Mauvaises pratiques de pêche à Loumbila : Un danger pour les ressources halieutiques

Selon le pêcheur Yacouba Guiblewéogo….

L’utilisation de filets de pêche non autorisés, la battue des eaux, le maraîchage, le non-respect des frayeurs sont des pratiques non règlementaires utilisées dans les eaux du barrage de Loumbila et sur ses berges. Ces violations menacent les ressources halieutiques de ce plan d’eau d’avant-indépendance. Constat avec des acteurs qui crient au sauvetage du barrage et de ses ressources.

Le poisson se raréfie dans les eaux du barrage de Loumbila situé à un jet de pierre de la capitale burkinabè. Les pêcheurs s’en inquiètent. « Dans le temps, notre barrage était le plus poissonneux du pays. Il y a encore quinze ans, nous utilisons des filets de mailles de 15 cm et malgré cette largeur des mailles, nous arrivons à prendre de gros poissons. A l’époque, j’ai une fois capturé deux capitaines de 60 kg et de 70kg en une matinée. Aujourd’hui avec les mailles de 10 cm, nous ne pouvons rien pêcher, tellement le barrage manque de gros poissons », se souvient amèrement le président des pêcheurs de Loumbila, Mady Ilboudo.

Autrefois, Loumbila était l’une des localités pourvoyeuse de la capitale Ouagadougou en poissons frais. Plus de 70 ans après la réalisation de ce barrage, le tarissement des ressources halieutiques n’est pas une vue de l’esprit !
Yacouba Guiblewéogo, un pêcheur de longues années, a ramé en cette matinée de janvier 2021 sur le plan d’eau, dans sa partie Est, sans une grosse prise. Depuis 7 heures, il a fait le tour de ses filets de pêche étalés sur plus de 200 m et placés la veille. Après plus d’une heure et demie de séjour dans les eaux «froides», la moisson du jour ne semble pas être au rendez-vous des attentes du quinquagénaire. 1,5 kg de petits capitaines cédé à 850 F CFA (1,30€) à une mareyeuse qui attendait sur la digue.

« Voici tout ce que j’ai eu comme poisson, ce matin après tant de temps dans l’eau en cette période de froid », lâche-t-il, les yeux rivés sur sa prise matinale déjà au fond du petit seau en plastique de la vendeuse Zonabo Ouédraogo.
Cette « maigre » prise est loin des grosses captures des années antérieures. « Avant, on ne pesait pas le poisson. On utilisait des paniers, comme instrument de mesure. Nous vendions le panier de poisson à 3000 francs CFA (4,60€ : ndlr) », se remémore-t-il.

Sondé Issa, qui totalise trois décennies de «carrière» dans la pêche se souvient, lui aussi, du bon vieux temps des bonnes «moissons» sur cette pêcherie de Loumbila. « La pêche était rentable mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Avant, nous pouvions avoir 25 kg de poisson par jour. Aujourd’hui, avoir deux kg de poisson relève de la chance. », renchérie-t-il.

La baisse de la production du poisson sur ce barrage colonial n’échappe pas au ministère des Ressources animales et halieutiques. Statistiques à l’appui, le Directeur général des ressources halieutiques, Henri Zerbo, s’inquiète du déclin des indicateurs. « La situation s’est dégradée à Loumbila mais curieusement, il y a toujours quelques gros poissons. Aujourd’hui, on y trouve encore des capitaines de 15 à 20 kg, alors que dans le temps, on avait des capitaines de 50 kg et plus », fait-il savoir.

A cela s’ajoutent certaines espèces, comme le Heterotis niloticus (Rakako en mooré et Faanan en dioula), qui deviennent de plus en plus rares.

La battue des eaux

…. l’utilisation des filets de pêches non autorisés est une réalité sur le barrage de Loumbila.

Les vendeuses et transformatrices de poissons sont des témoins quotidiens, impuissants, de la raréfaction des ressources halieutiques sur cette pêcherie. Nafi Ilboudo et Zonabo Ouédraogo exercent la vente du poisson depuis plusieurs années ; un commerce qui leur rapporte, confient-elles.

Elles y achètent le kg de poisson à 500F CFA, 600F CFA, 700F CFA ou 1000 F CFA qu’elles revendent en ajoutant plus ou moins 20% sur le prix du kg, selon la taille et la nature du poisson. « Quand je commençais, je pouvais avoir entre 5 et 10 kg par jour. Mais aujourd’hui, la pesée s’est faite devant vous, je n’ai eu que 1,5 kg », déplore cette dame de 37 ans, Zonabo Ouédraogo. Elle dit ignorer les raisons de cette diminution continue des quantités de poissons qui sortent du barrage.

« Nous ne savons pas pourquoi les quantités baissent, seuls les pêcheurs peuvent répondre à cette question », avance-t-elle.
Le président Ilboudo et ses camarades, eux, disent connaître la source du mal : les mauvaises pratiques de pêche. Pourtant la règlementation semble connue des pêcheurs. « Les règles de pêche que nous connaissons ici, sont l’interdiction de battre des eaux, de pêcher les petits poissons, l’obligation d’avoir un permis de pêche », cite ce jeune pêcheur de 36 ans, Idrissa Kafando.

« Parmi nous, il y a des gens qui ont des mauvaises pratiques de pêche que nos parents et grands-parents n’ont jamais faites sur le barrage. Ils battent les eaux pour pêcher », relate tout furieux M. Ilboudo, du haut de ses 64 ans. Pour lui, ce sont les mêmes personnes qui ne prennent pas des permis de pêche qui ne respectent pas les zones de reproduction du poisson appelés frayeurs et qui se trouvent au niveau des flancs d’eau, car ils battent les eaux à tous les niveaux.

Outre la battue des eaux, l’utilisation des filets de pêches, dont les mailles sont inférieures à ce qu’exige la règlementation, à savoir supérieures ou égales à 3cm, semble être une pratique courante. « Nos prises diminuent de jour en jour, d’année en année, à cause de nos mauvaises pratiques de pêche. Par exemple, nous utilisons des filets de pêche interdits par la loi », confesse, M. Guiblewéogo, faisant son mea culpa. « Une fois, j’ai utilisé un filet moustiquaire. Ce jour, j’ai pris une quantité énorme d’alevins. J’étais très découragé parce que j’ai commis des dégâts. Le même jour, j’ai détruit ce filet. Si nous ne faisons pas attention, il arrivera un moment où nous ne pourrions même pas pêcher un seul poison dans ce barrage », prévient-il, en secouant la tête.

Les violations répétées des normes préoccupent le président des pêcheurs de Loumbila. A l’entendre, ces pratiques ne garantissent pas la durabilité des ressources halieutiques et ne profitent à personne. Elles ne permettent pas aux poissons de se reproduire, de se développer et de peupler le barrage.

Une question d’intérêt général

Pour le pêcheur Sondé, la préservation des ressources halieutiques ne doit pas être seulement l’affaire de ceux qui tirent des revenus de cette activité. Elle est une question

Le DG des ressources halieutiques, Henri Zerbo : « Il faut une appropriation locale des enjeux liés à la pêche, à la gestion durable des ressources halieutiques ».

d’intérêt général. « La pêche participe à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population. Sans celle-ci, beaucoup de ménages vont mal se nourrir », argumente-t-il. Entre pêcheurs, il est difficile de faire plier ceux qui transgressent les règles. Les efforts de sensibilisation n’ont jusque-là pas produit les effets escomptés.

« Nous sommes allés dans le village de ceux qui s’adonnent aux mauvaises pratiques pour les interpeller devant leur chef sur la nécessité de se départir de la battue des eaux du barrage comme technique de pêche », témoigne Mady Ilboudo.
En mai 2020, Loumbila a frôlé le pire. Un conflit sanglant a été évité de justesse dans les environs du plan d’eau, entre ceux qui enfreignent aux règles et ceux qui veulent y mettre un terme, lors d’une réunion sur le sujet. L’intervention des sages a empêché que l’irréparable se produise, confie M. Ilboudo. Pour ceux qui prônent la promotion des bonnes pratiques, la persistance des atteintes à la règlementation est due à l’absence de contrôles et de sanctions de la part des autorités compétentes.

Ils soutiennent avoir interpellé à maintes reprises les services des eaux et forêts qui ne seraient jamais venus les aider à sauver les ressources bioaquatiques du barrage, malgré les multiples promesses. « Je n’ai jamais été informé d’une telle situation. S’ils posent leurs problèmes au niveau local sans solution, ils peuvent saisir la direction provinciale ou régionale », retorque l’inspecteur des eaux et forêts et Directeur régional de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique du Plateau central, Mitimanegda Louis Ouédraogo. Mais, sans occulter les contraintes financières et logistiques qui constituent un véritable frein aux opérations de contrôles réguliers sur le terrain et au suivi écologique des plans d’eau.

Il déplore que les 100 mètres de servitude pour la protection des berges du barrage ne soient pas respectés par les maraîchers. Le maraîchage sur les berges, avec l’utilisation des engrais chimiques, explique-t-il, en plus de provoquer l’ensablement du barrage et la pollution des eaux, entraînent un phénomène d’eutrophisation, c’est-à-dire un envahissement des plans d’eau par des plantes aquatiques qui ont un impact négatif sur les ressources halieutiques.

L’inspecteur Ouédraogo invite chaque acteur à être artisan du respect de la règlementation relative à l’exploitation des plans d’eau. Car, quelle que soit leur bonne volonté, les forestiers ou la police de l’eau ne peuvent pas effectuer quotidiennement des contrôles. Pour le Directeur de la pêche, Philipe Sawadogo, les insuffisances au niveau du contrôle résulte d’une faiblesse institutionnelle. « Selon la loi, les agents assermentés des eaux et forêts sont chargés de faire respecter la règlementation en matière de pêche. Nous, en tant que département en charge des ressources halieutiques, n’avons pas l’initiative du contrôle », souligne-t-il. Sans oublier que les ressources en eau, relèvent de la compétence d’un autre département, le ministère de l’Eau et de l’Assainissement.

Face à l’inaction des autorités et des forces de l’ordre, pour le pêcheur Guiblewéogo, la seule solution est celle de poursuivre la sensibilisation des acteurs locaux et de porter le problème au niveau national. « Nous comptons sur vous les journalistes pour relayer nos préoccupations aux autorités gouvernementales afin qu’elles nous aident à sauver notre barrage », soupire le quinquagénaire.

« Il faut une appropriation locale des enjeux… »

Selon le directeur de la pêche, Philipe Sawadogo, les fermetures temporaires des pêcheries et la réalisation des échelles à poissons peuvent contribuer à la durabilité des ressources halieutiques.

Au-delà, les transgressions des normes de pêche s’expliquent par la pauvreté et l’existence d’un marché où la demande en poisson, de petite ou grande taille, est forte, argumente M. Zerbo, le Directeur général des ressources halieutiques. Entre les années 1990 et 2010, la consommation du poisson par habitant et par an au Burkina Faso est passé de 1,2 kg à 3,5 Kg, pour atteindre 7 kg aujourd’hui. Et ce, bien que la population ait plus que doublé, précise-t-il. Le pays des Hommes intègres importe 80% de sa consommation de poissons, selon la Direction des ressources halieutiques.

La solution pour une préservation des ressources halieutiques et en eau passe, selon M. Zerbo, par une prise de conscience des premiers acteurs. « Il faut une appropriation locale des enjeux liés à la pêche, à la gestion durable des ressources halieutiques », martèle-t-il. Cela pourrait se faire à travers l’organisation des acteurs, leur implication effective, y compris les collectivités locales, dans les actions de développement de la pêche, indique le Chef de service pêche à la direction régionale des ressources animales et halieutiques du Plateau central, Pierre Ouédraogo.

Sans cette responsabilisation à l’échelon local, toutes les batteries de mesures règlementaires ou communautaires resteront lettres mortes, insiste-t-il. Pour le jeune pêcheur, Idrissa Kafando, la reconversion des jeunes pêcheurs dans d’autres activités génératrices de revenus, à travers l’accompagnement des pouvoirs publics, peut aider à réduire la surexploitation des ressources du barrage de Loumbila. « Quand nous étions petits, il y avait environ cinq pirogues de pêche sur le barrage.

Aujourd’hui, on en dénombre plus de 200 », s’alarme-t-il. La promotion de la pisciculture, les fermetures temporaires qui offrent aux poissons une période de repos biologique, la délimitation et la protection des zones de reproduction sur les plans d’eau, constituent des alternatives pour le renouvèlement des ressources halieutiques, selon M. Sawadogo, Directeur de la pêche.

A cela s’ajoute la réalisation des échelles à poissons ou des canaux de contournement sur les barrages, à l’effet de permettre aux poissons qui quittent la vague de remonter en amont et vice-versa, de migrer et de peupler l’ensemble du plan d’eau. Les deux milliards F CFA d’allocations budgétaires moyennes de ces cinq dernières années, alimentées en majorité par les financements des projets, semblent insuffisants pour relever les nombreux défis du sous-secteur. La gestion durable des ressources halieutiques demande d’importants financements, clame-t-on du côté du ministère en charge de ces ressources.

Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com


Le barrage de Loumbila en chiffres

Avec une superficie de 1500 hectares et une capacité de 42,2 millions de m3, le barrage hydraulique de Loumbila a été réalisé en 1947, initialement pour approvisionner la capitale en eau potable. Par la suite, des activités de pêche s’y sont développées, au point que Loumbila était devenu l’une des localités pourvoyeuse de la capitale en poissons frais. En 2020, la production de poissons sur cet ouvrage hydraulique est estimée à 125 tonnes, contre 234 tonnes pour la région du Plateau central. En 2019, la production nationale de poissons est de 28 365 tonnes, estimée à environ 3 milliards FCFA. En 2020, le nombre de pêcheurs sur ce plan d’eau est estimé à 100 sur les 290 que compte la région. Au cours de la même année, 50 permis de pêche ont été délivrés aux pêcheurs sur ce barrage contre 179 à l’échelle régionale.

M.S
Source : MRAH


« Si nos préoccupations ne trouvent pas solutions… »

En attendant que les pêcheurs sortent des eaux, nous procédons à quelques prises de vue. Une voix, venue du groupe de pêcheurs sur la digue, nous interpelle. « Ne filmez pas les planches des maraîchers. Vous êtes venus pour parler pêche et non de maraîchage. Il ne faut pas nous créer des problèmes », nous lance Issa Sondé. A la fin de notre reportage, au moment où nous rangeons téléphones, tablettes, M. Sondé, très prolixe, revient à la charge. « Ce n’est pas fini, j’ai une dernière chose à vous dire ! Chaque année, vous venez nous poser des questions et enregistrez nos propos, vous prenez des images, mais les problèmes que nous soulevons restent intacts. Si cette fois-ci nos préoccupations ne trouvent pas de solutions, la prochaine fois que vous mettriez les pieds ici, nous allons vous chasser. Il faut donc que les problèmes de notre barrage parviennent à Roch (NDLR : du nom du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré) », nous avertit-il, tout souriant.

M.S

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