Résistance aux antimicrobiens: decryptage d’une menace invisible

Le Pr titulaire de microbiologie à l’université Nangui-Abrougoua, Adjéhi Dadier, a affirmé que la résistance aux médicaments (particulièrement aux antibiotiques) reste la plus préoccupante pour la santé humaine.

Face à la montée des menaces sanitaires, la Résistance aux antimicrobiens (RAM) retient de plus en plus l’attention des experts. Une table ronde sur le sujet s’est tenue, mercredi 11 juin 2025 à Abidjan, en marge de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones. Elle visait à outiller les professionnels des médias aux enjeux et urgences liés à cette problématique de santé publique.

Plusieurs thématiques liées au concept « One Health » (Une seule santé) ont été abordées lors de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones, qui s’est tenue du 9 au 14 juin 2025 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, notamment celle de la résistance aux antimicrobiens chez l’homme et les animaux.

Une table ronde consacrée à cette problématique a eu lieu, mercredi 11 juin 2025 dans la capitale économique ivoirienne, sous la modération de Kuessi Giraud Togbé, journaliste scientifique basé à Dakar, et de Marilor Théodule, membre de l’Association française des journalistes scientifiques.

Cette rencontre a permis de revisiter les causes de ce phénomène préoccupant, d’en analyser les conséquences actuelles et d’explorer des pistes de solutions à travers l’approche intégrée « Une seule santé », qui associe étroitement santé humaine, animale et environnementale. Selon Adjéhi Dadier, Pr titulaire de microbiologie à l’université Nangui-Abrougoua, la résistance aux antimicrobiens est aujourd’hui un sujet de préoccupation planétaire.

Elle mobilise des institutions telles que l’OMS, la FAO ou encore le Programme des Nations unies pour l’environnement, en raison de ses conséquences sanitaires et économiques à long terme. « Près de 700 000 décès sont déjà attribués chaque année à la RAM, un nombre qui pourrait atteindre 10 millions en 2050 si rien n’est fait.

En Côte d’Ivoire, même si les données globales font encore défaut, certaines tendances inquiètent », a-t-il souligné.
Il a affirmé que la résistance des entérobactéries, par exemple, est passée de 9 % en 2002 à 45 % en 2024, signe d’une progression rapide et préoccupante. Pour le Pr Dadier, il faut d’abord clarifier ce dont on parle.

« Loin de se limiter aux antibiotiques, les antimicrobiens englobent également les antiviraux, les antiparasitaires, les antifongiques, mais aussi des désinfectants, antiseptiques et même des procédés utilisés dans l’agroalimentaire », a-t-il indiqué.

Selon lui, la RAM peut se manifester aussi bien dans les hôpitaux que dans les élevages, les champs. Cependant, M. Dadier a confié que c’est bien la résistance aux médicaments (particulièrement aux antibiotiques) qui reste la plus préoccupante pour la santé humaine. Pour le citoyen, les effets sont déjà perceptibles, a insisté le Pr Dadier.

« Des traitements qui n’agissent plus, des infections banales qui s’aggravent, des hospitalisations prolongées : autant de signes tangibles d’un phénomène invisible mais bien enraciné », a-t-il alerté. Adjéhi Dadier a rappelé que certains microbes sont naturellement résistants.

Mais, la vraie alerte vient de la résistance acquise, c’est-à-dire lorsque des micro-organismes auparavant sensibles aux traitements deviennent insensibles. « L’exemple bien connu des staphylocoques résistants à la méticilline illustre ce glissement dangereux vers une ère post-antibiotique », a soutenu le microbiologiste.

Pour le Pr Timothée Ouassa, bactériologiste au CHU de Treichville
et chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny, les efforts dans
la surveillance visent notamment à identifier les foyers de bactéries
multi résistantes et à anticiper les risques d’épidémies hospitalières.

Le Pr Timothée Ouassa, bactériologiste au CHU de Treichville et chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny, a, quant à lui, livré un aperçu du travail de surveillance sur le terrain. Selon lui, le suivi de la RAM repose sur trois volets complémentaires : l’analyse des prélèvements en laboratoire, les études de portage de germes prioritaires chez les patients et la surveillance de l’environnement hospitalier.

Il a laissé entendre que ces efforts visent notamment à identifier les foyers de
bactéries multi résistantes et à anticiper les risques d’épidémies hospitalières.
Il a évoqué un autre enjeu qui est la recherche. Il a révélé que la découverte de nouvelles molécules est en berne depuis les années 1990, malgré une recrudescence des formes de
résistance.

« Dans le cas de la tuberculose, par exemple, la durée du traitement passe de 6 à 9 mois, voire plus pour les formes multi résistantes, avec des effets secondaires parfois irréversibles. Le coût humain et financier devient alors un frein à l’accès aux
soins », a expliqué le Pr Ouassa.

Les deux experts ont souligné la nécessité d’inscrire la lutte contre la RAM dans une dynamique intersectorielle. Les microbes circulent entre les humains, les animaux, les sols, les eaux et les denrées alimentaires. Pour eux, l’approche « One Health » devient donc incontournable pour contenir la propagation des résistances.

 

Wamini Micheline OUEDRAOGO

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