Chaque année, les Editions Sidwaya désignent la personnalité physique ou morale qui les a le plus marquées positivement. Pour 2018, qui signe sa fin aujourd’hui 31 décembre, la rédaction du Journal de tous les Burkinabè a jeté son dévolu sur un homme ordinaire, en apparence, comme personnalité de l’année. Yacouba Sawadogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est ni politique, ni technocrate.
Notre coup du cœur n’est pas non plus un opérateur économique, de profession libérale ou de la société civile. C’est un cultivateur. Affectueusement surnommé «L’homme qui arrête le désert», cet octogénaire, natif du Yatenga dans le Nord du Burkina Faso, a suscité et continue de forcer l’admiration au-delà des frontières nationales. Il a, en effet, reçu le 23 novembre dernier à Stockholm, en Suède, le Right Livelihood Award 2018, plus connu sous le nom de Prix Nobel alternatif, pour son combat contre l’avancée du désert dans un contexte mondial où les changements du climat représentent des risques sérieux pour l’environnement et la vie sur terre. Une récompense de plusieurs années d’application, avec peu de moyens, de techniques de lutte contre ce fléau qui affecte durement le Sahel burkinabè.
En observant la terre et en se mettant à son écoute, ce paysan atypique a développé une méthode innovante, appelée le «zaï», cette technique culturale principalement utilisée par les populations du Nord du Burkina. Ce qui lui a permis de «dompter» et de fertiliser une quarantaine d’hectares de terres arides dans son village, Gourga, défiant ainsi les lois de la nature. Son principe consiste à préparer le sol en saison sèche, en creusant des trous qu’il remplit de débris organiques. Des débris qui attirent ensuite les termites, naturellement présentes dans sa région d’origine. Ces insectes creusent des galeries qui retiennent dans le sol, le peu d’eau que cette partie du pays reçoit pendant l’hivernage. Ce qui favorise ensuite la mise en terre des graines et la poussée des plantes. Le système a été imaginé quand «le fou», comme des proches l’ont surnommé, au regard de sa témérité, a constaté que les pratiques culturales traditionnelles ne nourrissaient plus leur homme, exposé chaque année à la famine et à l’exode massif des bras valides vers les zones du pays où la nature et le ciel sont plus généreux. Sa méthode innovante qui a convaincu plusieurs acteurs agricoles est désormais mise en œuvre dans des programmes de certains pays comme le Sénégal, le Mali et le Niger.
Le choix de Sidwaya a porté sur ce «génie» des temps modernes pour plusieurs raisons. D’abord, l’homme que tout le monde admire aujourd’hui met à l’épreuve les grands scientifiques et autres ingénieurs agronomes, car n’ayant jamais mis pied à l’école. Il ignore donc tout, des techniques scientifiques pouvant permettre d’enrichir un sol. Il est, de ce fait, parti d’une observation et d’une pratique empiriques pour se retrouver au plus haut sommet. Par ailleurs, M. Sawadogo est l’expression type d’une force de caractère et de courage. Il y a 40 ans, il avait été traité de fou quand il s’était mis à labourer la terre en pleine saison sèche. Mais, persuadé de l’utilité de son œuvre, cela ne l’a nullement ébranlé. «Ils ont dit que j’allais à l’encontre de la tradition. Ça m’a fait mal de l’entendre. Le chef de ma propre famille m’a désapprouvé. Tout le monde riait de moi. Moi je me suis tu», confiait-il dans un reportage que lui a consacré la chaîne de télévision française France 5. En sus, Yacouba Sawadogo est sans nul doute une fierté nationale en ce sens qu’à travers son prix, c’est le Burkina Faso tout entier qui est honoré. A l’image d’une équipe nationale, il a hissé haut le drapeau du pays des Hommes intègres. Cela lui a valu, le 11 décembre dernier, la médaille d’Officier de l’ordre national et une audience solennelle au palais présidentiel de Kosyam avec le Chef de l’Etat Roch Marc Christian Kaboré. Vu sous un autre angle, celui qui était la risée de son entourage s’est rendu utile à toute l’humanité en offrant à la postérité sa technique de restauration des sols pour la lutte contre le changement climatique.
Loin d’être surpris par ce sacre, Sidwaya qui a, en quelque sorte, révélé au Burkina Faso et au monde cet acteur de développement, lui avait consacré en 2011, un reportage sur son travail avant-gardiste. Ce n’est donc, à ce titre, qu’une juste reconnaissance des mérites d’un «alchimiste» dont la détermination à changer le monde de la meilleure des manières ne faiblit pas. Et cela devrait aiguiser le sens de persévérance et d’abnégation de nombreux autres Burkinabè.
Par Mahamadi TIEGNA