Etablissements scolaires: Quand des journées culturelles riment avec débauche

Instaurées depuis de nombreuses années dans les établissements scolaires du Burkina Faso, les journées culturelles visent l’épanouissement et l' »éducation complète » des élèves. Malheureusement, elles glissent de plus en plus vers la dépravation des mœurs, alcool, sexe et drogue… au grand dam de la communauté éducative. Constat dans quelques lycées et collèges de Dédougou.

Les journées culturelles sont l’une des activités recréatives phares des différents établissements scolaires au Burkina Faso, et à Dédougou (Boucle du Mouhoun), en particulier. Le samedi 4 mai 2019, la cour du lycée municipal de la ville grouille de monde. La musique, sur fond de sonorités burkinabè et africaines, bat son plein sous la dizaine de tentes dressées pour l’occasion. Il est difficile de se frayer un passage ou de se trouver une place assise. Des bouteilles de bière, de vin et des brochettes de viande se disputent la place sur des tables éparses. A l’entrée de l’établissement, à proximité d’un parking spontané, des jeunes filles et garçons, au milieu des volutes de fumée, tirent, à tour de rôle, des bouffées de chicha. Au Sud des tentes, d’autres lycéens du même âge préfèrent s’agglutiner autour des jus, des gâteaux, des grillades, des crudités, et autres fritures… A quelques pas de là, des groupes de jeunes, vêtus pour la plupart de jeans déchirés et de robes sexy, frisant parfois l’indécence, (dessous exhibés, poitrines découvertes, etc.), déambulent, tandis que d’autres « engloutissent » des litres de bière… Au lycée provincial de la Cité de Bankuy, le samedi 27 avril 2019, aux environs de 11 heures, le spectacle est différent. Un « dispositif sécuritaire » est en effet mis en branle pour limiter les dérapages et éviter l’introduction de l’alcool au sein de l’établissement. «La qualité de l’organisation est à saluer cette année. Les éditions passées, l’enceinte de la cour était prise d’assaut par les tenanciers de débits de boisson», reconnaît un parent d’élève, sous le couvert de l’anonymat. Etablissement confessionnel pour jeunes filles, le collège Rosa Molas de Dédougou organise également, chaque année, des « journées culturelles », dans la « sobriété » qui tranchent d’avec les foires dans d’autres lycées et collèges de la place. De l’avis de l’un des responsables de l’établissement qui a requis l’anonymat, ces moments récréatifs ont pour objectif de permettre aux élèves de se ressourcer dans la culture. «Le but principal de ces journées à caractère culturel vise à sauvegarder et pérenniser nos cultures. Au-delà de leur caractère festif, elles interpellent les élèves sur l’importance de préserver nos valeurs ancestrales», confie-t-il. Selon le proviseur du lycée municipal de Dédougou, Ousmane Faho, ces journées sont marquées par plusieurs activités « essentiellement » culturelles.

Ces journées ont perdu leur sens

Il s’agit, entre autres, de la journée vestimentaire au cours de laquelle les élèves s’habillent en tenue traditionnelle ; la nuit culturelle (prestations musicales, théâtre, etc.) et la journée culturelle proprement dite ou journée des communautés dont le but principal est de permettre aux élèves de se ressourcer dans la culture en fonction des communautés présentes dans l’établissement. Cette journée, explique M. Faho, consiste à inciter les élèves à vivre leur culture à travers des pas de danse, l’art vestimentaire et culinaire. Sur ce dernier point, souligne-t-il, une rue marchande est organisée pour permettre aux enfants et au public invités de déguster les mets traditionnels ou locaux concoctés par les élèves des différentes communautés. Instaurée pour élargir le champ d’apprentissage à l’enfant, la journée culturelle tend, toutefois, à perdre, regrette-t-il, sa valeur d’antan au regard des dérives constatées.  «Ces journées, il faut avoir le courage de le dire, ont dévié de leurs objectifs. Censées éduquer culturellement les élèves, elles sont devenues des journées de dépravation des mœurs. Lors de ces journées, les élèves restent dans les lycées jusqu’à tard dans la nuit et se livrent à des bêtises», dénonce M. Faho.  Pour Harouna Sabo, un parent d’élève, ces journées ont perdu leur sens. A l’entendre, ce sont plutôt des occasions de rencontres amoureuses, de s’adonner à des actes illicites. « Aussi, le côté festif a pris le dessus sur l’éducation culturelle recherchée », déplore-t-il. Même son de cloche chez le secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-SYNTHER), section Boucle du Mouhoun, Adibou Hassane Sangoti. «Les journées culturelles permettaient aux élèves d’avoir des loisirs et des connaissances sur la culture de notre pays. Mais depuis près de dix ans le constat est amer et choquant. L’espace scolaire est envahi par des personnes de très mauvaise moralité», martèle-t-il. Enseignant d’anglais au lycée municipal de Dédougou et chargé de la cellule culturelle de son établissement, Abdoulaye Ouédraogo soutient que dans la plupart des établissements, les journées culturelles riment avec alcool, sexe et consommation de stupéfiants. En outre, ces journées sont, à ses dires, une sorte de «deal» où les élèves font des affaires avec les tenanciers des débits de boisson sans rendre compte à l’administration et à la cellule culturelle. «Les bureaux d’élèves, pour des raisons lugubres, ne souhaitent ni l’implication de la cellule culturelle, ni l’implication des enseignants pour réorienter la journée. Les élèves se permettent de louer des espaces de l’établissement à des privés moyennant de l’argent qu’ils gèrent entre eux sans en rendre compte», fustige Abdoulaye Ouédraogo.

Des responsabilités partagées

Pour lui, les adultes ont une grande responsabilité dans cette dérive des journées culturelles dans les établissements scolaires. «Si cela ne tenait qu’aux élèves, nous n’assisterions pas à un tel niveau de déviance. Ce sont les adultes qui contribuent à aggraver la situation. Des fonctionnaires et des pères de famille n’hésitent pas, lors de ces journées, à se joindre aux élèves, pour se livrer à l’alcool et à des actes peu recommandables», regrette l’enseignant d’anglais. Quant au secrétaire général du F-SYNTHER, il estime que la responsabilité incombe à toute la chaîne éducative. Des élèves aux parents d’élèves, aux enseignants en passant par l’administration scolaire et les autorités, tout le monde, selon M. Sangoti, est responsable de ce «foutoir» constaté lors des journées culturelles. «Nous avons tous démissionné, à commencer par les parents et les autorités. Nul ne veut se mettre à dos les enfants. Sinon, nous interpellons chaque fois les autorités sur les différentes dérives constatées en tant que syndicat, mais personne ne réagit. C’est à croire qu’on a peur de prendre des décisions au risque d’être dans le collimateur des élèves», se convainc le syndicaliste. Un argument relativisé par le directeur régional des enseignements postprimaire et secondaire de la Boucle du Mouhoun, Denis Vimboué, qui soutient qu’un éducateur ne doit pas craindre un élève qui est sous sa houlette. «En tant qu’autorité, nous devons prendre nos responsabilités et empêcher certaines choses de se faire. C’est le rôle de l’enseignant de dire la vérité à l’élève. Avoir peur de nos enfants, c’est renoncer à leur éducation et à leur avenir», affirme-t-il. Pour stopper l’hémorragie et redorer le blason des journées culturelles, M. Vimboué préconise «un consensus social» qui impliquera les parents, les enfants eux-mêmes, les enseignants et les autorités. A l’intention des acteurs de l’éducation, il préconise une suspension de ces journées culturelles afin de mieux penser leur organisation. «L’idéal serait de marquer une trêve pour mieux réorienter l’organisation des journées culturelles dans les établissements secondaires. D’ailleurs, un établissement de la place l’a tenté. Mal lui en a pris, car les élèves ont fait savoir à l’administration que même s’ils doivent passer par le mur pour tenir leur journée culturelle, ils le feront. Il est clair que la suspension n’est pas chose évidente. C’est aux autorités de prendre leurs responsabilités si nous ne voulons pas que la dérive atteigne son comble à travers ces journées culturelles», prévient Abdoulaye Ouédraogo.

Kamélé FAYAMA

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