Dr Sodiomon Sirima, DG du Groupe de recherche action en santé : « Nous travaillons à développer de nouveaux antipaludiques »

Au Burkina Faso, le domaine de la recherche scientifique est en pleine effervescence. En témoigne, les prouesses et les travaux des chercheurs pour mettre au point des remèdes efficaces. Dans cet entretien, Dr Sodiomon Sirima, épidémiologiste, directeur général (DG) du Groupe de recherche action en santé (GRAS), dévoile leurs travaux dans la recherche de vaccins contre le paludisme, la fièvre typhoide, la shigellose…

Sidwaya (S) : Présentez-nous, le groupe de recherche action en santé.

Sodiomon Sirima (SS) : Le Groupe de recherche action en santé est un institut de droit privé burkinabè créé depuis 2008. Il a été accrédité par le ministère des enseignements supérieurs, la recherche scientifique et de l’innovation technologique en 2020. Nous avons comme mission de contribuer à l’amélioration de l’état de santé des populations à travers la recherche. Nous conduisons la recherche et nous contribuons à la formation aussi dans le domaine de la recherche en santé.

S: Quels sont les dossiers de recherches sur lesquels vous travaillez actuellement? 

SS : Nous faisons de la recherche en santé de façon générale. Mais de façon particulière, nous avons plusieurs portes folios. Les portes folios sont des thèmes de recherches relatifs au paludisme, à la typhoïde, aux bilharzioses (urinaires et intestinales), aux maladies diarrhéiques et au COVID-19. Dans le domaine du paludisme, c’est l’une des grandes maladies sur lesquelles, nous nous concentrons. Nous avons des projets de recherches sur l’amélioration de la stratégie de mise en œuvre de l’intervention de la santé, relatif au paludisme. Dans ce cadre, nous avons par exemple un projet qui vise à générer des données préliminaires qui accompagneront le ministère de la santé sur le déploiement des médicaments antipaludiques. Vous entendez peut-être parler de médicaments de première ligne, de deuxième ligne dans le traitement du paludisme. C’est une des stratégies, qui consiste pour un pays de prendre un médicament qui sera déployé en première intention. C’est en cas d’échec de ce médicament à traiter le paludisme, qu’on passe au médicament de deuxième intention. La stratégie que nous tentons de mettre au point consiste contrairement à l’utilisation d’un seul médicament de première ligne, à déployer simultanément plusieurs médicaments de première ligne. L’avantage par rapport à l’autre stratégie, est que lorsqu’on prend un seul médicament en première ligne, on l’use. Et, c’est lorsqu’il est usé qu’on passe à un deuxième. Malheureusement, on ne découvre pas tous les jours de nouveaux médicaments. Si vous usez, un médicament avant de chercher un deuxième, vous avez un médicament qui sort totalement de l’arsenal avec le risque que vous vous retrouvez avec très peu de médicaments en votre possession.  Dans la stratégie en étude, au lieu d’avoir un seul médicament de première ligne, on a plusieurs médicaments utilisé simultanément en première ligne. Les médicaments utilisés simultanément s’auto-protègent. En effet, lorsque le plasmodium développe une résistance contre un des médicaments, l’autre médicament l’élimine. Ce qui ne donne pas le temps à la souche du plasmodium résistante de se répandre et de rendre le médicament inefficace dans la localité. Ce qui fait que les médicaments s’auto protègent et allongent leur durée de vie. C’est cette stratégie que nous avons tenté de mettre au point et tester dans le district sanitaire de Kaya. Nous sommes en fin de programmes. Probablement qu’on va pouvoir restituer ces résultats en début octobre prochain. La mission de la recherche, c’est d’être en avant pointe de la politique de mise œuvre. Pendant qu’aujourd’hui, nous avons des médicaments efficaces, il faut déjà commencer à penser à la diminution de leur efficacité et donc aux médicaments de rechange.

S : Aviez-vous songé aux médicaments du futur ?

SS : Nous avons déjà commencé à préparer les médicaments de la génération future. C’est dans ce sens que nous avons dans les portes folios de recherches sur les médicaments contre le paludisme, nous travaillons à développer de nouveaux antipaludiques. Ainsi nous avons des antipaludiques qui sont en développement toujours à base de dérivées d’arthémésine ou à base d’autres composantes. Pour ce faire, notre institut de recherche a un partenariat avec l’hôpital protestant de Schiphra à Ouagadougou, l’hôpital Saint Maximilien de Sabou, les districts sanitaires de Sabou et  de Banfora où, ces nouveaux médicaments sont en voie d’être testés.

S : Quel est l’état de vos investigations dans le domaine des vaccins ?

SS : Pour ce qui est du vaccin, nous en avons plusieurs ! J’ai eu le privilège d’être impliqué dans le développement des vaccins depuis bientôt 20 ans. Les candidats vaccins en développement tombent les uns à la suite des autres. Nous prenons les plus prometteurs et nous continuons la recherche. Ceux qui tombent repartent au laboratoire pour voir quelles ont été leurs faiblesses et s’ils peuvent être améliorés et renvoyé sur le terrain pour de nouveaux tests. A l’heure actuelle, notre institut teste ou prépare les essais de quasiment 5 à 6 candidats vaccins.

S : Quels sont les noms de ces vaccins ?

SS : Les noms sont pour le moment des noms scientifiques, mais des noms commerciaux. C’est quand, nous arrivons en fin de développement et que le produit doit être mis sur le marché qu’on lui donne un nom commercial pour des visées de marketing. Nous avons entre nos mains les candidats vaccins suivant contre le paludisme, le NPC-SE36 est candidat vaccin japonais de l’Université d’Osaka, le SPfSPZ, un candidat vaccin de la firme américaine Sanaria, le RH5/Matrix M et le R21/Matrix M deux candidats vaccins, de l’Université d’Oxford.

S : Ces vaccins sont-ils prometteurs ?

SS : Pour ce qui est de la science, les résultats sont probants. Mais, nous sommes à des étapes où, nous ne pouvons pas parler d’efficacité dans les conditions de terrain. Donc, ces vaccins sont en train d’être testés.

S : Le vaccin R21/Matrix M contre le paludisme donne déjà des résultats probants. Le GRAS at’il apporté sa touche dans sa mise en œuvre ?

SS : Le R21/Matrix M est un vaccin qui utilise l’antigène R21 qui est combiné au Matrix M qui est l’adjuvant. C’est en fait un vaccin breveté par l’université d’Oxford qui en est l’inventeur. Actuellement, dans la mise au point d’un vaccin et de produits pharmaceutiques de façon plus large, il faut des consortia composés de plusieurs équipes expertes. Il y a les spécialistes qui peuvent concevoir ou synthétiser le produits (le plus souvent ils sont les détenteurs du brevet), des spécialistes qui produisent les lots des produits qui doivent être testé et des spécialistes qui peuvent conduire les essais sur le terrain. C’est donc des expertises complémentaires qui participent in fine dans la recherche de médicaments de vaccins recherches. J’ai eu avec mon équipe quand nous étions au centre national de recherche et de formation sur le paludisme avant de venir au GRAS, le privilège d’être la première équipe africaine à conduire le premier essai de ce candidat vaccin R21/Matrix M sur les personnes naturellement exposées au paludisme. L’essai a eu lieu à Banfora en entre 2017 et les résultats publiés en 2019. C’est à l’issue de ces résultats probants de la première phase que l’équipe de Nanoro a pris le relais pour tester en phase 2. C’est donc une course à relais. Ce sont les résultats de cette phase 2 qui ont été présentés en avril dernier et qui montre que ce vaccin est très prometteur.

S : Comment pouvez-vous expliquer que le paludisme demeure la première cause de mortalité au Burkina ?

SS : Il y a un certain nombre de facteurs qui font que le paludisme est une maladie de santé publique : les facteurs humains et environnementaux. Pour ce qui des facteurs humains, c’est une maladie liée à la pauvreté parce que pour être piqué par un moustique, il faut être dans des conditions où l’on n’est pas protégé. Le moustique se développe dans les zones où, il y a une certaine humidité avec un peu de chaleur. Nous sommes dans des zones tropicales, nos pays remplissent malheureusement ces conditions. Il est très adapté à notre climat et n’a pas besoin de grand-chose pour se développer facilement.

S : Avec toutes ces avancées dans la recherche, est-ce à dire que le groupe de recherche viendra bientôt à bout du paludisme ?

SBS : Le groupe de recherche n’apporte que sa modeste contribution. Avec la pandémie de la Covid-19, les hommes politiques ont compris qu’il fallait un partenariat très fort avec le secteur privé sur les plans nationaux et internationaux. Ainsi, d’importantes ressources financières ont été injectées dans les firmes pharmaceutiques privées. C’est ce qui a permis l’avancée rapide du vaccin contre la Covid-19. Si autant d’engagements était fait, nous pourrions aussi venir à bout du paludisme.

S : Qu’en est-il de vos recherches sur les autres pathologies ?

SS : Le paludisme représente peut-être 30 à 40%, sinon peut être 50% de nos activités. Mais, nous sommes aussi engagés dans la recherche sur d’autres pathologies qui affectent nos populations notamment la fièvre typhoïde, les bilharzioses et les maladies diarrhéiques Ainsi pour la fièvre typhoïde, nous avons contribué au développement d’un vaccin contre cette maladie. Ce vaccin est même mis sur le marché. Il est probablement enregistré au Burkina Faso. Ce vaccin a l’avantage en dose unique de protéger très longtemps. Pour le moment, nous sommes à bientôt cinq années de recul. Et avec les cinq ans, nous sentons que le vaccin continue toujours de protéger.

S: Quel est le nom de ce vaccin que beaucoup de Burkinabè ignorent?

SS : En tant que scientifique, il n’est pas de mon ressort de donner de spécialité pour ne pas faire une quelconque publicité. Notre rôle n’est pas de promouvoir un quelconque vaccin. Mais, si vous vérifiez avec les différents prescripteurs, s’il est déjà enregistré dans le pays, ils vous donneront le nom commercial sous lequel il est enregistré. C’est un vaccin qui a l’avantage d’être prise en dose unique et qui peut être administré déjà chez l’enfant à six mois et qui peut être intégré aux vaccins du Programme élargi de vaccination (PEV).  Ce qui permettra de vacciner les enfants, tout comme on les vaccine contre la tuberculose, la rougeole…et ils seront protégés contre la typhoïde pour de longues années. Ces résultats ont été présentés au programme élargi de vaccination du Burkina Faso, mais malheureusement, probablement du fait des multiples priorités du ministère de la santé, il n’est pas encore inclus dans les vaccins du PEV. Sur un autre plan, la majeure partie des enfants font deux, trois, quatre épisodes de diarrhée dans l’année. Ce qui contribue à les affaiblir et à créer le lit de certaines maladies. Ces diarrhées sont causées par des virus et des bactéries. Pour les virus, il existe un vaccin qui est fait partie des vaccins actuel du PEV, mais pour les bactéries dont les principales sont les shigelles. Il n’existe pas de vaccins. Nous sommes activement engagées dans le développement d’un vaccin contre cette diarrhée d’éthologie bactérienne et sur financement d’un organisme européen (European & Developing Countries Clinical Trials Partnership -EDCTP-) et en partenariat avec une ONG européenne (European vaccine initiative-EVI-), des universités hollandaise et suédoises et un institut zambien.  Ce vaccin est un produit américain produit par la Walter Read Army, un institut de recherche de l’armée américaine et avec PATH. Les activités de recherche sur ce vaccin se déroulent à Ouagadougou. Autre pathologie d’intérêt pour l’institut GRAS, ce sont les bilharzioses.  Elles, ne sont pas perçues comme un problème de santé publique au niveau urbain. Mais si, vous partez dans les milieux périurbains ou dans les villages, vous verrez que beaucoup d’enfants d’un certain âge lorsqu’ils urinent, il y a du sang dans l’urine. C’est lié à la bilharziose urinaire. Il y a la bilharziose intestinale qui se manifeste par des constipations. Le GRAS est activement engagé dans le développement d’un vaccin en partenariat avec l’université du Texas et un institut sud-coréen.

S : Vous êtes sur plusieurs fronts en même temps. Combien de vaccins vous êtes en train de tester actuellement ?

SS : Ce n’est pas compliqué. La plateforme pour tester les vaccins est quasiment la même. Lorsque cette plateforme est établie, elle peut être utilisée pour tout type de vaccin. Même la Covid-19, nous sommes avec d’autres partenaires en train de préparer un vaccin. En même temps que nous sommes sur le vaccin, nous avons une étude sur la COVID-19 qui cherche à connaitre l’interaction entre le Covid-19 et le paludisme. Il y a une similitude de symptômes entre la COVID-19 et le paludisme, de même certains antipaludiques ont été considérés comme ayant un effet sur le coronavirus. Nous avons un nouvel antipaludique qui est enregistré au Burkina Faso comme médicament première ligne que nous sommes en train de tester aussi dans le traitement de la COVID-19. En somme, nous sommes en train de tester sur la plateforme une dizaine de vaccins. Il peut être affolant d’entendre ce chiffre. Comme nous l’avons mentionné, c’est une plateforme commune qui est utilisée et nous avons une équipe de près de 70 personnes. Ce n’est donc pas un problème d’accommoder toutes ces études.

S : Alors, quels sont vos rapports avec l’autorité de régulation pharmaceutique pour la réussite de ces vaccins tests ?

SS : Naturellement, ce sont des rapports de site de recherches à autorité qui régule la recherche. Pour toutes nos études, nous recevons au préalable un avis favorable de cette autorité. Tout ce que nous importons comme produits même jusqu’aux aiguilles font l’objet d’une approbation préalable de l’autorité. Donc, tout est préalablement approuvé par elle.

S : Aviez-vous un accompagnement des autorités pour vos travaux de recherches ?

SS : Oui. Nous avons déjà l’agrément de notre institut par le ministère de la santé et son accréditation par le ministère en charge de la recherche scientifique. C’est déjà très important et une preuve de l’engagement de l’autorité à nous accompagner. Et nous participons en tant que scientifiques aux différentes rencontres. Nous donnons nos avis et contribuons à l’orientation de la politique sanitaire. Mais, lorsqu’on parle de centre privé, de notoriété publique, c’est perçu comme quelque chose qui génère des bénéfices. Alors que non.  Nous ne vendons pas nos services à quiconque. Nous ne réalisons par conséquent pas de bénéfice. Au contraire, nous accompagnons l’Etat, donc le secteur public. Nous contribuons à résorber le chômage et à faire tourner l’économie en ce sens qu’à travers les appels à financement internationaux auxquels nous participons avec succès, nous apportons des fonds externes pour la création d’emplois. Ce sont des subventions publiques qu’on reçoit. Donc des financements publics et sans intérêt que nous réalisons.

Interview réalisée par Abdel Aziz NABALOUM

emirathe@yahoo.fr

 

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