Autonomisation financière de la femme : Samira Moussa Harandé, une menuisière atypique

La menuisière et ses apprentis en plein travail.

Issue d’une fratrie de 10 enfants dont deux filles, Samira Moussa Harandé est une passionnée de la menuiserie. Elle a embrassé ce métier dès l’obtention de son Certificat d’études primaires (CEP) en 2007. Agée de 27 ans, mariée et mère de deux enfants, elle est installée à son propre compte à Sebba, chef-lieu de la province du Yagha. Focus sur cette menuisière qui force l’admiration !

En cette matinée du 22 décembre 2020, nous sommes accueillis à l’atelier de Samira Moussa Harandé. Situé devant la cour familiale sous l’ombre d’un gros arbre au secteur 3 de Sebba, chef-lieu de la province du Yagha, son atelier de « fortune » attire clients, apprenants et curieux. Sur une table, la patronne des lieux, en tenue de travail kaki et ses apprenants passent leur journée à scier, couper, raboter, clouer, vernir… le bois en vue de lui donner la forme souhaitée. Une fois le travail achevé et en attendant que les différents clients ne viennent chercher leurs commandes, lits, armoires, buffets, tables, entre autres, sont stockés sous un hangar.

Toute chose qui permet à la seule menuisière de la province du Yagha, d’exposer son savoir-faire en termes de confection de meubles pour se faire plus de clients. Dans l’optique de discuter à huis clos avec ses clients, une maisonnette en terre battue, lui sert de bureau. Après une visite guidée de l’atelier, Samira Moussa nous reçoit pour un entretien qu’elle va interrompre, maintes fois, pour donner des instructions aux apprentis ou échanger avec un client. De son récit, il ressort que c’est après son succès au Certificat d’études primaires (CEP) à Sebba, en 2007, qu’elle a opté pour l’enseignement technique. Ainsi, dès l’âge de 14 ans, elle se retrouve pour la toute première fois à Ouagadougou, loin des siens et entame les cours au Lycée professionnel du Kadiogo (LPK) actuel Lycée professionnel régional du Centre (LPRC).

A l’issue de l’année préparatoire en 6e où la menuiserie-bois, l’électricité, la mécanique-auto, la mécanique générale et la menuiserie métallique (soudure) sont enseignées, elle a dit avoir choisi la première par passion et pour suivre les traces de son père. « Ce métier m’a plu dès le bas âge en ce sens que je voyais mon père confectionner des portes et des tables. Sans ouvrir un atelier, il arrivait à s’en sortir et cela m’a beaucoup impressionnée.

Moussa Harandé, père de la menuisière : « Elle a toujours pris ses études au sérieux et cela me rendait fier d’elle ».

Quand j’ai eu l’opportunité de faire mon choix, je n’ai pas hésité », relate-t-elle. A entendre son père Moussa Harandé, quand Samira lui a fait part de son choix, il lui a apporté son soutien, ses encouragements et bénédictions quand bien même, il lui avait suggéré d’apprendre l’électricité. « Ensemble, nous sommes allés à Ouagadougou au LPK pour des renseignements et à notre grande surprise, il y avait une liste nationale sur laquelle figurait son nom », se rappelle Moussa Harandé. De la 5e à la 3e, elle se spécialise donc en menuiserie bois jusqu’à l’obtention de son Certificat d’aptitude professionnel (CAP) en 2012 avec six autres filles sur une trentaine d’élèves.

Formatrice adjointe au SND

A l’époque, raconte-elle, l’enseignement technique en menuiserie-bois se limitait au CAP au Burkina Faso. Sans se décourager, elle est toujours restée dans la capitale burkinabè. C’est ainsi qu’à la rentrée scolaire suivante, elle est allée dans son établissement voir ses amies des autres filières. Par coup de chance, un agent du Service national pour le développement (SND) est également venu dans ledit établissement à la recherche de formateurs adjoints en menuiserie-bois, maçonnerie et mécanique moto. C’est ainsi qu’elle a saisi cette aubaine et a été retenue comme formatrice adjointe au SND à Loumbila avec son CAP, d’octobre 2012 à septembre 2013.

« Nous étions deux du même lycée à dispenser les cours en menuiserie-bois en qualité de formateurs adjoints sous la supervision d’un professionnel. Nous avions 56 apprenants de la 56e promotion du SND à former. La formation était tant théorique que pratique », nous renseigne-t-elle. En sa qualité de formatrice adjointe, elle a accompli en même temps son SND et percevait la somme de 30 000 F CFA. Toute chose qui lui a permis d’avoir son diplôme de SND et son premier certificat de travail.

A l’issue de cette première expérience au SND, elle retourne à Ouagadougou dans le but d’approfondir ses connaissances pratiques. Son souhait est exaucé, puisqu’elle a été retenue pour un stage dans une entreprise de menuiserie. Dans cette entreprise, elle était rémunérée à 40 000 F CFA le mois, sans oublier les frais de missions des nombreuses sorties dans les quatre coins du pays pour des livraisons de meubles et les heures supplémentaires qui étaient également payées. Après six mois de stage (octobre 2013 à mars 2014), elle a quitté l’entreprise pour raison de grossesse contractée à 21 ans.

« Cela m’a beaucoup déçu »

Samira Moussa, aidée par un de ses apprenants, a installé
des lattes pour le plafonnage.

Informé, son père s’est empressé de lui demander si elle connaît l’auteur ? « J’ai posé la question parce que je voulais que ce dernier reconnaisse et s’occupe de la grossesse. J’avoue que cela m’a beaucoup déçu parce que ce fut le sujet de la
plupart de nos conversations, avant qu’elle ne parte à Ouagadougou pour poursuivre ses études. C’est ce que je redoutais le plus qui s’est produit », se remémore-t-il. En effet, les craintes du père étaient fondées parce que l’auteur de la grossesse était un employé de l’entreprise où sa fille faisait son stage.

Selon elle, il lui avait suggéré d’avorter, car n’étant pas prêt pour assumer une grossesse mais elle dit avoir préféré garder la grossesse. Par la suite, il a fini par reconnaître la grossesse et l’a prise en charge. Retournée en famille à Sebba, un mois plus tard, la jeune menuisière n’est pas restée les bras croisés. Avec sa grossesse, elle a bénéficié du Programme spécial d’emploi (PSE) et a été placée pendant un mois comme secrétaire de direction au haut-commissariat de Sebba et deux mois à l’Agence nationale de promotion de l’emploi (ANPE) à Dori, tout en se formant sur le tas. « Je percevais 30 000 F CFA par mois et cela m’a permis de subvenir à mes besoins et de prendre soin de ma grossesse. Je ne suis pas tombée malade et j’étais active car tous les jours, je partais au bureau », informe-t-elle. Après cette nouvelle expérience, Samira Moussa fait un « comeback » à Ouagadougou, à un mois de son accouchement.

 

Retour aux sources

Après pratiquement une année sans activité du fait de sa maternité (une fille), Samira Moussa Harandé entame son 2e stage dans un atelier de menuiserie.
Après seulement six mois de stage, elle décide en fin 2015, de retourner définitivement à Sebba avec son enfant. Rentrée auprès des siens, elle débuta aussitôt un autre stage dans l’un des deux ateliers de menuiserie à l’époque dans la localité, chez Boureima
Issiaka Diallo. Lors de ce troisième stage, elle est candidate à la Direction provinciale de la jeunesse, de la promotion de l’entrepreneuriat et de l’emploi du Yagha, pour un accompagnement des jeunes diplômés.

Le hangar construit par son père pour stocker les meubles.

La chance lui a encore souri : elle a été retenue pour bénéficier d’une formation en entrepreneuriat, en gestion d’entreprise, d’un kit d’installation et d’une somme de 200 000 F CFA. « Avec ce soutien matériel, financier et dotée de nouvelles connaissances, j’ai demandé à quitter l’atelier de mon patron pour travailler à mon propre compte. Je lui ai également demandé de me guider dans ma nouvelle expérience. Chose qu’il a acceptée », raconte la passionnée de menuiserie. Installée dans la cour familiale depuis 2016, elle a débuté par la confection de chaises et de tables qu’elle exposait devant la concession. Avec la demande croissante, elle s’est enfin décidée à ouvrir son atelier devant la cour. La patronne du 3e atelier de menuiserie à Sebba est devenue du coup l’objet de curiosité, suscitant ainsi de nombreuses visites.

« Certaines personnes venaient satisfaire leur curiosité parce qu’ayant appris qu’une fille fait la menuiserie. En revanche, d’autres faisaient le déplacement juste pour m’encourager. C’est ainsi que j’ai commencé à avoir des clients et petit à petit j’évolue dans mon domaine », évoque-t-elle, à ses débuts. Selon son père, à l’époque, il l’a soutenue avec quelques vieux matériels, car ayant lui-même exercé la menuiserie et lui a également construit un hangar. Si Samira Moussa a pu ouvrir son atelier avec l’accompagnement de son géniteur, son « patron », Boureima Issiaka Diallo lui a également appris beaucoup de techniques. « Je lui ai montré comment négocier les prix lorsqu’un client passe une commande et ce, en fonction des prix du bois et des autres matériels à utiliser et de la main d’œuvre.

Je lui ai toujours dit de respecter le client et de faire un bon travail pour avoir une renommée », rappelle-t-il. Aux dires des connaissances de Samira Moussa, elle a foi en ce qu’elle fait et se donne tous les moyens pour atteindre ses objectifs. Toute chose qui lui vaut de multiples soutiens. En témoigne celui de son époux, Amadou Diabaté qui dit l’avoir connue en tant que menuisière lorsqu’elle faisait son stage chez Boureima Issiaka Diallo. Le fait d’évoluer dans ce domaine, révèle-t-il, lui permet de faire face à certains besoins de la famille. « Nous habitons dans ma grande famille où les travaux ménagers sont multiples. Elle s’est organisée avec ses belles-sœurs qui font la cuisine de midi et elle prend la relève pour le dîner. Cela, afin de lui permettre de mieux se concentrer sur son travail », informe son époux. Du fait de son activité, Samira Moussa a de nombreux déplacements à Dori, Ouagadougou, entre autres et M. Diabaté n’y voit aucun inconvénient.

Jouer le rôle de sœur et de mère

A peine installée dans sa ville natale, Samira Moussa est devenue la personne- ressource en la matière pour la direction provinciale de la Femme, de la Solidarité nationale et de l’Action humanitaire du Yagha et ses partenaires. En effet, elle a été sollicitée en 2017 pour dispenser des cours au centre d’éducation et de promotion sociale Suudu Nafooré de Sebba. Ainsi, pendant une année, elle a formé cinq jeunes en difficulté dans le cadre de la protection de l’enfance, moyennant la somme de 80 000 F CFA le mois. Hormis l’intervention de la menuisière au centre, la direction provinciale place des enfants et jeunes en difficulté dans son atelier pour des courtes formations de six mois.

Amadou Diabaté, époux de Samira Moussa : « Une de mes connaissances est passée par moi pour commander 5 lits et 5 armoires avec mon épouse ».

Pour le placement, elle dit percevoir 50 000 CFA par enfant et depuis qu’elle a ouvert son atelier elle en a reçu six. « Pour travailler chez moi, il y a un préalable à respecter. Au-delà de l’apprentissage, j’essaie d’être une grande sœur ou une mère pour mes apprenants en ce sens que je les éduque, guide et je les gronde de temps à autre afin, non seulement, qu’ils fassent du bon travail mais également qu’ils soient des modèles dans la société », avise la menuisière. A l’en croire, ses apprentis n’ont pas de revenus mensuels. Cependant, raconte Samira moussa, lorsqu’une commande est exécutée, le bénéfice est partagé. « Lors des fêtes je leur donne de l’argent et je prends en charge toutes les dépenses en cas de maladie. Par moment, je fais des gestes à leurs mères », poursuit-elle.

Devenue l’une des quatre chefs d’atelier de menuiserie de Sebba, Samira Moussa a une clientèle diversifiée constituée entre autres, d’hommes, de femmes, de fonctionnaires, de structures étatiques et privées. Salimatou Boureima, cliente et amie d’enfance de la menuisière, dit avoir commandé une armoire et un lit avec Samira Moussa l’année dernière. Elle justifie son choix par le fait de leur amitié. Cette affinité l’a exhortée à emmener deux de ses amies vivant à 12 km de Sebba à venir également passer leurs commandes. Pour elle, il s’agit ainsi d’une manière de l’encourager à persévérer dans son activité dans la mesure où c’est une première à Sebba et dans le Yagha.

Abondant dans le même sens, un autre client, Boureima Ahidjo, déclare que cela fait trois ans qu’il commande des meubles avec la menuisière. A l’écouter, la première commande a été bien exécutée et dans le délai. « Elle est sérieuse dans son travail, contrairement à d’autres qui prennent des avances mais qui ne livrent jamais les meubles. Depuis lors, je suis à ma quatrième commande et je n’ai jamais été déçu », renseigne-t-il. Pour sa part, le maire de Sebba, Boubacar Hamadi, a signifié que sa commune soutient Samira Moussa qui fait sa fierté, en lui attribuant certains marchés. « Pour preuve, le conseil municipal lui a attribué un marché de 2 000 000 F CFA pour la réfection de l’auberge communale en commandant 13 lits, 13 tables et 13 chaises.

La mairie travaille également à lui trouver des formations pour qu’elle se perfectionne davantage et des partenaires qui pourront l’accompagner financièrement en termes d’équipement », a confié l’édile. Dans cette activité qu’elle aime tant, Samira Moussa affirme trouver son compte et arrive à épargner. Qu’à cela ne tienne, elle fait face à un certain nombre de difficultés. Elle évoque le manque de scierie dans la région du Sahel. « Il y a des bois qui sont lourds et les scier à la main est pénible et cela prend du temps alors qu’à la scierie, c’est rapide et l’esthétique y ait.

C’est pourquoi, je vais fréquemment à Ouagadougou pour y acheter le bois et le faire scier selon le modèle que je désire », renseigne Samira Moussa. Pendant la saison pluvieuse, a-t-elle ajouté, il est difficile de travailler et d’exposer les meubles et même la conservation de
certaines commandes pose problème à cause des intempéries. En dépit de toutes ces préoccupations, Samira Moussa rêve grand et espère transformer son atelier de menuiserie en une grande entreprise.

Souaibou NOMBRE


Le cri du cœur des jeunes formés

Lors des échanges avec les jeunes placés chez Samira Moussa, ils ont évoqué une difficulté qui, non seulement les empêche de mettre en pratique ce qu’ils ont appris mais également de permettre à d’autres jeunes de leur emboîter le pas. En effet, le placement dans un atelier quelconque est un processus qui consiste à l’apprentissage et à l’installation. Dès lors que le jeune en placement atteint la maturité professionnelle, il lui faut un accompagnement matériel et financier pour s’installer à son propre compte. Le cri du cœur des jeunes placés va à l’endroit du gouvernement burkinabè et de ses partenaires techniques et financiers afin de les doter en kits d’installation pour valoriser leurs compétences. En clair, nombre de jeunes sont formés mais manquent de soutien pour s’installer. Du coup, cette situation ne motive pas d’autres jeunes à accepter les placements ou à se faire former.

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