Vérité, vérité, va-t’en !

Tu veux dire la vérité dans ce pays ? A qui ? Pourquoi ? Non, laisse tomber, empoche ta langue et circule, sans scrupule et ne soit pas ridicule. Regarde autour de toi, même les lois ne sont pas toutes de bon aloi, la foi n’a plus de poids, peu importe la taille de ta croix, la vérité n’est pas bonne à dire.

Elle a toujours un arrière-goût amer et je prends à témoin la termitière des cimetières. Les téméraires qui se sont bousculés aux portes de la vérité ont rencontré la fatalité comme finalité et ont fini dans le précipice. Ici-bas, la vérité est un totem mortel, pire, un blasphème suprême ; c’est même un tabou et il faut éviter de trop tirer sur les bouts quand ça bout. Rien ne vient à bout de la vérité, c’est vrai, mais le véridique finit toujours au bout de la vérité. Il est très souvent traité d’éthylique et d’hérétique et se retrouve sur un cric, sans brique ni fric. Ah, tu ne peux pas tourner autour du pot ? Fais attention à ta peau ! La maison de l’homme de vérité est en banco, sa demeure est un tombeau parfois creusé à la sauvette. Attention ô sublime homme de vérité, tes vérités feront de toi un sinistré ! Sur les pages noires de l’histoire, il y a trop de sang versé sur l’autel du mensonge. Ecoute et crois-moi, la vérité ronge le cœur, mais étouffe, tue ta vérité en toi et dit au roi qu’il est le plus fort et qu’il n’a jamais tort. Tu auras la combinaison des coffres-forts en or du trésor.

A quoi ça sert donc de dire la vérité et dormir le ventre creux, pendant que les autres mentent et mangent ? A quoi ça sert de donner sa poitrine pour prendre la balle réelle pour une vérité sans finalité ? Et pour qui diantre, te sacrifies-tu sur l’autel de la vérité ? Non, le vrai a des frais, il fait toujours les frais de ses méfaits et c’est tant pis pour le porteur de faix que tu es. Après le forfait, on t’accompagnera au son de l’hymne nationale, drapé des couleurs nationales dans ton dernier trou, six pieds sous terre. On t’élèvera au rang de demi-dieu de la Nation sous le regard imbibé de ta veuve et de tes orphelins. Mais sous cape, on rira de ta perte. On dira que c’est bien fait pour toi ! Mets un trait sur le vrai et reste aux frais en paix, sans scrupule !

Parce que ceux pour qui tu te bats et te sacrifies feront fi de ta mémoire pour aller souper au manoir et boire à la coupe de ton bourreau. Ta seule reconnaissance sera ton effigie sans vie sur des pancartes en papier et sur le torse nu d’une jeunesse en détresse. Ils t’appelleront « le combattant de la liberté », « le défenseur de l’orphelin et de la veuve ». Ta femme et tes enfants raseront les murs saupoudrés des moulins vides, sans pain. Des profondeurs de ta tombe, tu les regarderas sans pouvoir bouger le petit os du doigt mort. Ils se mobiliseront tous derrière ta cause. Mais attention, ils feront vite marche arrière, dès qu’ils ont gain de cause au bas d’un perchoir, sur un strapontin ou pour un maroquin. Ton tragique destin changera le destin du mesquin copain qui te jurait sa fidélité à ta cause. Mais ne t’en fais pas, tu es simplement mort pour rien, sans rien, pour le bien des autres et le pire des siens. Tant pis pour toi ! Nous avons tous un idéal dans la vie, un combat qui nous cogne de l’intérieur. Nous avons tous un coup franc à donner. Mais le sens de nos combats n’est pas toujours perçu à sa juste valeur par ceux qui nous adulent et nous poussent vers le crépuscule. Il y a trop de minuscules calculs derrière nos émules de tête de mule. Le héros finit toujours par repartir à zéro, en solo et sans lingot. « Les grands hommes ne meurent jamais », dit-on souvent, mais seuls les piètres battants et les lâches vivent de l’héritage du grand, sans vergogne. Alors, si tu rêvais d’être grand par la vérité, reste rabougri, tourne autour du pot et efface-toi.

Face au mur, ne joue pas le dur ; fais des compromis avec l’ennemi et reste en vie ! Si tu fais l’objet de prédation, évite les objections et surtout ne dis jamais non ! Etouffe ton égo facile et sois habile, point de babil ! Passe par la compromission et engrange tes commissions et tu auras une bonne ration à profusion. Ce monde n’a pas besoin de lumière. Ce monde n’a pas besoin de héros ! Le réverbère qui attire les chimères finit par se brûler avec son propre flambeau. C’est beau d’élever le héros au rang des dieux, mais il n’y a rien d’odieux que la chute d’un héraut. Mais peut-on imaginer une cause sans un porte-étendard ? Peut-on vivre sans lutter ? De quel côté de l’histoire es-tu, toi ? De ceux qui se battent à cause d’une cause ou pour une cause ? A tous nos héros morts dans la vérité, je verse l’encre de mes yeux en guise de libation pour étancher votre soif inassouvie pour la vérité. Vérité, vérité, va-t’en !

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

1 COMMENTAIRE

  1. Cher Clément ZONGO

    Après la lecture de votre texte intitulé: « vérité, vérité, va-t’en », je suis resté silencieux pendant de longues minutes au regard de la qualité et de la profondeur de votre écrit. Je me sens tout petit pour vous écrire.

    Je tiens toutefois à vous dire ma joie et vous traduire mes félicitations. Vous avez trouvé les mots justes pour dire les maux ressentis par plusieurs burkinabè. Les contradictions sont si criardes de nos jours, au point où beaucoup s’interrogent sur la nécessité de poursuivre la lutte.

    Heureusement que dans vos belles lettres un souffle d’espoir s’y est caché. Nous devons rester digne malgré et contre tout. « Vérité, vérité, va-t’en ! »

    Samuel KORGO

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