Partir

Sans se retourner, ils partent loin de l’incurie de l’écurie, comme une fratrie sans patrie Sans se retourner, ils affrontent la furie des intempéries, laissant derrière, le frère qui périt. Qu’ils vivent ou périssent, partir, c’est se départir du pire, pour l’inconnu sans soupir. Peu importe les vagues et les orages, ils sont prêts à franchir les cordes qui déchirent. J’ai vu des femmes en sanglot confier leur bébé aux flots agités, sans la moindre transe .J’ai entendu le cri du naufrager enragé qui tend la main sans jamais saisir sa chance. A l’oreille de l’inconnu voisin, un compagnon souffle en grelotant, son dernier message. La nuit, chacun fouille dans le ciel touffu de voiles, sur les traces de l’étoile des mages. Dans les profondeurs des regards somnolents, un sommeil plane sur les cœurs en éveil. Dans le silence des pensées en traversée, un seul idéal : atteindre le pays des merveilles .En attendant la terre ferme, la tête en berne, les yeux se ferment pour libérer une prière Loin de l’eldorado des desperados, l’espoir rame à contre-courant vers une liberté entière. Demain matin, je m’en irai sans souci loin d’ici, sans laisser de traces de pas autour. Avant les premières lueurs, je partirai sur la pointe des pieds, sans vacarmes, sans arme. Loin de ma patrie meurtrie, je quitterai ma fratrie pour un exil sans asile, sans retour. Dans mon baluchon de torchons, j’emporterai mon destin, les poings fermés, sans larme Ici, l’espoir est en prison sans raison, la chance n’existe pas, il n’y a point de hasard Ici, le travail s’achète et se vend souvent, la réussite se monnaie, le succès a une rançon Ici, les premiers ne sont pas les meilleurs, les meilleurs sont des tocards sans brassard Ici, le plus fort a raison à tort, le faible est brimé sans remords, le pauvre subit le bâton. Là-bas, la liberté m’attend le poing levé, l’espoir porte un flambeau et une couronne Là-bas, l’égalité marche droit, le mérite est une propriété, l’effort à un prix et un abri. Là-bas, il n’y a pas de bras longs qui poussent, seuls les bras valides moissonnent. Là-bas, les requins ne mangent pas les alevins, le plus petit n’est pas un débris. Chaque jour, des milliers de piliers sans alliés se jettent en mer à bord de voiliers sans bouée Chaque jour, l’aventure dévore les bras sûrs d’un continent écroué, sans pâture ni brouet. Là-bas, ils vivront peut-être le bonheur à l’heure et ils troqueront leur honneur avec des radis. Là-bas, ils réussiront le pari à Paris, au pied de la Tour qui charrie tous ceux qui sont partis Ne me retenez pas, sans sursis j’irai là-bas pour mener le combat que je n’ai pas ici. N’essayer surtout pas de me convaincre, je pars pour vaincre et je n’ai rien à craindre. Peu importe les vagues assassines, je tiendrai tête à la mer qui dandine, sans merci Tant pis si j’y reste, les autres continueront la marche sans laisser le rêve s’éteindre.

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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