Vive le 15 mai, amen !

Depuis que le gouvernement a décrété que le 15 mai de chaque année sera dédié à la célébration de nos coutumes et traditions, mon voisin marche avec une petite queue en main. Le jour de l’annonce de la décision, il a escaladé les branches de son arbre généalogique en criant le prénom de tous ses vaillants ancêtres. Il a chanté leurs louanges toute la nuit dans sa langue maternelle. Il a fait usage de son fusil traditionnel en donnant trois coups de semonce dans le ventre noir du ciel. Il a même allumé un grand feu au milieu de sa cour et a dansé autour du brasier pour remercier ses aïeux d’avoir exaucé sa prière. Mon voisin n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il a tenu en haleine et en état de veille tout le quartier. Pour lui, il n’y a pas meilleure décision que celle-là. « Cela montre et démontre que nous sommes sur la bonne voie », s’écria-t-il.

« Nous ne pouvons pas nous développer en nous débarrassant de notre âme, de notre identité. Le vrai développement est endogène, c’est-à-dire qu’il est et reste ancré dans le terreau fertile de nos traditions », a-t-il ajouté avec une conviction qui faisait crépiter le feu ardent de la renaissance. « Il n’y a pas de petite croyance, il n’y a pas de petite tradition ; il n’y a que de petites gens déracinées qui ne savent pas d’où elles viennent et qui tâtonnent en plein jour dans le noir touffu de leur propre ignorance », a-t-il dit. En effet, ce décret retentit comme une interpellation, une exhortation à un retour aux sources. Et ce retour doit s’opérer la tête haute, avec la fierté d’appartenir à une culture, à une tradition à des us et coutumes. Tant pis si l’on nous traite de primitifs, de sauvages même, pire de mécréants ou de tradition de paganisme.

Il n’y a pas de guerre de religion dans la tradition. Il n’y a pas de lutte de leadership dans la vraie tradition, point de concurrence. Dans la tradition, on ne foule pas aux pieds le sacré et sortir indemne de l’autel. Celui ou celle qui viole les commandements divins boira à la coupe sacrée de vin de libation mais ce sera la fin d’une vie bâclée. Dans la tradition, seuls les dignes ont voix au chapitre, ont droit de cité. Dans la tradition, le droit coutumier n’est pas écrit, mais il régit la vie des hommes. Il n’y a pas de code écrit, point de constitution, tout est oral, mais rien n’est du vent.

Mais, il suffit de violer un seul précepte pour répondre auprès des ancêtres et la réponse des ancêtres n’est pas celle de la complaisance. Les ancêtres « verrouillent et frappent avec efficacité » de sorte à ce que le bon exemple soit pérennisé et perpétué de génération en génération. Parce qu’au commencement était le verbe. Dans la tradition, on ne couche pas avec sa sœur ou sa mère et se bomber le bas ventre dodu sur la place du marché. Dans nos traditions, on ne célèbre pas les fiançailles ou le mariage de couple de même sexe. Dans la tradition, on ne vole pas le poulet ou la chèvre du voisin et manger sous le ciel armé de tonnerre ; dans la tradition, on ne déshonore pas sa mère et devenir quelqu’un, il suffira juste qu’elle brandisse son sein au ciel et déclamer les maux qui l’ont blessée et le ciel fera le reste avec une pluie de malédictions bien méritées. Dans la tradition, les menteurs confessent leurs mensonges dans la douleur devant l’autel sacrificiel des Pères. Le malfaiteur sorcier ou sorcière s’arrachera ses « bijoux de mâles » ou ses cheveux tressés au prétoire des dieux.

Dans la tradition, la justice n’est pas un jeu de ping-pong procédural fait de renvoie et de suspension, elle est rendue sans complaisance dans la vérité et en toute vérité. On n’a même pas besoin d’avocat pour défendre parfois l’indéfendable. On n’a pas besoin de dessous de table pour avoir le dessus sur les autres parce que dans la tradition, l’égalité de chance est un principe sacré, l’équité et la dignité sont un couple qui fait bon ménage. Le plus fort qui abuse de sa force sera impotent avant de mourir. Le riche qui triche pour être plus riche sera ruiné et verra son empire s’effondrer. Bref dans la tradition, celui qui n’aime pas son prochain subira les affres de son propre « ventre noir ». Cette journée des coutumes et traditions devra éviter d’être une kermesse de tintamarres cacophoniques. Elle devra savoir s’élever au-dessus des mondanités creuses pour être une opportunité d’enseignement et d’apprentissage des populations sur le sens véritable de nos valeurs sociales, culturelles et cultuelles dans toute leur diversité.

Elle devra être l’occasion de penser notre école et faire en sorte qu’elle soit plus complète, parce que prenant en compte nos valeurs traditionnelles, nos langues, nos pratiques culturelles, nos interdits ou totems, nos contes, nos chants et proverbes, nos signes et nos symboles, bref, notre passé, notre histoire. Cette journée aura tout son mérite si elle parvient à s’élever au-dessus des menus fretins politiciens. De toute façon, si elle repose sur du faux, il y aura toujours le retour du boumerang pour recadrer les imposteurs indignes. En attendant le 15 mai, que chaque Burkinabè ait le courage de chercher à connaître la route de son village, de faire le premier pas vers lui-même et d’oser se prosterner devant l’autel de ses ancêtres s’il existe encore, sans complexe aucun et sans aucune culpabilité . Parce que parmi nos ancêtres, il y avait des saints. Et, nous devons briser la glace de l’aliénation séculaire et impérialiste pour acclamer le sublime poulet sacrificiel qui tombe sur le dos comme le super miracle qui s’opère ailleurs avec la même ferveur, avec la même foi, la foi au même Dieu créateur ! Que celui qui n’a pas de totem jette la pierre à cette chronique !

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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