Libéria : l’épreuve de la réconciliation

Au Libéria, pays d’Afrique de l’Ouest qui a connu deux guerres civiles entre 1989 et 2003, le train de la réconciliation nationale est en marche. Au pouvoir depuis 2023, le Président Joseph Nyumah Boakai en a fait son cheval de bataille et on espère que le processus ira à son terme pour le bonheur des Libériens. La semaine dernière, des funérailles nationales ont été organisées pour l’ex-chef de l’Etat et militaire, Samuel Doe, 35 ans après son assassinat.

Sa dépouille n’ayant jamais été retrouvée, c’est un cercueil vide qui a été mis en terre, le 27 juin dernier, à côté de la tombe de son épouse, dans le domaine familial. Samuel Doe, présenté comme un dictateur, avait fini par soulever une rébellion qui a causé sa perte, en 1990.  Au cours de cette année, il avait été arrêté, torturé et assassiné par les hommes du chef rebelle, Prince Johnson, dans le cadre de la première guerre civile.

Depuis lors, les proches du défunt président, qui n’avaient pas pu faire son deuil, trouvent quelque peu un soulagement, avec ses funérailles symboliques. Ils attendent pour autant que justice leur soit rendue concernant les circonstances entourant la fin tragique de Samuel Doe. Si, les ayants droit de l’illustre disparu ont le droit de connaitre les responsabilités sur sa mort, d’aucuns estiment que Samuel Doe a aussi fait des victimes qui méritent également justice. 

De son vivant, il avait entretenu un climat de terreur, qui reste vivace dans les esprits. L’assassinat de son prédécesseur, William Tolbert et l’exécution en public de 13 membres de son gouvernement renversé par les hommes de Samuel Doe reviennent en mémoire. Son passage à la tête du Liberia a marqué une période sombre de l’histoire du pays, tout comme les deux guerres civiles qui ont fait au moins 250 000 morts.

Très trouble, le passé du Libéria est fait de luttes de pouvoir entre des groupes ethniques et des seigneurs de guerre, avec les violences qu’elles ont engendrées. Avec leur lot de dégâts matériels et de pertes en vies humaines importantes, ces conflits ont causé et impacté négativement le développement socioéconomique du pays, qu’il faille panser les plaies en œuvrant pour une réconciliation nationale.

Le Président Boakai a pris la pleine mesure de la situation et travaille dans ce sens, mais encore faut-il que tout marche comme sur des roulettes.  Le Tribunal pour les crimes de guerre et crimes économiques, créé il y a plus d’un an et qui marque une étape cruciale vers la réconciliation, peine à être opérationnel. Cette initiative recommandée par la Commission vérité et réconciliation du Liberia et concrétisée par le Président Boakai, se heurte à l’opposition d’anciens chefs de guerre dans le viseur de la justice.

Signataires de l’accord de paix de 2003, ces ex-patrons de factions rebelles ne voient pas d’un bon œil la création de cette juridiction qui va certainement leur demander des comptes. N’est-ce pas pour cette raison, que l’ancienne Présidente Ellen Johnson Sirleaf estime que ce Tribunal peut menacer la stabilité du Liberia ?  Il est évident que les intérêts ne sont pas pareils, selon que l’on soit un bourreau ou une victime, mais l’on se saurait sauter la case justice pour aller à la réconciliation. 

S’il est rejeté par certains acteurs, le Tribunal est également confronté à des problèmes financiers. Le gouvernement libérien a alloué un budget jugé insignifiant pour son fonctionnement, comptant sur l’aide étrangère américaine, qui s’est pourtant réduite comme peau de chagrin en Afrique, avec le retour à la Maison Blanche de Donald Trump. Cette stratégie de financement compromet l’opérationnalisation du Tribunal, si elle n’interroge pas sur la volonté réelle du Président Boakai de faire bouger les lignes.  En tous les cas, il a engagé le pays sur la voie de la réconciliation et l’histoire saura tirer des leçons… 

Kader Patrick KARANTAO

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.