Lassane Ouédraogo, directeur de l’énergie de la Commission de l’UEMOA : « La production de l’électricité à partir du gaz naturel est une technologie à la portée de l’Union »

La Stratégie de développement des pôles énergétiques (SDPE) figure en bonne place parmi les actions phares du Cadre prioritaire d’actions de la commission de l’UEMOA pour la période 2021-2025 (CAP 2025).

D’un coût de 112 milliards F CFA, la SDPE est une véritable révolution qui vise à fournir de l’électricité à tous les citoyens de l’espace d’ici à 2033.

Dans cette interview, le directeur de l’énergie, de la Commission, Lassane Ouédraogo, après un diagnostic de la situation des pays en matière d’accès à l’électricité, présente les potentialités énergétiques dont regorge la région. Il présente aussi les différentes phases de la SDPE pour faire des délestages un lointain souvenir.

Sidwaya (S) : A l’ère de la transition énergétique pour les pays développés, quelle est la situation dans les pays de l’UEMOA en matière d’accès à l’énergie ?

Lassane Ouédraogo (L.O.) : Au niveau des pays développés, la transition énergétique consiste à aller « du quantitatif vers le qualitatif », tout simplement parce que ces pays ont pu, avec les énergies de sources fossiles et autres à savoir le charbon minéral, les produits pétroliers, le gaz naturel et le nucléaire, couvrir tous les besoins. 100% de leurs populations ont accès aux services électriques, de même l’énergie est disponible en quantité pour les entreprises.

Pendant ce temps dans l’espace UEMOA, le taux d’accès aux services électriques est de 48,7% dans les villes et en milieu rural, il est encore plus faible, autour de 17%. Vous voyez donc clairement que dans nos pays, plus de la moitié de la population n’a toujours pas accès à l’électricité, alors que les pays de l’Union disposent de potentialités énormes (solaire, hydraulique, gaz naturel, charbon minéral, produits pétroliers…).

La question qui se pose au niveau de l’espace c’est donc où mettre le curseur de la transition énergétique ? Certainement au niveau de la quantité.

S : Le collège des commissaires de l’UEMOA a pris la mesure du défi, puisque dans le cadre du CAP 2025, la Commission met en œuvre la Stratégie de développement des pôles énergétiques. Quels sont les objectifs de la SDPE ?

L.O. : La Stratégie de développement des pôles énergétiques (SDPE) vise à mettre en valeur les ressources énergétiques là où elles sont abondantes en vue de réaliser des économies d’échelle et de tirer profit des avantages comparatifs des différentes sources de production.

Elle est portée par la vision : « Dans un marché régional ouvert et concurrentiel, à l’horizon 2033, l’UEMOA dispose des pôles énergétiques viables et durables qui sont alignés sur les meilleures pratiques avec un mix énergétique optimal s’appuyant sur des partenariats efficaces, pour un accès universel à l’électricité ».

Le développement de pôles énergétiques dans l’espace UEMOA repose sur le principe du renforcement de la coopération régionale en matière de production et de transport d’électricité en favorisant de grands projets intégrateurs. Un pôle énergétique de production est constitué d’un groupe de pays voisins avec à la tête un pays-chef de file qui possède la disponibilité et/ou le potentiel de ressources énergétiques compétitives et valorisables pour la production d’électricité.

S : Quelle est l’architecture sur laquelle la Stratégie de développement des pôles énergétiques va s’appuyer ?

L.O. : La Stratégie de développement de pôles énergétiques (SDPE) est agencée autour de cinq axes stratégiques, dont découlent les matrices d’actions prioritaires.

Ainsi à travers le premier axe, le renforcement des cadres institutionnel et réglementaire du secteur de l’électricité, la Commission va appuyer tous les pays de l’Union pour qu’ils se dotent d’un code de l’électricité harmonisé, posent un cadre pour réorganiser la chaine de valeur du secteur et renforcent les normes pour garantir la qualité de service.

Le deuxième axe est celui de la valorisation du potentiel des ressources humaines et des ressources énergétiques disponibles. Il va permettre de répertorier les ressources énergétiques disponibles et déployer un système d’information énergétique intégré.

Quant au troisième pilier de la SDPE, sa finalité est de généraliser l’interconnexion des pays de l’Union, par des actions pour renforcer les capacités des lignes d’interconnexion en vue d’augmenter les volumes d’échanges d’énergie entre les pays.

A travers le 4e pilier, la SDPE entend renforcer le parc de production de l’électricité avec un mix énergétique optimal qui améliore la part des énergies renouvelables et du gaz pour compenser l’intermittence et assurer l’équilibre du réseau électrique.

Enfin le dernier axe de la stratégie va s’atteler à faciliter la mobilisation des ressources financières adaptées pour financer les investissements sur la chaine de valeur du secteur (production, transport et distribution) et la digitalisation du réseau électrique.

S : Comment s’est fait le choix des pays-chefs de file de pôle énergétique ?

L.O. : La Commission en collaboration avec les experts des différents pays a identifié 15 critères répartis en deux grands groupes : la disponibilité de ressources compétitives et la capacité de valorisation des ressources disponibles.

Un pays-chef de file d’un pôle énergétique doit apporter une réponse satisfaisante à sa propre demande, mais aussi disposer de ressources énergétiques suffisantes valorisables pour pouvoir produire et exporter de l’électricité de manière compétitive.

Les scores ont été calculés selon la méthode « Analytic Hierarchy Process (AHP) ou analyse multicritère hiérarchique. Dans un premier temps une comparaison par paires et réalisée sur les critères de chaque axe pour déterminer le poids de chacun d’entre eux dans l’axe.

S : Quels sont les pôles énergétiques retenus dans le cadre de la SDPE ?

L.O. : Trois pôles énergétiques avec chacun un chef de file. Il s’agit du pôle énergétique Côte d’Ivoire s’appuyant sur les ressources hydrauliques, gazières, solaires et en biomasses dont sont dotés les pays de la zone d’influence qui comprend la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Togo.

Il y a ensuite le pôle énergétique Niger organisé autour des ressources pétrolières, gazières, minières (charbon), hydrauliques et solaires dont regorgent les pays de la zone d’influence comprenant le Niger, le Bénin, le Burkina Faso et le Togo.

Le dernier pôle énergétique est celui du Sénégal ayant recours essentiellement aux ressources gazières, hydrauliques et solaires. La zone d’influence de ce pôle comprend le Sénégal, la Guinée Bissau, le Mali et les pays voisins non membres de l’UEMOA.

S : Le gaz occupe une place très importante dans la SDPE. Pourquoi ce choix alors que l’Union dispose d’autres potentialités comme le pétrole ou l’uranium ?

L.O. : Il est important d’indiquer que la production thermique à base de produits pétroliers constitue, aujourd’hui, le mode de production d’électricité le plus cher au monde.

A titre d’exemple, aux États- Unis, le thermique à base de pétrole est de 1,4 fois plus cher que le thermique à gaz, quatre fois plus cher que le thermique à charbon et 5,6 fois plus cher que le nucléaire.

Les trois pôles identifiés disposent d’importantes quantités de gaz naturel prouvées. Le Niger dispose d’un important potentiel de gaz naturel de 18,6 milliards de m³. La Côte d’Ivoire possède des champs gaziers pour un potentiel de 1819 m3/an.

Il faut noter que ce pays vient de faire une importante découverte en 2021 de pétrole et de gaz estimé à 1,5 à 2 milliards de barils de pétrole brut, d’une part, et d’autre part à environ 1 800 à 2 400 milliards de pieds cubes de gaz associé. Les découvertes faites au Sénégal montrent également un potentiel considérable de pétrole et de gaz, avec des gisements en mer de 2,7 milliards de barils de pétrole et 700 – 900 milliards de m3 de gaz.

Aussi, faut-il souligner que les découvertes de grands gisements gaziers dans l’espace UEMOA, vont dans le court et le moyen terme augmenter scientifiquement la proportion du gaz dans le bouquet énergétique de l’Union. Une donne très importante est que la production de l’électricité à partir du gaz naturel est une technologie à la portée de l’Union, au vu de son coût relativement bas par rapport aux produits pétroliers.

Un autre atout et non des moindres du gaz naturel est que ce combustible est en passe d’être classé parmi les énergies non polluantes par L’Union européenne, car il est désormais possible de produire l’électricité tout en captant le CO2 à travers le cycle d’Alun.

S : Qu’en est-il de la production de l’électricité à partir du nucléaire ?

L.O. : Compte tenu du caractère spécifique de cette source d’énergie, des instructions ont été données par le président de la Commission de l’UEMOA, afin d’approfondir la réflexion dans la perspective de mener une étude pour le développement de la production électrique à base du nucléaire.

S : Le Burkina Faso a fait l’option de développer l’énergie solaire. La stratégie de développement des pôles énergétiques prend-elle en compte le choix des autorités de ce pays ?

L.O. : Le Burkina Faso appartient au pôle énergétique Côte d’Ivoire et à celui du Niger. Tous les projets prioritaires du pays sont pris en compte au niveau de ces deux pôles énergétiques.

Il s’agit des projets de lignes de transport électriques, des projets de sources hydrauliques, thermiques et solaires.

S : Pour se donner plus de chance de réussite, la mise en œuvre de la SDPE a été scindée en 3 phases. Présentez-nous ces phases ?

L.O. : La première phase est celle de déclinaison et d’impulsion des pôles énergétiques et d’harmonisation des cadres institutionnel et réglementaire du secteur de l’électricité.

Elle est déjà en cours et d’ici à 2023, cette phase va permettre de mobiliser toutes les parties prenantes autour des premiers succès obtenus, de définir les vagues d’exécution des projets suivant les impacts attendus et les priorités définies.

La deuxième phase qui va s’étaler de 2023-2030, sera consacrée au développement et la transformation accélérée des pôles énergétiques. Il s’agira de bâtir sur les premiers succès enregistrés et de capitaliser sur le retour d’expériences de la première phase pour aller plus vite dans la réalisation des projets et accélérer l’atteinte des objectifs fixés.

Cette phase est capitale et nécessite une forte mobilisation des principales parties prenantes et une implication au plus haut niveau de la Commission de l’UEMOA et des chefs d’État pour montrer que la mise en œuvre du développement des pôles énergétiques est une priorité absolue.

Au cours de cette phase, des évaluations annuelles vont permettre d’apporter les ajustements et les correctifs nécessaires pour garantir le succès de la SDPE. La dernière phase prévue de 2030 à 2033 permettra de consolider les acquis concrets des projets déployés et d’effectuer une évaluation globale de l’effet produit.

Les résultats issus de cette étape serviront à alimenter l’évaluation globale de la stratégie et la pérennisation des pôles énergétiques dans l’espace UEMOA.

S : La stratégie est déjà en cours de mise en œuvre. Quels sont les résultats qui ont été enregistrés ?

L.O. : En matière de résultats obtenus au niveau de la première phase à ce jour, on peut citer entre autres : l’adoption de la SDPE par les instances suprêmes de l’Union, à savoir le Conseil des ministres statutaire.

La formulation des fiches des projets et la mise en place des organes de gouvernance. La Commission de l’UEMOA a mobilisé sur fonds propres des ressources pour financer des mini-centrales (mini grids) solaires dans tous les États membres, en faveur des populations éloignées du réseau national.

En termes de perspectives, la Commission est déjà à pied d’œuvre pour l’organisation d’une table ronde des Partenaires techniques et financiers, courant premier semestre 2023, pour appuyer les États membres à la mobilisation des fonds pour le financement des projets identifiés au niveau des pôles énergétiques.

Interview réalisée par Nadège YE

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