La guerre de sang

Pendant que le réveillon du nouvel an battait son plein, dans la cour de mon voisin, le vieux retraité d’en face, c’était la guerre ouverte. Les enfants du vieux étaient à couteau tiré au point d’en venir aux mains. Je n’ai jamais vu des gaillards barbus se battre comme des bambins. Je n’ai jamais vu des adultes de cet âge s’insulter et se maudire comme s’ils étaient des ennemis. Les enfants de mon voisin sont tous nés de sa femme ; ils sont sortis du même ventre, mais il y a des années qu’ils ne se parlent plus. Il y a des années qu’ils ne se rendent plus visite. Leurs enfants ne se connaissent même pas. Ce sont des frères et sœurs ennemis qui ont fini par se convaincre que personne ne peut les rapprocher. Leur seul héritage, le sang, leur nom de famille. Ce 31 décembre, comme par miracle, ils ont répondu à l’appel du vieux pour une ultime tentative de ramener la paix au sein de la famille. Mais hélas, c’était peine perdue !

La rancœur s’est vite invitée à la rencontre. Et le conciliabule familial s’est vite tourné en un concert de haine viscérale, avec rage. Comment des frères et sœurs peuvent-ils se haïr à ce point ? Comment arrive-t-on à détester son propre frère, sa propre sœur ? Comment deux frères de sang, deux sangs de la même source peuvent-ils se rejeter autant ? Mon voisin était pourtant un homme respecté de son temps. Mais entre lui et sa femme, il y a toujours eu des bisbilles.

Il a dû prendre sa retraite avant l’âge pour raison de santé. Depuis que la maladie l’a terrassé, il n’est plus rien d’autre qu’une ombre avachie, affalé sur une chaise-longue. Sa femme l’a presque abandonné pour se pavaner dans la bassecour des mâles plus solides, plus valides. Les mauvaises langues racontent même que les enfants du voisin ne sont pas tous ses enfants. Mais bref, ne versons pas dans les ragots ! En frappant à la porte de mon voisin ce soir-là, j’avais les larmes aux yeux ; j’avais le cœur en lambeaux. Ils avaient pris le soin de fermer le portail à double tour. Et les aboiements du véloce berger allemand enragé dissuadaient plus d’un médiateur.

Le quartier assista en live à la crise familiale, sans pouvoir apporter la moindre contribution qui apaise. C’est dur de voir une famille se disloquer et voler en éclat de la sorte aux yeux du monde. C’est triste de voir un père regarder sa progéniture s’autodétruire dans des dissensions suicidaires. La mésentente dans nos familles est devenue monnaie courante. Il n’y a pas de famille parfaite certes, mais quand des frères et sœurs de même père et de même mère se regardent en chiens de faïence et finissent par se rentrer dedans, c’est dommage ! Quand je pense que les enfants de mon voisin portent les plus beaux noms de la Bible. Quand je pense que trois d’entre eux portent des prénoms d’apôtres du Christ. Quand je pense que la mère des belligérants marche avec un chapelet en bandoulière et ne manque jamais le culte de dimanche, je cherche un saint à qui me vouer. Mais à quoi servent nos manifestations de foi si nous ne sommes pas capables de porter notre croix ? A quoi servent nos convictions religieuses si elles ne nous aident pas à nous élever au-dessous de nos égos ? Peut-on haïr son frère ou sa sœur au point de le tuer chaque jour dans ses pensées, dans ses rêves et même dans la réalité ?

Comment fait-on pour aimer son frère ? Comment les autres font-ils pour rester unis malgré les tempêtes ? Quelle est la recette de la paix en famille ? Le Burkina Faso est déjà en guerre. Ne laisse pas le soleil se coucher avec ta rancune sans demander pardon. Il n’y a pas de famille parfaite ! Cette chronique ne dira pas tout au risque d’être pourchassée dans la rue. Mais il y a des familles dans lesquelles le sens du bonheur se trouve dans la poche des membres de la famille. Dans ses familles, le petit frère peut usurper la place des aînés au nom de sa fortune. Dans ses familles, le père et la mère ont éduqué leurs enfants à double vitesse, dans la contradiction et l’opposition. Dans ses familles, Dieu a perdu sa place devant la cantine de rapine et le coffre-fort du plus fort. Quand ils vont à l’église ou à la mosquée, c’est pour se montrer aux hommes et rentrer compter sur ce qu’ils peuvent compter de plus craquant. Pour ces gens, entre sept et dix chiffres de capital, l’argent s’élève au rang de dieu. Ils célèbrent leurs milliards mieux que l’amour du prochain ; ils adorent leurs chiffres d’affaires plus que la vie du semblable. Pour eux, il n’est de grandeur que la valeur matérielle et financière des choses. Le respect et l’honneur reposent sur l’argent et tant pis pour les gens indigentes. Tant que dans nos familles les gens mériteront leur place à l’aune de leurs placements et autres investissements, leur capital leur offrira le « Graal », mais jamais ils ne seront « halal » !

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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