Professeur Franklin Nyamsi : « Le Burkina, le Mali et le Niger sont les trois étoiles polaires de la Révolution africaine du 21e siècle »

Présent à Ouagadougou dans le cadre de la 14e édition des Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO), le Professeur Franklin Nyamsi, au détour d’une interview avec Sidwaya, jeudi 2 octobre 2025, s’est prononcé sur les grands enjeux de la géopolitique mondiale, notamment la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES).

Sidwaya (S) : Vous êtes au Burkina Faso dans le cadre de la 14e édition des UACO. Déjà, comment appréciez-vous votre séjour à Ouagadougou, surtout que nos pays sont peints en rouge par certaines chancelleries ?

Franklin Nyamsi (F.N) : Pour moi, le Burkina, le Mali et le Niger sont les trois étoiles polaires de la Révolution africaine du 21e siècle. Je fais partie de ces intellectuels, militants et activistes panafricanistes qui ont refusé, depuis très longtemps, que l’image de l’Afrique soit construite par les ennemis de l’Afrique et imposée aux populations africaines.  Donc, l’opinion que les puissances et les médias impérialistes, néocolonialistes ou même despotiques peuvent avoir sur le Burkina Faso n’influence pas mon opinion. Ma conviction est que, dans ce pays, le triple processus de la souveraineté, de la liberté de choix du partenariat stratégique et de la défense des intérêts vitaux qui rassemblent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, dans la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, est essentiel pour nous tous. Donc, j’éprouve joie, fierté et reconnaissance pour l’honneur que les plus hautes autorités de ce pays qui m’ont fait venir participer aux UACO 2025.

S : Cette édition des UACO se tient sous le thème : « Influence du contexte géopolitique sur la communication et le développement en Afrique ». Quelle est l’importance de tels échanges pour les pays du Sahel, aujourd’hui engagés dans une lutte pour la souveraineté ?

F.N : En effet, les pays du Sahel sont dans une lutte pour passer à la souveraineté réelle. Pas aux fausses indépendances des années 60. Dans ce processus de lutte que les pays sahéliens sont en train de mener, il n’y a pas que la guerre au sens militaire strict du terme. Il n’y a pas que la guerre au sens économique du terme. Il y a aussi, qu’on a imposé à l’Afrique, et notamment à l’Alliance des États du Sahel, une guerre informationnelle et même une guerre communicationnelle. Si par information, on entend la transmission d’un certain nombre de données sur des événements qui ont dû avoir lieu, et si par communication on entend la volonté de dire une manière de comprendre l’actualité, l’Afrique est investie par les narratifs des néocolonialistes des impérialistes, des narratifs des colonialistes. L’Afrique est investie par les narratifs des dictateurs, par les valets locaux de la France-Afrique, de l’impérialisme occidental, du néocolonialisme français. Et, il y a un troisième groupe de stratégie de communication et d’information. C’est la révolution communicationnelle et informationnelle panafricaine au service de la libération de notre continent. Donc, je suis venu aux UACO pour montrer qu’il était important pour nous de prendre conscience de cette guerre informationnelle et communicationnelle et d’être à la hauteur en déconstruisant les narratifs méprisants du néocolonialisme, lénifiants du despotisme, pour affirmer le narratif émancipatoire du panafricanisme qui se décline au Burkina Faso, sous le nom de Révolution populaire progressiste.

S :   Alors déjà, comment vous appréciez les échanges lors des différents panels ?

F.N : Les échanges auxquels j’ai participé et assisté sont des échanges francs, profonds, dynamiques et dialectiques. C’est-à-dire que dans le cadre des UACO 2025, auxquelles je participe, j’ai observé que la parole est libérée, mais elle est une parole pensée, argumentative, pas simplement une parole émotionnelle ou une parole spontanée. Par ailleurs, quel est le but de tout ça ? C’est de faire prendre conscience que pour aller vers la souveraineté, nous devons maîtriser l’information et la communication. Il n’y a pas que la maîtrise du terrain militaire, du terrain économique, ou même du terrain institutionnel et politique. Il nous faut réussir à être les maîtres de ce qui passe dans notre mental. Celui qui contrôle vos pensées, va contrôler votre terre, votre argent et votre avenir. Donc, les professionnels de l’information, de la communication, tous les acteurs de la parole, que ce soit les journalistes institutionnels, les journalistes privés, les influenceurs, les activistes, les militants, tous ceux qui prennent la parole et qui sont authentiquement des filles et fils de l’Afrique, doivent prendre conscience que nous avons une responsabilité dans cette bataille de la souveraineté : celle de ne pas laisser dicter le narratif, la description de notre situation historique par des forces et des médias hostiles, qui sont les médias impérialistes occidentaux, moyen-orientaux et leurs supplétifs sur notre continent. J’ai assisté à des échanges de très bonne qualité. Il y a eu deux débats qui m’ont marqué pendant ces UACO.  Le premier débat, c’est qu’à un moment donné, il y a comme une espèce de concurrence qui apparaît entre, d’un côté les journalistes et de l’autre côté les influenceurs. Et, il y aurait une tendance à vouloir arbitrer en faveur des uns contre les autres. Alors qu’en réalité, que vous soyez journaliste ou influenceur, tant que vous êtes Burkinabè, tant que vous êtes Africain, vous avez la responsabilité de pratiquer une information utile à la souveraineté, à la dignité, à la prospérité de votre pays. Dans les autres continents, l’Europe où je vis depuis plus de 25 ans maintenant, l’Amérique que je visite depuis plus de 15 ans, l’Asie que je connais, les influenceurs comme les journalistes ont une conscience souvent très élevée des intérêts supérieurs de leurs Nations. Et quelles que soient leurs prestations sur le terrain de l’information ou de la communication, ils en tiennent compte.

Le deuxième débat, c’était : est-ce qu’il faut faciliter la participation de tous aux activités communicationnelles ou informationnelles, au nom du principe de la liberté d’entreprise, de la libre concurrence ? Là encore, j’ai bien vu que tout le monde s’accorde à dire qu’il faut encadrer la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de conscience parce qu’en fait, nous ne sommes pas dans la situation des pays occidentaux qui ont fait leur Révolution. Nous sommes en train de faire la nôtre et nous ne pouvons pas nous permettre les imprudences qui pourraient remettre en cause notre révolution, nous ramener en arrière uniquement parce que nous voulons satisfaire le fantasme d’une liberté de dire n’importe quoi au nom de la liberté de conscience ou d’expression.

Vraiment, ce sont des débats francs qui se déroulent entre des enseignants-chercheurs, des journalistes, des activistes. Mais ces débats se déroulent sur le même plan de l’horizontalité du discours discursif. Je salue les autorités du Burkina Faso pour avoir garanti un tel espace de réflexion et je crois que les recommandations qui vont sortir de ces échanges seront absolument importantes pour la suite de notre entretien.

S : Le Burkina, le Mali et le Niger ont créé la Confédération AES. Comment appréciez-vous les deux ans d’existence de cette confédération ?

  1. N: Tous les Africains honnêtes, conscients, serviteurs de la vérité et de la justice sont fiers de l’émergence de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Je ne me laisse même pas impressionner par les résultats du dernier sondage de Jeune Afrique dont on a parlé, un sondage qui établit que la majorité des Africains sur le continent et dans les diasporas plébiscitent et soutiennent l’AES, dénoncent et même détestent l’Union Africaine, la CEDEAO, la CEMAC et toutes ces organisations brinquebalantes qui sont sous le contrôle des néocolonialistes, des impérialistes occidentaux. Incontestablement, l’Alliance des Etats du Sahel est une puissance qui touche le cœur des Africains. Maintenant, sur le plan concret, on voit ce qu’ils ont réalisé. Souvenez-vous que cette Alliance est née lorsque les impérialistes, instrumentalisant la CEDEAO, en 2023, se préparaient à attaquer le Niger sur le même modèle qu’ils avaient utilisé contre la Libye. Et, c’est parce que le Mali et le Burkina Faso se sont levés pour dire : « Si vous attaquez le Niger, vous déclarez la guerre au Mali et au Burkina Faso ». Et, tous les chefs d’États de la CEDEAO qui obéissent aux néocolonialistes français, aux impérialistes occidentaux ont reculé. Donc l’AES s’est constituée en forteresse, grande muraille de l’Afrique subsaharienne.

Sur le terrain militaire, les terroristes n’ont jamais autant souffert que depuis que l’Alliance des États du Sahel existe. Et, en deuxième niveau, l’AES est porteuse d’un très grand espoir. Un très grand espoir, c’est la sortie de la domination monétaire et économique, du néocolonialisme français et de l’impérialisme occidental, l’abolition de l’abominable monnaie et du franc CFA. Les Africains retiennent leur souffle. Ce tentacule qui pompe les richesses des Africains comme on pompe le sang des mammifères va-t-elle enfin s’effondrer ?  Et, l’AES, à travers la création de la Banque d’investissements, a marqué un très grand pas qui indique qu’en effet nous allons vers un temps nouveau. Il y a un troisième terrain, la diplomatie.  Qui n’est pas fier de voir ce que les trois premiers ministres de l’AES ont fait à l’ONU ? Le Premier ministre, Ali Mahamad Lamine Zeid du Niger, le Premier ministre du Burkina, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, le Premier ministre du Mali, Abdoulaye Maïga. Suivez leurs allocutions. Leurs allocutions à l’Assemblée générale des Nations Unies pour la 80e session sont des monuments de vérités profondes et incontestables dites au nom de l’Afrique. Sur le terrain diplomatique, l’Alliance des Etats du Sahel s’affirme aussi comme une puissance. Enfin, il y a un quatrième terrain que je vois qui est extrêmement important : c’est le terrain symbolique. C’est la réhabilitation des civilisations africaines comme socle d’inspiration des institutions. Ce n’est pas la fameuse métaphore du Président Ibrahim Traoré lors du grand oral, il y a quelques jours, qui me démentirait. Il a parlé de l’avènement d’un albinos noir. Cette symbolique forte tirée de la civilisation africaine a mobilisé entre-temps une immense campagne d’interprétation, une herméneutique, et a même fait trembler les communicants officiels d’un État voisin qui s’est fendu d’un communiquer pour interdire d’évoquer l’albinos noir. C’est-à-dire que les pays de l’Alliance des États du Sahel ont acquis la capacité de frapper les esprits, de les éveiller, et de stimuler l’intelligence des Africains. C’est une chance inouïe.

S : La 80e session de l’AG des Nations unies vient de s’achever avec un appel global pour la réforme de l’organisation par plusieurs pays dont ceux de l’AES. A votre avis, pourquoi faut-il réformer l’ONU ?

F.N : D’abord, parce que l’ONU n’est pas une organisation des peuples. C’est une oligarchie des puissances. Si l’ONU était une organisation des peuples, ce serait one people, one vote. Un peuple, une voix. On a l’ONU qui est conçue d’abord sur la base d’une assemblée générale. Tous les peuples, près de 200 peuples qui participent à l’Organisation des Nations Unies, chacun a une voix. Mais, les décisions qu’ils ont prises au niveau de l’assemblée générale n’ont pas d’autorité exécutoire. Ce sont des décisions purement consultatives. Ensuite, il y a une deuxième structure. Elle est composée de 15 États, représentant donc 15 peuples de la planète, et on l’appelle le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elles, ces décisions, sont exécutoires. Donc, il y a 15 États, 5 qui sont permanents, 10 qui sont rotatifs, qui font les lois exécutoires des Nations Unies. Entre-temps, on a abandonné plus de 160 autres. Mais il y a encore pire. Parmi les 15, il y en a 5 qui possèdent une chose incroyable, que même Dieu ne s’est pas arrogé sur la Terre. C’est le droit de veto. Rendez-vous compte que Dieu, dans toutes les trois religions monothéistes, ne réussit pas à empêcher l’homme qui veut pêcher de pêcher. Quand un homme veut pêcher, il pêche d’abord, Dieu le punit après. Alors que là, il y a des gens qui détiennent le droit de veto. C’est-à-dire que quelle que soit la décision qu’on prend, qui ne leur plaît pas, ils la bloquent. Ce sont les États-Unis, la France, la Russie, la Chine et la Grande-Bretagne. Et, les seules puissances détenant le droit de veto et qui sont prêtes à accepter que l’Afrique possède le droit de veto se trouvent, comme par hasard, être celles qui ont soutenu l’Afrique dans la lutte anticoloniale, à savoir la fédération de Russie et la Chine. Les autres qui ont esclavagisé les Africains, colonisés les Africains, impérialisés les Africains, commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des massacres, des génocides, des déportations, un pillage multiséculaire. Eux, ils refusent que l’Afrique ait un droit de veto dans l’Organisation des Nations Unies. Est-ce qu’on peut continuer comme ça ? On ne peut pas continuer dans une organisation qui est en fait une oligarchie des puissances, alors que nous sommes des peuples qui composent la même humanité. Nous sommes, à la base, égaux en nature et devant Dieu.  Donc, l’Alliance des États du Sahel s’annonce comme la prochaine et la plus grande puissance africaine de ce siècle. Quand elle deviendra une fédération, je n’ai aucun doute qu’elle sera la première puissance africaine à détenir le droit de veto à l’ONU. Et si cela n’était pas le cas, l’Alliance des États du Sahel et d’autres alliances qui apparaîtront, je pense toujours à mon Afrique centrale natale. Si une alliance des peuples d’Afrique centrale émerge sur le modèle de l’AES, ensemble, nous revendiquerons le droit de veto au niveau de l’Organisation des Nations Unies. Et si c’est refusé, nous créons une organisation internationale parallèle avec des droits comparables. Et il ne faut pas croire qu’il n’est pas possible de quitter l’ONU. S’il est possible de quitter la CEDEAO, il est possible de quitter l’Union africaine. S’il est possible de quitter la CEDEAO et l’Union africaine, il est possible de quitter l’ONU. Le général de Gaulle, dans les années 60, avait prévenu tout le monde. Il a dit que l’ONU était un grand machin. Alors, même que la France y a des avantages, qu’elle ne mérite plus aujourd’hui. Donc, préparons-nous à revendiquer crânement nos droits. La liberté ne s’accorde pas, elle ne se reçoit pas, elle s’arrache.

S : Alors, quel appel avez-vous à lancer aux populations de cette Confédération en vue de permettre aux trois chefs d’État de réussir leur mission ?

F.N : Je leur lance un appel triple. Premièrement, faisons une politique de la vérité. Disons-nous, entre Africains, la vérité. Parce que rien de grand ne peut se construire sur le mensonge. Nous devons être des serviteurs de la vérité. Parce que c’est cette vérité qui va nous rendre capables de maîtriser la réalité, y compris à travers le progrès scientifique et technologique.Deuxième message, nous ne pouvons pas contourner l’obligation d’être juste. Soyons des serviteurs de justice. La justice, c’est la pratique de l’égalité qui assure la paix dans la cité. Les cités injustes sont vouées à la violence. Car tôt ou tard, les victimes des inégalités se révoltent, quelle que soit la société considérée. Nous devons donc devenir des véritables amoureux de la justice.Et, enfin, il y a un troisième message que j’adresse, pas seulement au peuple de l’AES, mais à l’ensemble des Africains. Nous avons bien vérifié que quand nous sommes solidaires, personne ne peut nous dominer. Soyons solidaires. Quand un combat est mené par un peuple, quand un combat est mené par un individu, un combat qui nous paraît vrai et juste. Nous, Africains, agissons comme un seul homme, appliquons l’une des sept lois cosmiques, la loi d’action-réaction. Les peuples les plus respectés du monde sont ceux qui agissent selon le principe de solidarité quand leur vérité et leur justice sont en cause.

Interview réalisée par

Soumaïla BONKOUNGOU

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