Lutte contre la COVID-19: le cri du cœur des enfants de la rue

Sur fonds propres, la responsable du Centre d’accueil Casa Esperance Mission refuge, Rejane Kologo, confectionne des masques pour les enfants en situation de rue.

Le Burkina Faso est touché par la pandémie de la COVID-19 depuis le 9 mars 2021. Des mesures sont prises pour protéger les populations, mais les enfants en situation de rue prétendent être en marge de la campagne de protection contre le coronavirus.

Edouard Koala passe toute sa journée à errer dans la ville de Ouagadougou. De maquis en gargotes, ils n’hésitent pas à se frotter aux inconnus et à fouiller dans les restes des plats pour survivre. Depuis l’avènement du coronavirus, sa vie a changé. De la méfiance à son égard, refus de lui tendre des pièces d’argent…il est désormais considéré comme une source de propagation du virus et craint comme une peste par ses ex- bienfaiteurs. A la date du 24 juin 2021, le Burkina comptait 13 477 cas confirmés.

Depuis la détection du « virus de Wuhan » au « pays des Hommes intègres », le 9 mars 2020, une panoplie de mesures ont été prises pour freiner la propagation de la maladie au sein des populations. Ce sont, entre autres, la fermeture des frontières terrestres et aériennes, des distributions de masques et de gels hydroalcooliques à certaines couches vulnérables, des séances de sensibilisation…

« Mais personne ne songe à nous, les enfants de la rue», déplore Edouard Koala. Il dit n’avoir jamais reçu de masques de protection. Le gel hydroalcoolique, il n’en connait pas l’odeur. Au quartier Hamdallaye dans le secteur 8 de Ouagadougou, plusieurs enfants en situation de rue comme lui se sentent en marge de la lutte contre le coronavirus. Dans leur dortoir sis devant une boutique de fortune, à proximité de la grande mosquée de Hamdallaye, on dénombre une quinzaine d’adolescents. Leur quotidien : sortir
quémander l’aumône, sans protection, malgré les risques de contamination pour finir la journée « entassés » à la belle étoile.

« 200 F CFA pour un masque, c’est une forte somme »

Dans le fief d’Edouard, les gamins se fichent de la distanciation sociale. Se protéger est le dernier de leur souci. Aucun n’est protégé. Boukary Ouédraogo ne compte pas débourser 200 F CFA pour s’acheter un masque ou un gel hydroalcoolique à 1500 F CFA. Acquérir cette « forte » somme pour lui équivaudrait à parcourir difficilement plusieurs dizaines de kilomètres dans la ville de Ouagadougou à compter sur les pièces
de monnaies des bonnes volontés et à se priver de nourriture.

« Débourser 200 FCFA pour se payer un masque, c’est vraiment une forte somme pour nous les enfants de la rue. Nous avons des difficultés pour manger. Nous n’allons pas aussi gaspiller le peu d’argent, que les gens nous donnent pour nous acheter des masques ou des gels », clarifie-t-il. S’offrir un masque est un luxe que ne peuvent se payer des milliers

La responsable du CASEMAR, Rejane Kologo : « les enfants de la rue sont abandonnés à leur sort ».

d’enfants de la rue. Se doter d’un cache-nez est le dernier souci de Djibril Diallo. Venu de Sapouy, une commune située à une centaine de Km de Ouagadougou, à la recherche d’un bien-être, il a vite déchanté. Les difficiles conditions de vie, l’ont contraint à grossir le nombre des enfants de la rue de la capitale.

Depuis le début de la pandémie, il n’a eu qu’un seul cache-nez que lui a offert le Samu social dans le cadre de ses maraudes et campagnes de sensibilisation contre la COVID-19. Même s’il dit redouter la maladie qui a déjà fait 168 morts (ndlr, à la date du 24 juin 2021) au Burkina, des questions lui taraudent l’esprit : « dans les messages de sensibilisations, on parle de protéger les couches vulnérables. Nous, qui nous protègent ? Ne faisons-nous pas partie des couches vulnérables ? ».

Dans leurs différents Quartiers généraux (QG), sis à la gare routière Ouagarinter, au stade du 4-Août, au marché de Pissy, à Hamdallaye, au marché de Mankoudougou, à la Gare de l’Est…ce sont des questions qui reviennent régulièrement sur leurs lèvres. « L’Etat, les ONG…se sont mobilisés pour protéger la population. Mais, personne ne parle de nous. En aucun moment, nous n’avons même pas été cités dans un message de sensibilisation », se plaint le jeune Djibril.

« Seul le poison peut me tuer »

Rencontré dans son « ghetto » devant la cité chinoise de Gounghin au secteur 7 de la capitale, Jules Roland reconnaît avoir reçu deux masques d’un bon samaritain. Mais, à cause des larcins au sein de sa bande, ils se sont « volatilisés ». « Entre nous, nous nous volons les biens. Lorsque tu dors, à ton réveil, tu constates que tes objets ont disparu. Depuis, la perte de mes cache-nez, je n’ai plus jamais cherché à m’en procurer. D’ailleurs qui va me l’offrir », s’interroge Roland qui traine dans la rue depuis l’âge de 9 ans.

Sous l’effet des stupéfiants, ce jeune, qui totalise 14 ans dans la rue, ne tient pas sur ses jambes. Mais il est convaincu d’une chose :
« Mon sang est incompatible à la maladie. Seul le poison peut me tuer. C’est Dieu qui protège les enfants de la rue contre le coronavirus ». Les perceptions de la maladie divergent au sein des enfants de la rue. Si certains pensent qu’ils sont immunisés naturellement contre la COVID-19, d’autres pensent que la maladie n’existe pas. « Je ne crois même pas à la maladie. Nous, les enfants de la rue, avions survécu à la grippe aviaire, au choléra…ces maladies sont pires que le coronavirus qui d’ailleurs n’existe même pas. Je n’ai pas porté de cache-nez, parce que je crois que la maladie est terminée et c’est pourquoi, personne ne m’en a offert », lance Roland en s’éclipsant.

A Bobo-Dioulasso, c’est aussi la perception de certains enfants en situation de rue « logés », à proximité de la gare Sitarail, l’abattoir, au vidéo club, à Diarradougou…Amad Barry, 11 ans, a quitté Léo et ses parents pour rallier la capitale économique, pour se « chercher ». Sans famille, depuis lors, il erre dans les rues à la recherche de pitance. Dans sa bande constituée de plus de 20 enfants, aucun ne possède de masque de protection. Même s’il dit reconnaître que le coronavirus existe, il n’a jamais possédé aussi de cache-nez ni touché à un gel hydroalcoolique. « C’est Dieu qui me protège. Donc, je ne peux pas avoir la maladie. Le coronavirus, c’est une maladie des riches et qui ne tuent seulement que les riches», affirme-t-il tout sourire.

« On ne pense pas aux enfants de la rue…»

Dans les rues, les enfants errent sans protection.

A Bobo-Dioulasso, l’association « Tié », qui signifie « présence » en langue Bobo, a fait de la protection des enfants en situation de rue son cheval de bataille. Dès le premier mois de la découverte du virus au Burkina, elle a initié des campagnes de distributions de masques, des sensibilisations contre la COVID-19, installer des kits de lavage de mains sur 26 sites abritant les enfants en situation de rue.

« On parle de coronavirus, on distribue des cache-nez, mais on ne pense pas aux enfants de la rue », affirme le coordonnateur de l’association Tié, Lassina Konaté. Or, pour lui, ils sont vulnérables et ils méritent d’être protégés comme les autres citoyens.
« Nous avons distribué une centaine de masques seulement. C’était insuffisant, car le nombre d’enfants de la rue est très élevé. N’ayant pas les moyens de leur donner à tous, nous avons privilégié ceux qui sont plus vulnérables, c’est-à-dire les malades, les sans abris…», regrette-t-il.

Faute de moyens pour leur fournir à tous des masques, M. Konaté s’évertue à les convaincre dans leurs différents « QG » que le coronavirus existe bel et bien et la seule manière pour l’éviter, c’est de se protéger en respectant les mesures- barrières surtout la distanciation physique. « Cela pose aussi problème. Puisqu’ils dorment ensemble. Si quelqu’un est contaminé, il peut contaminer les autres », est-il convaincu. Dans les écoles, les marchés…des actions sont menées pour protéger les populations, mais pas les enfants de la rue, s’indigne-t-il. Il ajoute : « L’Etat a cousu des cache-nez pour les élèves, mais pas pour les enfants de la rue. Il y a plus de 300 foyers coraniques à Bobo-Dioulasso avec des milliers d’enfants. L’Etat n’a pas pensé à eux aussi.

C’est un public cible qui a été négligé par l’Etat et ils devaient être pris en charge ». Pour lui, l’Etat ne doit pas « marginaliser » cette frange vulnérable de la population qui n’a aucune méthode de protection. C’est l’avis de Rejane Kologo alias « maman café », responsable du Centre d’accueil Casa Esperance Mission refuge (CASEMAR). Installée dans la capitale économique, depuis 17 ans, dit-elle, dans son centre, elle reçoit quotidiennement entre 300 à 580 enfants talibés devenus malgré eux, des enfants de la rue à qui elle offre des vivres, des cours d’alphabétisation, des soins corporel et sanitaire (désinfection de plaies, traitement de diverses maladies).

Elle est « envahie » par près de 200 enfants, venus chercher des masques de protection chez « maman café ». Ces garnements se bousculent, se tapotent dans un brouhaha « infernal ». Ses alertes pour rétablir l’ordre et la discipline n’ont pas d’écho favorable. Agé de 10 ans, Ibrahim Diallo est passé de statut
de talibé à celui d’enfant de la rue. Il mendie principalement dans le quartier Bindougousso, au grand marché de Bobo-Dioulasso. Dans son foyer coranique, il n’a jamais reçu de masque de protection. « Notre maître coranique nous a demandé de payer nous-mêmes des cache-nez pour nous protéger », confie-t-il.

Même si la mendicité lui rapporte 1 000 F CFA par jour, celui qui se considère désormais comme un enfant de la rue ne compte pas débourser ses « maigres » ressources pour une maladie d’ailleurs qu’il ne craint pas. « Je n’aime pas le cache-nez. Même si, on me l’offre, je ne vais pas le porter », affirme le gamin tout en souriant. La raison ? Il ne rajoute rien, avant de se fondre rapidement dans la masse de bambins, un masque offert par « maman café » en main. Avec l’avènement du coronavirus, comment protéger « ces enfants » a toujours été une question qui trouble les nuits de « maman café ».

Alors, elle a confectionné avec ses propres ressources des cache-nez pour les leur distribuer au centre-ville, devant les stations-services, les gargotes…«Le défi pour les protéger est énorme. Ils sont obligés de dormir entassés dans une petite maison. Ils n’ont pas accès à l’eau, aux gels, aux savons…Il faut leur fournir le matériel de protection. Peut-être qu’il y a eu des enfants qui ont contracté la maladie, mais ils ont pu guérir sans qu’on ne le sache. Je pense que c’est Dieu qui leur a donné cette grande résistance face à la maladie », estime-t-elle. Avec la vie qu’ils mènent dans la rue, se mêler aux inconnus, manger les restes des aliments à travers la ville…sans qu’ils ne soient atteints de COVID-19, il y a une main de Dieu sur eux, est-elle convaincue.

Le DR en charge de l’action humanitaire des Hauts-Bassins, Aly Koné, à propos des enfants de la rue : « Les actions de sensibilisations et de communication sont renforcées pour leur éviter la maladie ».

« Pendant la pandémie, des actions pour leur protection n’ont pas été menées. Sincèrement rien n’a été fait pour eux par les autorités », regrette-t-elle. Ce manque d’initiatives pour leur épargner des affres du virus, elle l’impute également aux maîtres coraniques qui, estime-t-elle, les a abandonnés à leur sort. « Les maîtres coraniques se sont désengagés de leur prise en charge. Si vous leur demandez est-ce que leurs maitres leur donnent de l’eau pour se doucher, des gels pour se protéger…ils vous répondront par la négative », s’indigne la responsable du Centre d’accueil Casa Esperance Mission
refuge (CASEMAR).

« Des enfants fragiles qu’il faut protéger »

Pour elle, ces mômes sont des enfants fragiles qu’il faut protéger contre la maladie. Des tentatives pour rencontrer des maîtres coraniques sont restées vaines.
C’est un public-cible pour lequel, il serait difficile de respecter les mesures de
protection, parce que dans la rue, ils sont la cible de tous les dangers, selon l’éducatrice sociale, Stéphanie Ouédraogo. « Dans les interventions de l’Etat face à ce genre de crise, il faut tenir compte de ces enfants, parce qu’ils n’ont pas de parents et dans leur état actuel, ils sont sans géniteurs-protecteurs », soutient-elle.

Selon le recensement de 2016, les Hauts-Bassins comptaient 1700 enfants en situation de rue, indique le Directeur régional (DR) de la femme, de la solidarité nationale et de l’action humanitaire des Hauts- Bassins, Aly Koné. L’opération de retrait des enfants de la rue organisée par son ministère de tutelle en fin décembre 2020, a permis de retirer 370 des rues de la capitale économique. Pour protéger les enfants en situation de rue contre la COVID-19, explique-t-il, des sorties sont organisées régulièrement par les services de l’action sociale. Lors de ces sorties de sensibilisations sur leurs sites, des masques sont dispatchés aux enfants, soutient M. Koné.

« Avant, cela, nous leur demandons s’ils connaissent la maladie. S’ils ne la connaissent pas, nous leur expliquons ce que c’est, ses conséquences et comment se protéger », précise le directeur régional en charge de l’action humanitaire des Hauts-Bassins. « Nous leur demandons de faire beaucoup attention. Certains croient à l’existence de la maladie. D’autres avec la spéculation disent que c’est la toux…qu’ils n’ont jamais vu de malades de la COVID-19 au Burkina. Donc, ils ne croient pas. Même si des cas n’ont pas été détectés parmi eux, les actions de sensibilisations et de communication sont renforcées pour leur éviter la maladie » confie M. Koné.

Avec les maîtres coraniques, explique M. Koné, l’accent est mis sur la sensibilisation et leur formation pour éviter la maladie aux talibés. Pour les enfants de la rue qui estiment que l’Etat ne fait rien pour leur protection, Aly Koné répond : « peut-être que ce sont des enfants avec qui nous n’avons pas encore eu de contact. Ils ont l’impression que personne ne vient vers eux. La grosse difficulté, nous ne pouvons pas avoir accès à certains enfants. C’est aussi la triste réalité ».

Abdel Aziz NABALOUM
emirathe@yahoo.fr


A quand leur dose d’Astra zeneca ?

Le 30 mai 2021, le Burkina recevait dans le cadre du mécanisme Covax, 115 200 doses du vaccin Astra zeneca. Les personnes prioritaires pour recevoir le vaccin sont le personnel des Nations unies, les forces de défense et de sécurité, les agents de santé… Malheureusement, les enfants en situation de rue, tout aussi vulnérables, ne figurent manifestement pas sur la liste. Même s’ils sont en « marge » de la société, ils doivent aussi être pris en compte dans le programme de vaccination contre la COVID-19, qui a déjà causé plus de 100 morts au « pays des Hommes intègres ».

A.A.N

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