Restez professionnels 

La plume et le micro peuvent être des armes efficaces contre le terrorisme. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces deux outils demeurent des couteaux à double tranchant. Mal utilisés, ils peuvent servir l’ennemi au détriment de la société. Les terroristes, qui attaquent des populations civiles ou des positions des Forces de défense et de sécurité (FDS), n’ont pas toujours eu le temps de comptabiliser le nombre de victimes. Ils n’ont pas non plus les moyens de mesurer les conséquences sociales de leurs actes ignobles. Après avoir accompli leurs basses besognes, ils s’engouffrent dans la nature avec la ferme conviction que les médias feront le point de leurs opérations dans les minutes ou heures qui vont suivre. Malheureusement, leurs attentes ont toujours été comblées.

Comme s’ils s’étaient expressément attaché les services des journalistes. Ironie du sort ! C’est bel et bien nous les hommes et femmes de médias qui dressons le bilan macabre des attaques dans la pure tradition journalistique. Le nombre de morts et de blessés, les dégâts matériels, les nombreux déplacés, la presse ne passe sous silence aucun détail, alimentant la psychose malgré elle. Cette posture professionnelle ne sert pas uniquement le droit à l’information : elle fait aussi le jeu des terroristes, qui profitent de la médiatisation ou de la surmédiatisation de leurs actes. Quand les attaques sont relayées, il y a un effet de panique au sein des populations qui ont tendance à déserter les zones touchées pour d’autres horizons. Cette peur sert malheureusement la cause des terroristes, qu’ils opèrent au Burkina, au Mali ou au Niger, leur intention étant d’occuper des territoires pour les transformer en No man’s land et y régner en maîtres absolus.

Dans ce contexte, entendre dans un média que les populations de telle ou telle localité sont en train de migrer en masse vers d’autres destinations ne peut que réconforter et galvaniser les forces du mal pour la suite de leurs manœuvres. Il en est de même dans la communication sur les actions des FDS. Les médias, par inadvertance ou parfois par ignorance, peuvent dévoiler des secrets militaires ou des tactiques d’intervention. Pareille erreur peut profiter aux terroristes, qui, tapis dans l’ombre, cherchent aussi à faire le plein d’informations sur les armées auxquelles ils doivent faire face.
Vu sous cet angle, l’on pourrait se demander pourquoi médiatiser autant les attaques terroristes ? N’est-il pas mieux de ne plus en parler dans nos colonnes, dans nos journaux télévisés, parlés ou sites d’informations en ligne ? Cette option radicale est possible, mais ce serait porter atteinte au droit fondamental du citoyen à l’information, reconnu par les Constitutions de nos pays. Ainsi, il revient au journaliste de savoir aborder le sujet, afin de ne pas rendre service à l’adversaire, toujours aux aguets pour profiter de la moindre faille.

C’est dire que le combat contre le terrorisme est d’abord médiatique avant d’être une guerre armée. Il faut user de tous les moyens pour gagner cette première bataille. Pour cela, le journaliste, dans son devoir d’informer doit constamment avoir à l’esprit sa responsabilité sociale. Il doit savoir que pour la paix et la cohésion sociale, dans certaines circonstances, tout ce qu’il a vu, entendu ou ressenti ne doit pas nécessairement être publié ou diffusé. Un des préalables dans ce combat médiatique, tout comme celui de terrain, est que les différents acteurs mutualisent leurs efforts. Hommes politiques, journalistes, FDS, paysans…, tous doivent s’engager, car comme le dit si bien le physicien américain d’origine allemande, Albert Einstein : «Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire». C’est pour cela qu’il convient de saluer l’initiative du Groupement des éditeurs de presse publique de l’Afrique de l’Ouest (GEPPAO), qui a apporté sa contribution à travers le forum sur les contraintes sécuritaires et les devoirs professionnels du journaliste, organisé à Ouagadougou, les 20 et 21 juin 2019.

Cette rencontre qui a réuni d’éminentes personnalités d’Afrique et d’Europe a eu le mérite d’aiguiser le sens de la responsabilité des ouvriers de la plume et du micro. Cependant, pour espérer des résultats probants, le GEPPAO a conscience qu’il doit multiplier de telles initiatives et évoluer en symbiose avec tous les autres acteurs. Au-delà, il faut aussi une réelle implication des responsables de presse de la sous-région. A ce niveau, les signaux sont bons, car les plus hautes autorités, à commencer par le président du Faso, président en exercice du G5 Sahel, Roch Marc Christian Kaboré, ont montré leur disponibilité à accompagner le groupement dans cette démarche. Un engagement motivé sans doute par sa conviction que la presse peut jouer un grand rôle dans la guerre asymétrique imposée à nos Etats par les groupes terroristes. C’est certain, les journalistes constituent un appui solide dans la guerre contre les «fous de Dieu». Il leur faut juste savoir concilier le besoin d’informer et les impératifs sécuritaires pour être efficaces.

Par Mahamadi TIEGNA

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