. Mais, est-ce qu’on va continuer à fuir ? », s’interroge-t-il, tremblotant.

« Des femmes ont décidé de prendre les armes avec nous pour combattre. Nous dormons tous ensemble, ici, à la belle étoile. Y a-t-il un engagement plus que cela ? », questionne Alassane Coulibaly. Avec la bénédiction de ses parents, à peine âgée de 20 ans, Alida Kaboré espère intégrer les rangs des VDP, depuis deux mois. «Ce sont mes parents qui m’ont encouragée à venir me faire enrôler pour défendre notre pays. Nous souhaitons être enrôlé, car, notre seul désir c’est de contribuer au retour de la paix», souhaite la jeune fille. Selon elle, seule la lutte armée pourrait sauver son village, Namissiguima, régulièrement la cible des forces du mal.

Une longue attente

Estimé à plus de 400 personnes, en début octobre 2023, selon le décompte de Sié Poda, chef de la cohorte, les rangs des candidats VDP dégrossissent. Il précise : « Sur la liste que je détenais, nous étions plus de 400. Mais à ce jour, nous ne sommes plus que 300. Beaucoup n’ont pas pu supporter les difficiles conditions pour s’alimenter, dormir et surtout les pluies qui nous battent. Ils sont retournés chez eux ».

Pour freiner ces « désertions » dans leur rang, les candidats VDP n’hésitent pas à multiplier les démarches pour leur intégration. Il fait savoir : «nous avons effectué de multiples démarches auprès des autorités en vain. Elles nous disent qu’elles ne sont pas au courant de nous, ou, qu’il n’y a pas de recrutement. Nous sommes très découragés. Mais, nous les supplions de nous enrôler».

Sans famille à Ouagadougou, Aissa Porgho, 25 ans, pense que l’heure ne doit pas être au découragement. « Si, j’ai fait deux mois ici, exposée à la pluie, au vent, aux moustiques…loin de mes parents à Ouahigouya, à plus de 200 Km de Ouagadougou, ce n’est pas la peine de céder au découragement. J’ai l’espoir qu’un jour, on viendra nous enrôler pour le front. D’ailleurs, quel que soit le théâtre des combats, je suis prête à m’y rendre », avoue-t-elle, l’air serein. Ne dit-on pas que la patience est un chemin d’or ?

Djibril Zongo (23 ans) a fait sien, cet adage. S’il a abandonné son activité de vente de pneus et de jantes de motocyclettes dans la capitale économique Bobo-Dioulasso, garder espoir d’être recruté n’est pas la mer à boire pour lui. « Depuis trois mois, que je vis sur cette place. Après tous ces mois d’attente, je ne sais pas à quoi cela servira de baisser les

D’après Aissa Porgho, l’hygiène est une véritable préoccupation pour les jeunes filles.

bras et retourner chez moi », estime-t-il. L’idée de rebrousser chemin n’a jamais taraudé son esprit. « Mes parents continuent de me bénir et à me demander de rester. Car, ils ont aussi espoir qu’un jour viendra où la Nation va nous recruter pour contribuer à sa défense », lance-t-il tout confiant.

« Nous ne pouvons plus retourner chez nous… »

Avec les nombreuses souffrances déjà endurées, les mots qui reviennent sur toutes les lèvres sont : « pas question de retourner…». «Il pleut, tu ne sais même pas où aller. Dans le mois d’août, la pluie peut commencer de 17h à 23h, ou plus. Nous sommes sur pieds, sous des hangars… nous avons envie de dormir, mais impossible. Souvent, dans un petit abri de fortune, nous sommes des dizaines à y trouver refuge.

Avec toutes ces épreuves subies, l’heure n’est pas à l’abandon», lâche Sié Poda. Pire dit-il, il ne veut pas être la risée de son village. « Rentrer chez moi à Diébougou sans être enrôlé VDP sera une honte pour moi. Parce que je suis parti pendant des mois, s’ils me demandent pourquoi je ne suis pas au combat, que vais-je leur répondre ?», demande-t-il. D’autres, confesse-t-il, ne peuvent pas rejoindre leurs localités, car, tous savent qu’ils sont venus se faire enrôler comme VDP. «Nous ne pouvons plus retourner chez nous…

Désormais, en plus d’être un danger pour nous face à l’ennemi, nous sommes des dangers pour les nôtres», soutient Sié Poda. Boukaré Ganamé, son village Titao Nongo « assiégé », n’a qu’un rêve : prendre les armes pour libérer la terre de ses ancêtres. « Depuis trois ans, mon village subit de violentes attaques. Certains parents sont réfugiés à Titao et d’autres à Ouahigouya en attendant le retour de la paix», avoue-t-il.

Celui que les circonstances de la vie ne donnent plus le choix affirme que c’est désormais une obligation pour lui de répondre à l’appel du président de la Transition de défendre le pays. « Je suis prêt à aller sur tous les fronts. Mon rêve, c’est qu’après ma mort, ma statue soit implantée dans cette terre du Burkina», prophétise Boukaré Ganamé. Désormais, son seul objectif est de payer de sa vie à l’image du combattant VDP, Ladji Yoro qui a protégé les siens dans la région du Nord jusqu’à son dernier souffle…

Abdel Aziz NABALOUM

emirathe@yahoo.fr


Des nombreux cas de maladies

Exposés à la pluie, au soleil, aux piqûres de moustiques, de nombreux cas de maladies (paludisme, dengue…) sont enregistrés au sein des candidats VDP. Aubin Ouédraogo(18 ans), venu de Tema-Bokin fait partie des nombreux malades dans ce «camp de cantonnement». Tremblotant, le visage pâle, difficile pour lui de s’exprimer. Aubin ne s’est pas rendu dans un centre de santé pour diagnostiquer son mal. Mais ses camarades croient dur qu’il souffre de paludisme. Venu à sa rescousse avec quelques médicaments (paracétamol…), dont il ignore la provenance, Aubin s’empresse de les avaler. « Je souffre de paludisme depuis avant-hier. Je ne me sens pas vraiment bien. Je pense que les moustiques qui nous piquent tous les jours sont la cause », est-il convaincu. « Beaucoup sont malades parmi nous. Pour leur venir en aide, nous cotisons 50 F CFA pour ceux qui ont l’argent pour leur acheter des médicaments », témoigne Sié Poda. Voulez-vous des moustiquaires ? « Non. Nous n’en voulons pas. Notre souhait est que le président du Faso vienne nous chercher pour le combat », plaide le malade Aubin Ouédraogo.

A.A.N


Des kits d’hygiène, une urgence !

A la place de la Nation, on dénombre 28 jeunes filles parmi les candidats au front. Malheureusement, la gestion de l’hygiène menstruelle est une difficile préoccupation pour elles. Manque de savon, de serviettes hygiéniques…en période de menstrues, une triste réalité sur ce site. Face à cette situation, elles en appellent aux bonnes volontés pour les doter du nécessaire pour une bonne hygiène menstruelle.

A.A.N


«Un recrutement de VDP n’est pas à l’ordre du jour »

Pour mieux comprendre pourquoi le recrutement des candidats VDP basés à la place la Nation piétine, nous avons contacté une source militaire. Cette dernière qui a requis l’anonymat, nous a informés qu’un nouveau recrutement de VDP n’est pas à l’ordre du jour. Car, le nombre de 50 000 VDP à recruter a largement été atteint. Et, il faudra toujours encadrer les anciennes recrues, en faire l’évaluation avant d’envisager un autre recrutement. Toujours selon la même source, ce processus a été signifié aux pensionnaires de la place de la Nation lors de leurs différentes rencontres. Donc, le recrutement de nouveaux VDP ne se fera pas du jour au lendemain…

A.A.N

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