Entrepreneuriat agroécologique: un pourvoyeur d’emplois verts en quête d’accompagnements

….. un segment de l’entrepreneuriat agroécologique.

De plus en plus, des Burkinabè s’investissent dans l’entrepreneuriat agroécologique. Pourvoyeur de richesses, d’emplois verts et de croissance verte, ce sous-secteur émergent regorge d’énormes potentialités. Mais de nombreux facteurs freinent son développement. Malgré tout, dans les périphéries de Ouagadougou et Loumbila, des initiatives agroécologiques forcent l’admiration. Tour d’horizon sur les opportunités et contraintes d’un secteur en quête d’appuis structurels.

Alira Robert Guié est titulaire d’une maitrise en économie. Depuis l’université, il rêvait de travailler dans le secteur agricole. Son diplôme en poche, face aux réalités du marché de l’emploi, il va tenter à quelques reprises les concours de la Fonction publique, mais la chance ne lui sourit pas. Aujourd’hui, grâce à une jeune start-up agroécologique, Bioprotect, spécialisée dans la fabrication de bio intrants, le jeune agroéconomiste a réalisé son rêve.

Depuis environ deux ans, il y est employé comme chargé de projets et de l’organisation des producteurs. « Je me sens très bien dans cette entreprise, aussi bien sur le plan moral que salarial », confie M. Guié. En cette matinée de septembre 2023, le décor et l’ambiance de travail à l’unité de production de bio intrants de Bioprotect dans la banlieue nord de Ouagadougou, traduit le dynamisme de la start-up.

Le chargé de projets à Bioprotect, Robert Guié : « Je me sens très bien dans cette entreprise, aussi bien sur le plan moral que salarial »

Des équipements modestes, des sacs d’engrais bio, des fûts, des bidons de 20 litres, des bio pesticides dans des cartons, entreposés sous les halls … Là, quatre jeunes dames conditionnent de la poudre de neem par kilogramme dans des sachets transparents. Dans l’espace de la cour, des ouvriers, pelles en mains, sont à la tâche autour d’un important tas gris de matière organique en décomposition. « Nous sommes en train de retourner du compost », lâche le chef d’équipe, Eloi Zagré, précédemment employé dans un débit de boissons dans la capitale.

Arsène Wendwaoga Sawadogo, agroéconomiste, est le promoteur de cette jeune start-up agroécologique. L’histoire de Bioprotect, explique-t-il, commence en 2011, à son retour des études supérieures à l’université de Montpellier (France) en stratégie d’entreprises agroalimentaires et en ingénierie économique et financière des projets. Et ce, après deux ans de travail dans une start-up française, spécialisée dans la recherche technologique sur les bio intrants et la fabrication de solutions de protection des cultures à base des micro-organismes.

« J’ai pensé que je pouvais être utile à mon pays, au regard de ce que j’ai appris sur le rôle des micro-organismes pour l’enrichissement des sols et l’amélioration de la capacité des plantes à se défendre contre les maladies. Parce qu’au Burkina Faso, nous avons des terres dégradées, avec une utilisation parfois abusive des intrants chimiques », confie-t-il. Son ambition est de contribuer à inverser cette tendance pour une agriculture durable dans son pays.

Sur toute la chaine de valeurs

Le fondateur de Bioprotect, Arsène Wendwaoga Sawadogo : « l’Etat doit travailler à protéger le marché agroécologique »

Aussitôt rentré au pays, M. Sawadogo lance sa start-up, spécialisée dans la fabrication des engrais et des pesticides bio, à base de matières organiques locales. Malgré les débuts difficiles, l’ancien étudiant de Zogona a foi en son projet. A force d’abnégation, en l’espace de dix ans, l’entreprise tient la route et prend des galons. Créée au départ sous forme d’un Groupement d’intérêt économique (GIE), puis Société à responsabilité limitée (SARL) et Société par actions simplifiées, avant de devenir Société anonyme (S.A) depuis janvier 2023, la jeune start-up est aujourd’hui un complexe agroécologique.

Outre la fabrication de bio intrants agricoles, elle est présente sur quasiment toute la chaine de valeurs agroécologiques : fermes de production de sésame, de tomates, d’oignons, de choux, de betteraves, de fraises, etc., unités de transformation de purée de tomates, de confitures de mangue et de fraises, séchage de curcuma, de gingembre, unité de traitement du sésame ; elle commercialise ses produits certifiés à la norme locale Bio SPG (système participatif de garantie) sous la marque éco-bio sur le marché national, sous régional et européen.

La start-up fait également dans la formation et l’appui-conseils en agriculture biologique, agroécologie et fabrication de bio intrants au profit des producteurs, des ONG et des entreprises. « Chaque année, nous exportons en moyenne 400 tonnes de sésame et entre trois et quatre tonnes de fruits et légumes », confie le promoteur de Bioprotect. Cette production, soutient-il, vient des fermes de l’entreprise, mais aussi de son vaste réseau d’environ 4000 agriculteurs partenaires dans la production biologique, agroécologique ou en transition agroécologique.

« Nous renforçons leurs capacités en agroécologie et agriculture biologique ; ils nous fournissent les matières premières pour la fabrication des bio intrants. Ils utilisent nos bio intrants finis et nous rachetons leurs productions. C’est véritablement un partenariat gagnant-gagnant », se réjouit-il. La start-up participe aussi à la formation universitaire et professionnelle des étudiants des écoles et universités privées et publiques. Elle reçoit en moyenne par an 10 étudiants des universités de Fada-N’Gourma, Ziniaré et de l’école de Matourkou (Bobo-Dioulasso) pour des stages de préparation de leurs mémoires ou de perfectionnement.

Créer de la richesse, respecter l’environnement

Les acteurs plaident pour la création d’un marché dédié aux produits agroécologiques et biologiques.

Outre ces milliers d’emplois indirects, la start-up compte 20 travailleurs permanents déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), dont sept femmes, et une dizaine de journaliers qui passent au double en période de pic d’activités. « Des ouvriers aux cadres, les salaires varient entre 40 000 et 500 000 F CFA, sans oublier que nous assurons le déjeuner des ouvriers », confie celui qui est arrivé à l’agroécologie, influencé par son géniteur. « Mon père est dans l’agroécologique et l’agriculture biologique depuis que nous étions petits, mais dans le domaine associatif.

J’ai choisi l’entrepreneuriat pour montrer qu’il est possible de créer de la richesse, de la valeur ajoutée, tout en respectant l’environnement, en préservant la santé des populations, en ayant une éthique morale et sociale », relate-t-il fièrement. Bioprotect a une capacité de production de 600 tonnes de bio intrants par mois. En 2022, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires d’environ un demi-milliard F CFA.

Tout comme M. Sawadogo, Abdoul Razack Belemgnegré fait partie des jeunes entrepreneurs agroécologiques cités en exemple au pays des hommes intègres. Si lui aussi a été influencé par l’environnement familial (son père étant un maraicher), c’est du département de Droit de l’université Nazi-Boni qu’il va effectuer le virage vers l’entrepreneuriat agroécologique. « Depuis le lycée, j’avais mes propres planches de cultures maraichères que j’arrosais le matin avant d’aller à l’école et les après-midis après les cours, et qui me faisaient de petits revenus », se remémore-t-il, avec fierté.

En 2011, il se lance dans la production agroécologique au bord du barrage de Tanghin. En 2013, il crée l’Association « Beo-neeré » (avenir meilleur en langue mooré) pour la promotion de l’entrepreneuriat vert agroécologique au Burkina Faso. Face à l’usage intensif des produits chimiques par les maraichers autour du barrage, il est contraint de délocaliser les activités de la ferme à Roumtenga, à la périphérie nord-est de Ouagadougou, où il met en place en 2016 un centre de production et de formation agroécologiques.

Des salaires de plus de 500 000 F CFA

La fabrication de bio intrants constitue …

Sous les dernières fines gouttes d’un après-midi pluvieux d’août 2023, le jeune entrepreneur, large chapeau artisanal vissé sur la tête, chaussé de bottes, sac en bandoulière, nous fait découvrir son centre implanté sur un domaine de cinq hectares. Entre les planches de cultures de tomates, d’aubergines, de choux et de salades, etc. et de production de semences paysannes potagères, se dresse une mosaïque d’arbres fruitiers et non fruitiers : papayers, manguiers, moringa, neem, bananiers, etc.

Une association de cultures dont les initiés comprennent la logique. « A première vue, on a l’impression que tout est pêle-mêle ici. Pourtant, le domaine est bien organisé et le système d’exploitation répond à des normes agroécologiques », fait remarquer M. Belemgnegré, tout en montrant le domaine réservé à l’élevage de poulets, dindons, canards, moutons, chèvres et de bœufs, dont les excréments servent à la production de bio fertilisants.

….. un segment de l’entrepreneuriat agroécologique.

« Nous avons répertorié environ 122 intrants bio. Mais, nous n’utilisons que onze que nous considérons comme faciles à produire. Il y a, entre autres, le compost aérobic, le Bokashi, la lifofer, le kogl-Zanga, le piol, le super-magro liquide et solide, etc. », fait savoir le maitre des lieux. La ferme emploie 14 personnes dont six femmes, tous déclarés à la CNSS, avec des salaires pouvant atteindre plus de 500 000 F CFA, confie-t-il.

« Nous tirons 60% de nos revenus de la production, 30% de la formation et les 10% d’autres types d’activités », détaille Abdoul Razack Belemgnegré. Chaque année, le centre offre des formations payantes en entrepreneuriat agroécologique à en moyenne 200 jeunes. Ils viennent du Burkina, du Bénin, de la Côte-D’Ivoire, du Ghana, du Mali, du Niger, du Nigéria, du Togo, de la France, etc. Il reçoit aussi en stage au moins une vingtaine d’étudiants des écoles et universités publiques et privées.

Le promoteur du centre de formation agroécologique Beo-neeré, Abdoul Razack Belemgnegré : « Aujourd’hui, il n’existe pas de financements spécifiques axés sur l’entrepreneuriat agroécologique ».

C’est le cas de Inoussa Tarbagdo, en quête du diplôme de Technicien supérieur d’agriculture de l’Ecole nationale de formation agricole (ENAFA) de Matourkou. « Nous sommes ici pour un stage de fin de cycle de quatre mois, en vue de l’obtention de notre diplôme. Notre travail porte sur les effets des biofertilisants sur les paramètres agro-morphologiques du gombo.

Nous pouvons dire que nous sommes en même temps en stage de perfectionnement, car tout en menant nos recherches, nous apprenons beaucoup de choses ; c’est une autre école », confie le jeune étudiant, qui loue l’initiative de M. Belemgnegré de mettre en place un centre de formation des jeunes au business agroécologique.

La souveraineté alimentaire par l’agroécologie

L’Association Yelemani, qui signifie changement en langue dioula, fait également dans l’entrepreneuriat agroécologique depuis 2011, dans une ferme située dans la commune rurale de Loumbila, avec d’autres ambitions. « Notre objectif n’est pas le profit. Sinon, nous aurions dû faire de l’agriculture conventionnelle qui permet de se faire de l’argent rapidement. Nous avions voulu avoir un site démonstratif pour soutenir notre discours, qu’il est possible d’envisager autrement le développement, d’assurer notre souveraineté alimentaire à travers l’agroécologie », justifie sa coordonnatrice, Blandine Sankara.

La coordonnatrice de l’Association Yelemani, Blandine Sankara : « Nous avions voulu avoir un site démonstratif pour soutenir notre discours, qu’il est possible d’assurer notre souveraineté alimentaire à travers l’agroécologie »

Fondée sur le modèle de l’économie sociale et solidaire, l’ambition de Yelemani est de créer un impact au sein de la communauté locale, à travers la création d’emplois verts, le partage et le transfert de connaissances agroécologiques. Parti d’un terrain de deux hectares complètement dénudé, impropre à l’agriculture, où il n’y avait que deux balanites, la ferme est aujourd’hui une mini forêt florissante, une « terre promise », avec un micro climat doux, où de nouveau tout pousse : betteraves, laitues, oignons, tomates, maïs, mil, gombo, patate douce, goyaviers, tangelos, papayers, bananiers, et même des plantes exotiques comme le goji.

Des plantes médicinales en voie de disparition et une diversité d’espèces végétales et animales y ont refait surface. Aujourd’hui, Yelemani dispose d’un deuxième site de production agroécologique et emploie au total 14 permanents et cinq saisonniers, dont quatre femmes et deux Personnes déplacées internes (PDI) du fait du terrorisme. Son troisième site de trois hectares est gracieusement mis à la disposition de dix PDI de Loumbila pour leurs activités agricoles. Boukaré Badini est une PDI venue de Djibo.

Il est employé comme fermier à la 2e ferme agroécologique de Yelemani depuis un an ; il s’occupe de la production de légumes selon les techniques agroécologiques ainsi que de l’élevage des ruminants. Cet emploi, confie-t-il, lui permet de subvenir en partie aux besoins de ses trois épouses et de ses 15 enfants, dont 10 de moins de 18 ans. « Ce travail m’aide beaucoup. Seulement, j’ai une famille nombreuse.

Quand je serai de retour dans mon village, lorsque la paix reviendra, si mes moyens le permettent, je pratiquerai l’agroécologie qui est une pratique agricole protectrice de l’environnement », témoigne-t-il, la gorge nouée. Yelemani écoule facilement sa production certifiée Bio SPG aussi bien dans la capitale burkinabè qu’au niveau local, pendant que les maraichers conventionnels ne savent que faire de leurs produits, surtout au moment des grandes récoltes. Au début, ce marché n’était pas un acquis.

Combattre la pauvreté des femmes

Nous nous sommes lancés dans la production biologique sans nous poser la question du marché. Il fallait convaincre les consommateurs à s’orienter vers les produits bio. Nous faisions le tour des administrations, des hôtels, des restaurants. C’était plus de la sensibilisation que de la vente. Puisqu’il fallait prendre du temps, hormis le carburant et tous les risques pris, pour expliquer et se retrouver avec 6 000 F CFA de vente », relate Mme Sankara.

La présidente de La Saisonnière, Salamata Sophie Sedgho/Hema : « Notre objectif est de lutter contre la pauvreté à visage féminin »

Salamata Sophie Sedgho est professeur des lycées et collège en sciences naturelles à la retraite. Après plus de 30 ans de « bons et loyaux services » rendus à la nation, elle consacre désormais sa vie à l’agroécologie. Elle en a fait un moyen d’amélioration des conditions de vie des femmes et des jeunes, à travers l’association La Saisonnière, créée en 2006. « Notre objectif est de lutter contre la pauvreté à visage féminin », martèle-t-elle. L’association dispose de trois jardins agroécologiques : deux à Ouagadougou et un à Gampèla, où est produite une diversité de cultures maraichères certifiées Bio SPG.

Ces trois sites produisent en moyenne 60 tonnes de produits maraichers par an, vendues bord champ et en ligne. « Il y a des médecins qui recommandent nos produits bio à leurs malades. Cela nous réconforte », se réjouit Mme Sedgho. Environ 200 femmes, recrutées selon le critère de la vulnérabilité, y travaillent. Préparation des sols, repiquage, arrosage, démariage, désherbage, fabrication d’engrais bio et bio pesticides, récoltes, commercialisation, constituent leur quotidien.

L’entrepreneuriat agroécologique est source d’emplois verts, contribue ……

De ménagère sans emploi, Thérèse Kafando travaille à la ferme de Bendogo de La Saisonnière depuis 17 ans. Aujourd’hui, elle veille au respect des normes de production bio. « Je gagne ma vie, je contribue aux charges de la famille, notamment à l’alimentation, à la scolarisation des enfants. En plus de la scolarité, j’ai de quoi leur donner comme argent de poche », confie -t-elle, toute souriante. Et d’ajouter qu’elle a même pu s’acheter une moto comme moyen de déplacement. Aujourd’hui, l’entrepreneuriat agroécologique bénéficie d’un marché national encore timide, qui reste à construire.

« Les consommateurs sont à la recherche de produits sains. Le marché existe mais malheureusement, jusque-là, il est réservé à une certaine classe sociale. Une étude a montré que les consommateurs des produits bio ont un salaire d’au moins 300 000 F CFA. Notre objectif est de faire du bio un maché de masse et non de niche. Car, chaque citoyen a droit à une alimentation saine. Personne n’a demandé à être pauvre », argumente Arsène Wendwaoga Sawadogo.

Protéger le marché bio et agroécologique

…… à la restauration de la biodiversité, à la lutte contre le changement climatique.

Pour Blandine Sankara, l’organisation de ce marché commence par l’aménagement d’un cadre dédié à la commercialisation des produits biologiques et agroécologiques. Dans l’optique d’accompagner les acteurs et de soutenir la dynamique en cours, elle suggère que l’Etat réalise cette infrastructure marchande. La commande publique des produits bio et agroécologiques pour les centres de santé, cantines scolaires, prisons, etc., constitue, poursuit Mme Sankara, un moyen de promouvoir l’agroécologie.

La subvention et l’achat des bio intrants par l’Etat pour les paysans sont aussi une solution pour booster cet entrepreneuriat vert, insiste-t-elle ; tout en protégeant le marché agroécologique. « Les Etats-Unis, l’Europe sont protectionnistes. Ils érigent des mesures non tarifaires qui protègent leurs entreprises agroalimentaires. Pourquoi devons-nous ouvrir toutes nos frontières pour qu’on y déverse tout ce qui vient de l’extérieur.

La PDI employée à la ferme Yelemani, Boukaré Badini : « Quand je serai de retour dans mon village, lorsque la paix reviendra, … je pratiquerai l’agroécologie »

L’Etat peut décider d’accorder des parts de marché aux entreprises agroécologiques locales pour les trois premières années, le temps de leur permettre de se mettre aux normes et être performantes et compétitives sur le plan international. Si l’on veut aller vers notre souveraineté, il faut soutenir nos entreprises locales. C’est l’indépendance de notre pays et la santé des Burkinabè qui sont en jeu », renchérit M. -Sawadogo, l’air dépité.

Selon le directeur général de l’économie verte et du changement climatique, Saïdou Mahoumoudou Soro, le Burkina Faso est confronté à d’importants défis comme l’insécurité alimentaire, la pauvreté, le chômage des jeunes, les inégalités d’accès à l’énergie. Ces défis, poursuit-ils, se sont démultipliés en raison des effets du changement climatique, de la dégradation des ressources naturelles, de la croissance démographique galopante et aujourd’hui du déplacement des populations à l’intérieur du pays du fait de l’insécurité.

L’entrepreneuriat vert et agroécologique, soutient-il, constitue une réponse majeure à ces défis. L’agroécologie, ajoute Mme Sankara, peut contribuer à fixer les jeunes dans leurs terroirs, à éviter qu’ils prennent les routes incertaines de l’exode rurale et de l’immigration vers l’Europe. « Elle a l’avantage de créer des producteurs modèles, contribuant ainsi à soigner l’image dégradante qu’on a de l’agriculture et à susciter des vocations agroécologiques chez les jeunes ruraux », se convainc-t-elle.

Instaurer une fiscalité verte incitative

Employée à la ferme agroécologique de La Saisonnière, Thérèse Kafando, a fait savoir que son emploi a amélioré ses conditions de vie et celles de sa famille.

Pour que ce secteur émergent, qui regorge du potentiel en termes de création d’emplois verts, puisse se développer, il faut de la volonté politique, instaurer une fiscalité verte attrayante, souligne la coordonnatrice du Conseil national de l’agriculture biologique (CNABio), Clémence Samba/Lankouandé. « L’Etat ne fait pas de différence entre une entreprise agricole qui fait dans le chimique, avec des externalités négatives en termes de pollutions de l’environnement, de destruction de la biodiversité, et une entreprise agroécologique, qui contribue à éviter ces effets négatifs.

Du point de vue fiscal, nous sommes traités de la même manière. Il y a une valeur ajoutée environnementale et écologique que nous apportons que l’autre ne fait pas », s’offusque le fondateur de Bioprotect. L’accès au financement constitue un autre goulot d’étranglement pour ces entrepreneurs verts. Abdoul Razack Belemgnegré déplore l’absence de financements spécifiques axés sur l’entrepreneuriat agroécologique. « Les banques n’ont pas de modèles de financements adaptés à l’entrepreneuriat agroécologique, un domaine peu connu des institutions financières », précise-t-il.

L’absence de main d’œuvre qualifiée, la pénibilité du travail agroécologique, le difficile accès à l’eau et au foncier font aussi partie des difficultés, ajoute M. Belemgnegré, qui plaide pour l’adoption d’un statut particulier pour l’entrepreneuriat agroécologique. Au ministère en charge de l’agriculture, on soutient que l’adoption d’une stratégie nationale de développement de l’agroécologie 2023-2027 d’un coût de 19,5 milliards F CFA est l’expression de la prise de conscience politique et d’une volonté manifeste de booster ce sous-secteur à travers une réponse structurelle.

Le stagiaire à Beo-Neeré, Inoussa Tarbagdo : « Ce centre de formation agroécologique constitue, pour nous, une autre école ».

Ce référentiel s’inscrit dans le cadre des engagements pris par le Burkina Faso en septembre 2021, lors du Sommet mondial sur les systèmes alimentaires, de réduire les émissions des gaz à effet de serre de 25 % et de promouvoir les pratiques agroécologiques sur au moins 30% des périmètres emblavés à l’horizon 2040. La stratégie repose sur trois axes stratégiques : l’amélioration de la gouvernance de l’agroécologie, la mise à l’échelle de l’agroécologie dans toutes les régions et le renforcement des capacités des acteurs agroécologiques et des agents d’appui-conseil.

Même si le terme entrepreneuriat agroécologique n’y apparait pas expressément, le financement des projets agroécologiques des jeunes et des femmes, le renforcement de leur capacité y sont prévus, souligne le directeur des productions végétales, Toussaint Sampo. Les acteurs fondent beaucoup d’espoir sur ce référentiel national, espérant que sa mise en œuvre va produire les effets escomptés.

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com


Dr Patrice Djamen Nana, chercheur en transitions agroécologiques

« L’entrepreneuriat agroécologique regorge d’énormes potentialités encore très peu explorées »

Dr Patrice Djamen, est chercheur en conseil agricole et transitions agroécologiques au CIRAD à Montpellier. Il est accueilli au CEDRES comme chercheur associé. Il livre son analyse sur l’entrepreneuriat agroécologique au Burkina Faso.

Quel regard portez-vous sur l’entrepreneuriat agroécologique au Burkina Faso ?

C’est un secteur en voie de développement qui regorge d’énormes potentialités, mais encore très peu explorées, bien qu’il existe des acquis stratégiques importants, en l’occurrence la stratégie nationale de développement de l’agroécologie. L’entrepreneuriat agroécologique est aujourd’hui dominé par la production de bio intrants, avec un nombre croissant d’acteurs qui s’y investissent. Alors que les segments de la transformation, la commercialisation, la distribution, l’innovation technologique, les services d’appui-conseil restent des maillons très peu développés. Les filières agroécologiques sont encore des filières de niches. Il faut sortir de là afin de créer un marché plus conséquent qui offre plus d’opportunités.

Que faire pour une meilleure promotion de l’entrepreneuriat agroécologique ?

Je souhaite que le gouvernement opérationnalise pleinement la stratégie nationale et aille au-delà, en soutenant davantage le changement de modèle agricole. Pour que l’entrepreneuriat agroécologique réussisse, il faudrait un marché pour tirer la production et des efforts pour développer les autres maillons de la filière.

L’émergence de ce marché implique que les citoyens soient sensibilisés sur l’alimentation saine et l’agriculture responsable et la nécessité de soutenir des formes d’agricultures durables. L’agroécologie concerne d’abord les territoires. Pour qu’elle se développe, on a besoin de plus de décentralisation des systèmes d’innovation agricole, d’inclusion, de participation des paysans et des citoyens à la prise de décision, de créer des conditions pour que les gens puissent entreprendre au niveau local.

Pour que les jeunes et les femmes s’investissent dans l’entrepreneuriat agroécologique, il faudrait lever, sur le plan stratégique et opérationnel, les contraintes spécifiques auxquelles ils sont confrontés. Il s’agit, entre autres, de faciliter leur installation, l’accès aux ressources (la terre, le financement), renforcer leurs capacités, mais aussi investir dans l’innovation pour réduire la pénibilité du travail agroécologique, rendre disponibles les biens et services nécessaires aux activités agroécologiques.

Il importe également de réguler le secteur, limiter les importations pour ne pas tuer les efforts des producteurs locaux. Le rôle de l’Etat est essentiel pour créer cet écosystème propice qui nécessite d’aller au-delà de la stratégie nationale pour explorer et mettre en évidence tout le potentiel de l’entrepreneuriat agroécologique. L’entrepreneuriat agroécologique a un grand potentiel, mérite d’être mieux accompagné.

Il est une thématique pertinente qui répond aux défis du moment, en matière de souveraineté alimentaire, de systèmes alimentaires sains, de création d’emplois verts pour les femmes et les jeunes, d’équité sociale, de lutte contre le changement climatique. Pour y arriver, il y a lieu de sensibiliser les acteurs sur les implications en termes de vision, de changements de comportements, de pratiques, de mode de consommation, etc. Car, beaucoup en parlent mais n’en perçoivent pas tous les enjeux et défis.

Il faut une étude globale, assortie d’une fiche des métiers potentiels de l’agroécologie, à porter à la connaissance des centres de formation, et renforcer les capacités des acteurs afin que les différents maillons et opportunités identifiés soient bien organisés et valorisés. Et l’engagement du gouvernement et des partenaires en faveur de l’agroécologie devrait être encore plus ferme.

Propos recueillis par M.S.

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