Reprise du procès putsch: Les parties civiles accablent les accusés

Le procès du putsch de septembre 2015 a repris, le mardi 11 juin 2019 au tribunal militaire, après près de deux mois de suspension. Les parties civiles ont entamé leurs plaidoiries pour démontrer, en fait et en droit, à quel point les accusés sont coupables.

 Pour un retour au prétoire, les accusés au procès du putsch ont répondu présent, le 11 juin 2019 au tribunal militaire, sauf le général Djibrill Yipènè Bassolet, toujours abonné absent dans le box des accusés, pour des raisons de santé. Mais son cas n’a pas été à l’ordre du jour. Dès qu’il a déclaré la reprise de l’audience à 9h15mn, le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, a donné la parole aux avocats des parties civiles pour leurs plaidoiries. Suivant un ordre de passage établi en interne par les conseils des parties civiles, c’est leur doyen, Me Souleymane Ouédraogo, avocats des ayants droits de feu Salifou Diallo qui a introduit les plaidoyers. L’avocat a d’abord reconnu les mérites du parquet militaire pour avoir travaillé à ce que le procès se tienne, et ce, dans des conditions « acceptables » où tous les accusés bénéficient d’assistance pour la défense de leurs droits. Il a classés les accusés : ceux contre qui il n’y a pas suffisamment de charges, ceux qui ont choisi de se repentir et ceux qui ont décidé de tout nier malgré les évidences. Me Ouédraogo les a renvoyés à l’appréciation du tribunal auquel il a témoigné sa confiance. « Vous avez avec vous la règle de droit et les faits. Avec un tel socle, vous ne pouvez que dire la justice », a-t-il déclaré à l’adresse du tribunal. Il a surtout rappelé aux juges que les parties civiles, les Burkinabè et le monde ont le regard tourné vers eux pour les entendre conforter l’Etat de droit en fermant la porte de l’impunité. « Vous avez rendez-vous avec l’histoire. Que la sagesse vous guide. Faites honneur à la justice burkinabè », a-t-il recommandé aux juges. Cet exposé a été fait en une quarantaine de minutes, avant que Me Prosper Farama ne prenne la parole. « Au-delà des soldats, hommes politiques et autres accusés, ce jugement est celui des vilaines mœurs politiques, un courant politique qui veut constituer l’usage des armes en mode naturel d’accession au pouvoir, un type d’armée, une catégorie de militaires qui, par manipulation politicienne, embourgeoisement, a fini par oublier le devoir premier d’un militaire qui est la protection des citoyens, même au péril de sa vie », a clamé l’avocat. L’intervention de Prosper Farama a été d’une part axée sur l’histoire politique du Burkina Faso, comme pour répondre au général Gilbert Diendéré, qui, à l’entame de son audition, avait énuméré les événements intervenus à la suite de l’insurrection populaire de 2014 et qui ont justifié, d’après lui, le coup d’Etat de septembre 2015. Pour sa part, Me Farama est retourné jusqu’au 3 janvier 1966, date à laquelle « le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé » a accédé au pouvoir. L’avocat a rappelé les différents régimes d’exception qui se sont succédé au sommet de l’Etat jusqu’aux assassinats imputés au régime Compaoré pour se maintenir à la tête du pays pendant 27 ans. Son argumentaire s’est ensuite axé sur un point de vue juridique pour se prononcer sur le principe de l’oralité en droit pénal, la question de la présomption d’innocence, le régime juridique de l’expertise en droit pénal burkinabè, la fiabilité des expertises commanditées, la régularité des écoutes téléphoniques et l’intime conviction du juge. L’avocat a enfin eu une pensée pour les « petits soldats », convaincus qu’ils ont été manipulés par les têtes qui ourdissent les scénarios. « Mais je n’ai aucune compassion pour le petit soldat qui ne reconnaît pas qu’il a tort et qui a l’outrecuidance de venir narguer les victimes au tribunal », a souligné Me Prosper Farama à l’issue d’un développement d’un peu plus d’une heure de temps. Après lui, c’est Me Zarata Ouédraogo qui a rappelé les faits qui se sont déroulés durant la période du coup d’Etat.

 

« Ce procès n’a rien de politique »

 Par rapport au fait d’attentat à la sûreté de l’Etat, Me Ali Néya a indiqué que 11 accusés, au regard des actes qu’ils ont posés, peuvent être reconnus coupables de cette infraction. Il s’agit de Gilbert Diendéré, Jean Florent Nion, Adama Diallo, Sami Dah, Eloi Badiel, Boureima Zouré, Moussa Nébié, Pascal Moukoro, Wékouri Kossé, Laoko Mohamed Zerbo et de Roger Koussoubé. L’avocat s’est basé sur leurs déclarations à la barre et celles de certains témoins pour constituer les faits et ce, conformément aux articles 109 et 110 de l’ancien Code pénal.

A entendre Me Néya, il y a eu une concertation entre des éléments de l’ex-RSP pour renverser le régime légal de la Transition. Et certains, a-t-il poursuivi, à l’image des accusés Nébié et Nion, ont reconnu avoir, eux-mêmes, arrêté le président et son Premier ministre. Quant à Diendéré, l’avocat l’a qualifié de l’auteur intellectuel du putsch. « Le général a été le premier à être informé du coup d’Etat et c’est lui qui a rédigé le communiqué CND qu’il avait dans son ordinateur 48 heures avant, c’est-à-dire le 14 septembre 2015 », a avancé Me Néya. Sa conviction est que les sous-officiers ont répondu aux ordres illégaux de leurs supérieurs, contrevenant ainsi aux règles de discipline au sein des forces armées.

Au regard des éléments constitutifs, il a demandé au tribunal militaire de déclarer les 11 accusés suscités coupables d’attentat à la sûreté de l’Etat. Examinant le fait de trahison, Me Néya a souligné que les écoutes téléphoniques ont révélé que les deux généraux Diendéré et Bassolet sont rentrés en intelligence avec des puissances étrangères, notamment togolaises et ivoiriennes, pour déstabiliser le pouvoir transitionnel. Des intelligences, qui selon lui, ont permis aux deux accusés d’avoir du matériel de maintien d’ordre et de l’argent pour réaliser leur projet. C’est pourquoi, l’avocat a demandé au tribunal de déclarer les généraux coupables de trahison et ce, conformément à l’article 88 du Code pénal ancien. Il a aussi tenu à préciser que le procès du putsch n’a rien de politique même s’il a un retentissement politique. Quant à Me Louis Dayamba qui a fait cas de la destruction des radios Oméga, Savane FM à Ouagadougou et Laafi à Zorgho, ainsi que du studio Abazon et du domicile de Simon Compaoré, il a affirmé que l’infraction de dégradation volontaire aggravée de biens est constituée. Pour cela, il a demandé de reconnaître les accusés Minata Guelwaré, Roger Koussoubé, Mahamadou Bouda, Lamoussa Badoum, Laoko Mohamed Zerbo, Ali Sanou et Abdoul Karim Baguian, coupables de cette infraction et Faïçal Nanéma de recel. L’audience reprend ce mercredi à 9h.

Fabé Mamadou OUATTARA &

Mady KABRE

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