Trafic illicite de cigarettes: Fraude et corruption à ciel ouvert

Cette moto chargée de cigarettes de contrebande a emprunté des pistes pour accéder à la commune de Cinkansé afin d'échapper aux contrôles des forces de sécurité.

Le trafic illicite de cigarettes prend des proportions inquiétantes au Burkina Faso. Il nuit aux efforts de l’Etat dans l’optimisation des recettes fiscales. Ces produits, qui ne respectent aucune règle de traçabilité, inondent les villes et villages et cela, dû aux importateurs et trafiquants véreux. Une enquête menée dans les régions du Centre-Est et de l’Est, de mars à août 2019, a permis de comprendre l’ampleur du phénomène.

Gold Seal, Suyan, ZL, YES, Royals, Time et Fupongwan sont entre autres marques de cigarette de contrebande vendues au Burkina Faso. La plupart de ces produits transitent par des pays voisins comme le Togo, le Bénin et le Ghana pour gagner le territoire burkinabè, à partir de la commune rurale de Cinkansé, dans la région du Centre-Est. Dans cette ville limitrophe du Togo appelée « frontière rouge », selon un conseiller municipal de la localité ayant requis l’anonymat, des boutiques et des alimentations sont ravitaillées en tabac frauduleux par des contrebandiers.

Dans le commerce de Hamado (nom d’emprunt), par exemple, parmi les marques de cigarette de son étagère, une seule (Hamilton) avec l’image du fumeur sur l’emballage est homologuée. Les autres marques sont des cigarettes de contrebande, parce qu’elles ne font pas partie de la liste de celles répondant aux normes d’homologation et de traçabilité établies par la Direction générale du contrôle économique et de la répression des fraudes (DGCRF).

La différence entre une cigarette de contrebande et celle conforme aux textes en vigueur se remarque au niveau du prix du paquet et de son conditionnement. Selon les textes, le paquet doit contenir 20 bâtons de cigarettes comme le prévoit la loi 04-2010 du 25 novembre 2010 portant lutte contre le tabac.

Le prix minimum fixé par l’arrêté interministériel 2018-0008/MCIA-MINEFID du 15 janvier 2018 portant catégorisation des produits du tabac, est de 600 F CFA. Hors chez Hamado, on y trouve des paquets de 10 bâtons vendus à 225 F CFA l’unité et ceux de 20 au prix de 450 F CFA l’unité. Ces cigarettes lui sont régulièrement fournies par des fraudeurs. A la question de savoir s’il ne craint pas les visites inopinées des contrôleurs, le boutiquier, la quarantaine bien sonnée, dit s’être toujours tiré d’affaires.

Depuis l’augmentation des droits de taxe liés au tabac en 2018, l’on assiste à une entrée massive de cigarettes frauduleuses sur le territoire national, occasionnant une concurrence déloyale. « Du fait de l’incapacité des autorités à lutter contre ce trafic illicite, les contrebandiers empruntent des circuits, parfois avec la complicité de certains hommes de tenue, pour acheminer la marchandise dans la commune», révèle le conseiller municipal de Cinkansé. Deux circuits s’offrent aux fraudeurs pour ravitailler les commerçants détaillants en cigarettes de contrefaçon.

« …tomber dans les mains des douaniers »

Le 31 juillet 2019, les autorités de la région de l’Est ont incinéré 4736 cartouches de cigarettes frauduleuses.

Dans le premier cas, la cigarette arrive sur le territoire burkinabè. « Les contrebandiers empruntent des pistes et la route bitumée avec l’aide de personnes originaires des localités traversées pour éviter de tomber dans les mains des douaniers, moyennant une somme d’argent », confie Hamado. Pour constater ces opérations frauduleuses, nous nous faisons passer pour un détaillant avec la complicité de ce commerçant.

Ce stratagème exige que nous passions une journée supplémentaire dans la commune de Cinkansé. Le jeudi 21 juin 2019, peu avant 8 heures, comme convenu, nous sommes au lieu du rendez-vous fixé par le commerçant. La veille, il a reçu un appel de ses fournisseurs l’informant de l’arrivée de la cigarette de contrebande. Après une trentaine de minutes de trajet à moto, nous sommes dans un petit village hors de la commune.

Une dizaine de fournisseurs, assis sur leurs engins chargés de la marchandise, sont sur les lieux. « Nous nous ravitaillons à partir de Porga (ville frontalière du Bénin, Ndlr) », confie un contrebandier très peu bavard. Les détaillants sont également présents. Certains viennent des villes tels Pouytenga, Koupèla, Tenkodogo, Bittou et Cinkansé. D’autres en provenance de Kioughin, Soudoughin, Yondé et Ouargaye dans la province du Koulpélogo, ont parcouru des centaines de kilomètres pour arriver sur les lieux. La transaction entre fournisseurs et détaillants durera à peine deux heures. La cartouche de 20 paquets de cigarette de la marque Suyan est vendue à 2 500 F CFA.

Le carton de 30 cartouches à 60 000 F CFA. Tout est mis en œuvre pour que toute la marchandise frauduleuse soit écoulée sur place. Lors de cette opération, Hamado a acheté 20 cartouches de différentes marques à 45 000 F CFA. Une fois la vente terminée, une somme de 25 000 F CFA est reversée à deux personnes natives du village, sous forme de pourboire. Ces personnes sont à la fois chargées d’organiser le marché et de faire le guet pour éviter que le site soit repéré.

A la fin de l’opération, le site est immédiatement libéré. Les détaillants venus de loin devront, cependant, patienter jusqu’au soir pour emprunter les pistes pour échapper au filet des forces de sécurité. L’autre circuit est un trafic à grande échelle où l’influence de « certaines personnes » est mise à profit pour faire éviter le contrôle aux camions à containers.

Des cigarettes transitent par Cotonou

Le carton de 30 cartouches de Suyan est vendu à 60 000 F CFA par les contrebandiers.

Dans la région de l’Est, nos recherches nous permettent de constater, qu’entre mars et avril 2019, des quantités importantes de cigarettes YES et GOLD SEAL ont transité par Cotonou, avant d’être acheminées à Porga pour prendre la direction du Burkina Faso. Ces marques ne sont pas homologuées par la DGCRF qui fixe la liste des produits du tabac à jour, si l’on s’en tient à la règlementation burkinabè n°019-0005/MCIA /SG/ DGCRF du 25 janvier 2019.

A titre d’exemples, le 11 mars, un camion immatriculé au Bénin, AR4489RB, et transportant un container identifié au n°GESU5334617 avait comme contenu, 1100 cartons de cigarettes YES. Sur le site de Porga attendaient deux autres camions burkinabè immatriculés 11 LP 97…BF et 11 KG 94… BF, chargés de cigarettes Gold Seal et ayant fait l’objet de déclaration de transit de douanes S27623 du 05/03/2019.

Le contenu du container a été transféré dans les deux camions burkinabè. Un autre camion immatriculé 06 KG 30… BF transportant 1 840 cartons de produits Gold Seal estampillés « vente en RCI » a été arrêté le 17 avril par la Direction régionale du commerce, de l’industrie et de l’artisanat de l’Est (DRCIA), pour non-respect de l’arrêté de transit et de détention de faux documents. Le premier document porte le nom d’une société burkinabè, SI… PRO…. Le pays de destination est le Burkina Faso et le second document porte le nom de O. K. en Côte d’Ivoire avec toujours pour destination le pays des Hommes intègres.

Le camion a été acheminé à Ouagadougou dans la nuit du 24 au 25 avril par la DRCIA après avoir alerté sa hiérarchie, malgré des pressions, à en croire notre source. Le camion a finalement été récupéré par des agents de la douane au poste de péage de Ouagadougou. A ce jour, la douane est la seule à savoir ce qui est advenu du camion et de son contenu. Notre tentative de joindre le ministère du Commerce et la Direction générale des douanes (DGD) à travers des demandes d’interview adressées respectivement, les 18 et 19 juillet dernier, pour connaitre la suite donnée aux deux cas de trafic cités plus haut, sont restées lettre morte.

Après moult démarches, nous avons rencontré le directeur général du contrôle économique et de la répression des fraudes, Komikiyoaba Nalkessé, à qui nous avons adressé un questionnaire. Malgré nos déplacements, nos appels téléphoniques et nos messages, nous n’obtiendrons pas de réponses à notre questionnaire faisant cas de fraudes évoquées plus haut. M.Nalkessé et la DRCIA procéderont, pourtant, le mercredi 31 juillet 2019 à l’incinération de 4736 cartouches de cigarettes, saisies par la Brigade mobile de contrôle et de répression des fraudes (BMC) dans la région de l’Est.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO
pathnema@gmail.com

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