Afrique : Par-dessus les Dieux, les maladies

A la faveur de la pandémie de coronavirus, Dr Jean Paul Bado, un chercheur en science de la santé, à travers l’analyse ci-dessous, tente de cerner la nouvelle crise du système sanitaire, surtout en Afrique où toute crise de ce genre favorise l’émergence d’un certain obscurantisme.

En cette période de pandémie provoquée par le virus Sars-Cov2 communément appelé codiv-19, en tant qu’historien de la médecine, des maladies et de la santé, il apparait utile de chercher à cerner la nouvelle crise du système sanitaire surtout en Afrique où toute crise de ce genre favorise l’émergence d’un certain obscurantisme.

Cette maladie déjà responsable d’une peur rationnelle mutant en peur irrationnelle, voire en un début de panique dans tous les milieux, ce qui est très grave pour les secours, en raison de la morbidité croissance suivie d’une forte mortalité et d’une ruine socioéconomique et culturelle, inquiète à juste titre.

Tous ces éléments favorisés par le manque cruel de structures et de médicaments efficients et surtout par les insuffisances dans la compréhension du mode de propagation du Sars-Cov2, virus complexe et redoutable, et de sa forte létalité, y compris parmi les élites dirigeantes, participent à nourrir l’opinion, voir les réseaux sociaux de toutes sortes de théories. Est-ce la première pandémie de la planète ? Est-ce la première maladie à virus qu’on a du mal à cerner ? Le temps des recherches biomédicales n’est pas celui de l’opinion, des croyances, voire de l’obscurantisme.

La colonisation a permis à la plupart des sociétés africaines de bénéficier des acquis de la médecine moderne qui venait de vaincre difficilement en Europe des pratiques médicales séculaires dominées par l’opinion fondée sur la métaphysique et l’empirisme. Dans son implantation, cette médecine scientifique introduite de manière agressive, a forcé les sociétés africaines à redéfinir le fait pathologique et l’état normal.

Une personne perçue par elles comme étant « en bonne santé », se retrouve identifiée par la biomédecine munie des instruments d’examens comme porteuse des germes pathogènes d’une maladie. Cette personne est donc soit malade, soit un porteur sain des germes d’une pathologie. L’apparence n’est donc plus un gage de bonne santé.

La médecine scientifique a donc forcé les sociétés africaines à suivre une autre vision de la maladie et du malade à travers un autre modèle utilisé partout dans le monde pour aboutir aux mêmes résultats, ce qui permet de relever que la biomédecine a un caractère universel.

Des personnes autrefois condamnées à mourir selon le schéma ancestral de la vision de la maladie ont guéri en suivant des traitements avec des médicaments dont les chimistes sont parvenus à isoler le principe actif produit de manière industrielle. C’est le cas pour les victimes de la maladie du sommeil, de la lèpre, de la bilharziose, de l’onchocercose, de la filariose de Bancroft, etc.

L’utilisation des vaccins contre la variole, le charbon, la rage, la fièvre typhoïde, la peste, la tuberculose, le tétanos, la coqueluche, le choléra, la fièvre jaune, la rougeole, la poliomyélite, la varicelle, l’hépatite B, etc., a permis d’immuniser contre ces pathologies.

Tout un pan entier de maladies à issue fatale s’est donc effondré grâce à cette médecine scientifique. Néanmoins, cette médecine n’est pas parvenue à briser dans les mentalités les conceptions anciennes des maladies. Les échecs dans la lutte contre le paludisme, l’apparition de nouvelle souche de méningocoques et des germes d’autres maladies, posent un réel problème car l’Afrique n’est pas productrice mais consommatrice.

Les dieux animistes et des grandes religions, les génies et les mânes des ancêtres ont-ils abandonné leurs sujets nourris par l’opinion ? Absolument non car face à la cherté de produits thérapeutiques de la biomédecine, face à l’incompréhension de la lenteur des découvertes des causes et des traitements efficients, il a été facile, la croyance en la fatalité aidant, de retourner vers un passé où l’obscurantisme domine.

La biomédecine n’a-t-elle pas échoué en ne facilitant pas son appropriation par les Africains ? Au lieu de reconnaître sa lente progression dans les acquis sur les maladies, certains court-circuitent tout avec une habile désinformation pour retourner aux croyances anciennes.

Même si le virus HIV du Sida a été en partie maîtrisé, que les luttes contre la variole et Ebola sont des succès, les phénomènes de résistances nourries par un « anti-occidentalisme » en oubliant que le savoir biomédical est un patrimoine universel, viennent affaiblir ces acquis, et favoriser l’obscurantisme.

Avant les indépendances de nombreux états africains, près d’un tiers des budgets était consacré à la santé un préalable au développement économique. Aux lendemains des indépendances, la santé n’a plus été priorisée. La crise pétrolière des années 1970, l’essor du HIV dans les années 1980 et actuellement la survenue du codiv-19 continuent de mettre en relief les failles des systèmes sanitaires nationaux.

Si l’Europe a jugulé bien de maladies, c’est grâce à la formation de beaucoup de scientifiques influents et respectés qui ont su imposer les mesures d’hygiène, le bras armé de toute révolution médicale. A travers la mise en place effective de ces mesures d’hygiène, on parvient à rompre la chaîne de propagation des trois quarts des maladies. Il n’existe pas de fatalité ; les Dieux, les génies et les mânes des ancêtres ne sont pas responsables des maladies.

Les vrais auteurs sont à identifier dans chaque individu qui rejette les mesures d’hygiène permettant de se protéger et de protéger la collectivité.
Le second message est la nécessité de l’apprentissage de l’histoire des sciences, surtout de la biomédecine, une émulation pour cerner comment l’Homme qui sait, a ruiné les croyances anciennes et l’opinion, des sources de mensonge et de fake news.

Il a rendu visible l’invisible en le matérialisant, a désacralisé le sacré en l’humanisant, a dévitalisé le vitalisme en prouvant que tout est chimie. Il a pu détruire nos peurs rationnelles et irrationnelles, libérer nos consciences et ruiner les Dieux. C’est ce qui manque aux sociétés africaines pour réorganiser la perception de l’être humain, de son environnement matériel et non métaphysique afin de contrer l’opinion et assurer la sécurité sanitaire.

Espérons que la crise due au covid-19 permettra de rejeter les références aux Dieux et aux mânes des ancêtres accusés à tort, et de soutenir que l’être humain en tant que matière se trouve être la source des maladies. Il faut étudier la combinatoire Homme/environnement pour comprendre et ne plus inventer ce qu’on a du mal à cerner. Il est temps de suivre les consignes parfois contradictoires des spécialistes des sciences biomédicales qui chaque jour cherchent à combattre chaque maladie qui menace notre humanité.

Dr Jean-Paul Bado
Historien en science de la santé, chercheur associé à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme

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