Guinée-Bissau : Chronique d’une instabilité institutionnelle

Décidément, la Guinée-Bissau est abonnée à l’instabilité politique et institutionnelle chronique. Depuis le second tour du scrutin présidentiel du 29 décembre 2019 à l’issue duquel la Commission nationale électorale (CNE) a déclaré Umaro Sissoco Embalo gagnant avec 53,55% des suffrages, le pays vit au rythme d’une crise qui menace d’exploser. La raison, son concurrent, Domingos Simoes Pereira, candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, (PAIGC), arrivé deuxième avec 46,45% des voix a contesté les résultats. Il a saisi la Cour suprême pour un recomptage des voix. Dans ce feuilleton post-électoral, les différentes médiations n’ont pu aboutir à aucun compromis. Las d’attendre, le candidat victorieux selon la CNE, Umaro Sissoco Embalo, a organisé son investiture, le 26 février 2020, et occupé le palais présidentiel. Sur la même lancée, il a nommé un Premier ministre en la personne de Nuno Gomes Nabiam en lieu et place de Aristide Gomes. Tout cela avec l’appui de l’armée.

Le camp de son adversaire, Domingos Simoes Pereira, a aussitôt contesté cette décision. Les députés du PAIGC ont alors déclaré la « vacance du pouvoir » et investi le président de l’Assemblée nationale populaire, Cipriano Cassama, chef de l’Etat par intérim. Du coup, la Guinée-Bissau s’est retrouvée avec deux présidents.

Contre toute attente, le samedi 29 février, Cipriniano Cassama, craignant pour sa vie, a vite fait de renoncer à son poste de président par intérim. La nomination du gouvernement qui devrait intervenir incessamment aux dires de Umaro Sissoco Embalo est compromise au regard de la crispation de la situation.

A qui imputer l’instabilité permanente de ce pays de 36 120 Km2 et de plus de 1,8 million habitants ? Evidemment à la classe politique bissau-guinéenne qui n’a jamais su mettre en avant l’intérêt supérieur de la nation. Et à l’Armée qui joue un rôle prépondérant dans le cercle du pouvoir. Depuis son indépendance en 1974, la Guinée-Bissau n’a jamais connu un président qui est arrivé au terme de son mandat. Au moins six coups d’Etats y ont été perpétrés. Foulant au pied le combat d’Amilcar Cabral qui a lutté jusqu’au prix de sa vie pour l’indépendance du Cap Vert et de la Guinée-Bissau, les leaders politiques bissau-guinéens s’étripent au fil des ans sur la scène politique pour leurs intérêts égoïstes. Cette énième crise politique démontre à souhait que ceux qui ont pris en otage ce pays sont plutôt animés par l’exaltation de leurs propres égos que par la construction d’une nation unie et prospère.

Pendant qu’ils usent leurs énergies prédatrices dans des querelles stériles, les défis essentiels comme ceux du développement, de la santé et de l’éducation sont passés sous silence. Le pays est livré au diktat des narcotrafiquants qui semblent tout contrôler. Quand les fils d’une même nation s’entendent pour qu’il n’y ait pas de stabilité institutionnelle et politique, c’est toute la souveraineté du pays qui est compromise. Comment comprendre qu’après plus de quatre décennies d’indépendance la Guinée-Bissau en soit encore à ce stade de balbutiement si ce n’est la mauvaise foi des politiciens qui ont tout confisqué. Tant que la classe politique toute confondue de la Guinée-Bissau ne fera pas son examen de conscience sans concession, c’est l’avenir de milliers de citoyens qui est compromis pour des générations. Le spectacle pathétique qui s’offre dans ce pays n’honore personne, y compris ceux qui prétendent être incontournables sur l’échiquier politique. Sans ce minimum de stabilité des institutions de la République, le rêve d’une Guinée-Bissau libre, indépendante et prospère va virer au cauchemar.

La classe politique et l’Armée ont la lourde responsabilité de dépasser leurs contradictions et leurs intérêts partisans pour honorer ne serait-ce le sacrifice de ceux qui ont combattu contre l’exploitation du pays et pour son indépendance. Sinon, cette pensée de Amilcar Cabral aura encore une résonnance éloquente en ces temps-ci. « Nous ne luttons pas simplement pour mettre un drapeau dans notre pays et pour avoir un hymne mais pour que plus jamais nos peuples ne soient exploités, pas seulement par les impérialistes, pas seulement par les Européens, pas seulement par les gens de peau blanche, parce que nous ne confondons pas l’exploitation ou les facteurs d’exploitation avec la couleur de peau des hommes ; nous ne voulons plus d’exploitation chez nous, même pas par des Noirs ».

Karim BADOLO

Laisser un commentaire