Résolution de crise à Béma-silmi-mossé : Un cas d’école pour la réconciliation nationale

Naaba Tigré reçoit les bénédictions du roi du Yatenga, Naaba Kiiba (assis à droite).

Le canton de Béma-silmi-mossé, situé à environ 81 km de Ouahigouya, compte aujourd’hui 81 villages répartis dans les provinces du Yatenga, du Zondoma, du Loroum, du Bam et du Soum. En 2000, après le décès de Naaba Koom, des incompréhensions surgirent sur la désignation du chef dans la grande famille silmi-mossé. Alors est née une scission entre deux chefs intronisés de part et d’autre, et ce, jusqu’en 2020. Après 20 ans de troubles et de mésentente, la population du canton arrive enfin à un consensus avec l’alternance comme solution à l’issue de la signature d’un mémorandum, le 15 mars 2021. Qu’est-ce qui a prévalu à la résolution de ce conflit ? Reportage !

Né le 25 septembre 1959, Ibrahim Barry est le nouveau chef du canton de Béma-silmi-mossé, situé à environ 81km de Ouahigouya dans la région du Nord. Après 20 ans de crise dans le « royaume », c’est lui qui a été choisi pour unir la grande famille silmi-mossé. Employé de commerce à Ouagadougou, il a été intronisé, le 27 mars 2021, et a pris comme nom de règne « Naaba Tigré ». Depuis lors, il travaille à faire régner la paix et l’union entre les filles et fils du canton. « Ma mission, c’est de travailler à préserver ce que nous avons réussi à mettre en place, à savoir la paix. C’est dans la vie quotidienne qu’il faut faire en sorte que les gens se retrouvent comme avant », explique le nouveau chef de canton. En effet, c’est en 2000 que la crise de la chefferie a commencé à Béma après la mort de Naaba Koom. La grande famille s’est divisée en deux lignées, à savoir celle de Naaba Piiga 1er, fils du 1er chef de canton, l’Emir Sambo Barry, et la lignée
de Naaba Sigri 1er, petit -fils de l’Emir.

Selon le chef des silmi-mossé de Ouagadougou, Naaba Kougri, la raison est que la lignée de Naaba Sigri 1er a estimé qu’elle est délaissée dans le choix des chefs.
« Ainsi, après la mort de Naaba Koom, c’était au tour d’un membre de leur lignée d’être désignée. A leur grande surprise c’est un de l’autre lignée en la personne de Naaba Tanga qui a été intronisé. Chose que la lignée délaissée n’a pas digérée d’où la scission avec l’auto proclamation de Naaba Saanem », explique-t-il. Cette scission a perturbé la sérénité et la paix qui régnaient à Béma. Dès lors, il existait deux camps.

« Chacun considérait l’autre comme son ennemi », indique le nouveau roi. Après environ neuf mois de règne, les deux chefs moururent presqu’au même moment. Les deux camps ont encore désigné chacun un chef respectivement au nom de Naaba Siigri 2 et Naaba Piiga 2. A entendre l’actuel chef de canton, ces deux chefs ont tenté le rapprochement et de trouver une solution au problème.

« Malheureusement, il existe toujours des gens qui tirent les ficelles de la destruction. Ceux-ci ont pris le dessus et jusqu’à leur décès nous étions dans l’ère de la division », renchérit-il. Après leurs décès en 2019, à
l’écouter, les deux camps ont enfin compris que l’union vaut mieux que la scission de la famille car en l’espace de 20 ans, ce sont quatre chefs que le canton a perdus. Chaque camp s’est abstenu de désigner un chef. Mieux, ils ont plutôt cherché
l’unité dans le « royaume ».

Le décès des chefs, le déclic

C’est parti pour le processus de réconciliation des deux camps. Selon Naaba Tigré, le véritable problème est qu’il y avait de la rancœur des uns envers les autres à cause de la gestion de la chefferie. « Certaines personnes, de par leur position, ont fait du tort à d’autres soit par des propos tenus, soit des actes posés. Les victimes en voulaient à leurs bourreaux durant des années à telle enseigne qu’ils ne se parlaient plus. Il fallait donc instaurer un climat de con-fiance et de dialogue entre ces personnes afin qu’elles se pardonnent. Nous avons donc approché des personnes de bonne volonté et de sagesse qui ont bien voulu nous aider », souligne-t-il. A cet effet, deux groupes ont été constitués. Chacun travaillait de son côté. « Ça été un travail de titan, mais on a eu des oreilles attentives de part et d’autre », soutient le 1er responsable de Béma.

Par des rencontres entre les personnes concernées (bourreaux et victimes), un dialogue a été instauré. « La victime extériorise sa rancœur et le bourreau, tout en reconnaissant son erreur, lui demande pardon. Petit à petit, les gens ont fini par s’exprimer, dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Le processus a commencé avec les petites querelles. Et à chaque fois, on ne faisait qu’élargir le cercle puis au fur et à mesure, les gens acceptaient s’exprimer et se pardonnaient jusqu’à ce que les plus réticents soient devenus des pionniers à l’arrivée. C’est une grâce pour la famille », martèle-t-il avec fierté. Après chaque rencontre, le point est fait et à la fin, une synthèse est faite sur la base de la volonté de la population.

« Nous avons compris que ce sont deux princes qui se disputent le pouvoir. Il faut donc une alternance dans les deux lignées pour résoudre le problème », confie Naaba Tigré. C’est ce qui a abouti au mémorandum afin d’éviter l’auto proclamation à l’avenir dans le canton. Les étapes de désignation sont claires désormais. Dans le mémorandum, il apparaît deux lignées, celle de Naaba Piiga 1er et alliés et celle de Naaba Siigri et alliés. Les sages ont décidé que pour ramener l’unité, la concorde et la paix dans la famille, un seul chef devrait être porté à la tête du canton et il sera issu alternativement de l’une ou de l’autre des deux lignées.

Le pouvoir des neveux

C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la communauté des Silmi-mossé.

Le chef proposé sera intronisé par le collège des notables de la famille Barry, composé de sept personnes soit trois notables de chacune des lignées et un notable des silmi-mossé de Kalsaka chargé de couronner le nouveau chef . « On l’a fait circuler partout où il y a les grandes communautés. Chacun a donné son avis avant son adoption le 15 mars 2021 », atteste Naaba Kougri. La pièce maîtresse dans ce processus, confirme le roi, ce sont les neveux de la famille Silmi-mossé qui se sont rassemblées pour unir toute la famille car la mésentente leur était insuppor-table. « Ils étaient mal à l’aise quand ils devraient se rendre à Béma parce que ne sachant plus où rentrer. Certains avaient même arrêté de venir nous rendre visite », témoigne le chef des Silmi-mossé de Ouagadougou. Leur procédé a consisté à faire des doua (prière). La 1re a été dite pour le village de Béma.

« Ils ont prié pour que l’unité revienne dans la cité au sein de la famille silmi-mossé », confesse le chef. La 2e a été dite au nom de la grande famille au Burkina Faso. « Après ces prières, j’ai constaté que toutes les approches entreprises ont porté fruits. C’est comme si les portes s’ouvraient d’elles -mêmes. Les gens étaient réceptifs, les cœurs s’étaient ouverts facilement, même les plus sceptiques n’attendaient que ça », affirme Ibrahim Barry. Pour réussir tout cela, le roi du Yatenga, Naaba Kiiba, a été d’un grand secours traditionnel.

« Je les ai toujours conseillés de revenir à la paix car deux trônes dans le canton ne font pas honneur à la chefferie traditionnelle. Nous sommes les gardiens de la tradition. C’est à nous de montrer l’exemple à nos enfants. Nous devons cultiver la paix et la cohésion sociale et nos descendants vont emboîter le pas. On ne peut pas régner dans la division », recommande Naaba Kiiba. Et le chef de Béma de poursuivre que plusieurs fois, celui-ci les a interpellés quant à la crise au sein du canton et a toujours souhaité l’entente dans la grande famille. Aujourd’hui, c’est chose faite.

« C’est pourquoi, ce 12 juin 2021, nous sommes allés solliciter auprès de Naaba Kiiba, ses bénédictions pour mon règne », révèle Naaba Tigré de Béma. Pour lui, ce conflit relève désormais du passé. Le canton a retrouvé son lustre d’antan. « C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la grande famille silmi-mossé », indique le chef. Ce modèle de réconciliation peut servir de cas d’école au gouvernement dans sa quête de
réconciliation nationale.
« Car, on a vécu en miniature ce que le pays vit aujourd’hui. Pour réussir, il faut impliquer tout le monde, il n’y a pas de petites gens.

Au contraire, ce sont eux qui détiennent les bonnes informations. Il faut également impliquer les chefs coutumiers et religieux qui peuvent résoudre le problème car le plus important dans ce processus est de créer les conditions pour que chacun s’exprime ouvertement sans crainte. Autant il y a des gens sérieusement engagées qui veulent que le processus aboutisse, autant il y en a qui le torpillent. Alors sachons choisir la personne qu’il faut», suggère-t-il. Il déplore par contre la création du ministère de la Réconciliation nationale. « J’aurais souhaité une Commission nationale de la réconciliation.

Ce genre d’institution fait plus libre et les gens sont enclins à parler et à se pardonner mais le ministère est trop administratif, trop contraignant. Les gens viendront parce qu’ils attendent quelque chose en retour, ce qui dénature le processus », conseille Naaba Tigré. C’est pourquoi, poursuit-il, il faut choisir des gens qui ont la sagesse et l’intelligence pour crever l’abcès et amener les gens à se pardonner parce qu’on ne peut pas changer le passé, sinon on aura gaspillé de l’argent et du temps pour rien.

Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com


A propos du canton

C’est en 1897 que le canton de Béma-silmi-mossé a été créé par le commandant Destenaves en période coloniale avec comme 1er chef, l’Emir Sambo (1897-1907). Après sa mort, le trône revint à son fils, Naaba Piiga 1er (Barry Ousmane) de 1907 à 1941.Celui-ci passa la main à Naaba Siigri 1er (Barry Boukary), petit – fils de l’Emir de 1942 à 1973 puis vint le tour de Naaba Koom (Issa Barry), aussi petit-fils du 1er chef, qui régna de 1975 à 2000.

F.B.

 

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