Retour des élèves déplacés à l’école : une victoire contre l’ignorance

Au Burkina Faso, plusieurs élèves déplacés internes ont pu reprendre leur vie scolaire, après moult efforts du monde de l’éducation. Dans des écoles de Kaya, région du Centre-Nord, certains rêvent déjà grand, malgré les vicissitudes du quotidien.

Jeudi 27 octobre 2023 à Kaya. Zaharé Zagré, 13 ans, est un lève-tôt. A 6 heures, il a déjà quitté sa couchette. Après une petite toilette, il partage le petit déjeuner avec les siens, puis quitte la demeure familiale.

Complet pagne bleu, pieds nus … Zaharé est apte pour un nouveau jour de classe à l’école qui jouxte la concession familiale. Sourire aux lèvres, il se dirige vers la classe de CM2 de l’Ecole primaire publique (EPP) Dimassa « B » où il prend place aux côtés de quelques camarades, en attendant l’arrivée des enseignants. Cet exercice anodin, devenu une routine pour le petit Zagré depuis le 2 octobre 2023, date de la rentrée scolaire, résonne dans son cœur comme une seconde chance. « Je me disais que je n’allais plus jamais retourner à l’école », confie l’adolescent. L’irruption des forces obscurantistes, courant 2019, dans son Daké natal, commune rurale de Dablo, a interrompu son cursus scolaire et contraint sa famille à fuir. L’« exode» des Zagré les a conduits à Dablo, puis à Kaya depuis début 2023. Arrivé en milieu d’année scolaire, cet élève, désormais déplacé interne, a mis l’école entre parenthèses et enchainé les petits boulots pour aider la famille. « Souvent, j’allais au marché pour aider les commerçants à vendre leurs marchandises et ils me donnaient quelque chose à la fin de la journée.

Errance et incertitude…

L’EPP Dimassa « B » accueille 616 élèves déplacés internes sur un effectif total de 662 apprenants.

Pendant la saison des pluies, j’aide mes parents à cultiver », affirme Zaharé Zagré, ajoutant n’avoir jamais perdu espoir de reprendre le chemin de l’école. Courant août-septembre 2022, il bénéficie de cours de rattrapage organisés par les enseignants de Dimassa « B », sous la houlette de plusieurs partenaires dont l’UNICEF Burkina. A la rentrée 2022-2023, il réintègre la classe de CM1 de l’école Dimassa « B » et passe en classe supérieure avec brio. La crise sécuritaire que vit le Burkina a fortement affecté le secteur de l’éducation.

Au 31 mai 2023, les chiffres du ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MENAPLN) font état de 6 149 écoles fermées, de milliers d’enfants déscolarisés et plus de 31 000 enseignants hors des classes. En face, les efforts conjugués des Forces de défense et de sécurité (FDS), des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et de la communauté éducative ont permis aux élèves déplacés de reprendre le chemin de l’école. Pour le compte de l’année scolaire 2023-2024, 277 501 élèves déplacés internes ont pu se réinscrire dans des établissements d’accueil, selon le ministère en charge de l’éducation nationale. Venus de Nagraogo, Barsalgho, Dabo, Daké…nombre d’élèves déplacés internes ont pu se réinscrire à l’EPP Dimassa « B » afin de continuer leur cursus scolaire, confie Adèle Sawadogo, la directrice de cette école qui accueille 616 élèves déplacés internes sur un effectif total de 662 apprenants. Parmi eux, Mariata Santi. La fillette de 13 ans est de retour sur les bancs en classe de CM2. « Je suis très contente de pouvoir reprendre et poursuivre mon cursus scolaire », se réjouit-elle. Le passage des membres de groupes armés terroristes à Nagraogo a mis fin au calme et à la sérénité de ce village situé à environ 50 km au nord de Kaya. Ses habitants l’ont vidé.

Les établissements scolaires fermés. « Réfugiée » à Kaya, Mariata vit mal les difficultés de ses parents à joindre les deux bouts. Elle s’adonne à de petites activités génératrices de revenus pour leur venir en aide. « Je gérais une borne- fontaine et je reversais les revenus à ma maman », fait-elle savoir. Après des mois d’errance, d’incertitude et de déscolarisation, la petite a repris le chemin des classes, à la suite d’une prise en charge psychologique. « Au début, comme de nombreux autres élèves déplacés, c’était difficile. Elle passait son temps à regarder ailleurs. Elle est en classe, mais son esprit est dehors. Souvent, elle ne venait même pas. Nous avons associé ses parents, nous avons demandé qu’ils s’impliquent davantage et soutiennent leur enfant (…) Maintenant elle est ponctuelle, studieuse et très intelligente. Elle participe activement aux cours », décrit Rabiatou Tassembédo, enseignante en classe de CM2.

Des élèves résilients

La communauté éducative multiplie les alternatives pour un « retour gagnant » des élèves déplacés sur les blancs.

Quant à la petite Mariata, elle appréhende ce retour à l’école comme une opportunité d’acquérir plus de connaissances. « Je vais bien travailler pour obtenir mon CEP et faire plaisir à ma famille et à la Nation », affirme Mariata Santi, sourire aux lèvres. L’année scolaire écoulée, elle a convaincu par ses résultats et est passée en classe supérieure parmi les cinq premiers. Les péripéties de la vie liées notamment au traumatisme dû au terrorisme n’ont pas entamé le désir des élèves déplacés de retourner à l’école, ni à avancer dans la vie. Au contraire, ils apprennent bien leurs leçons, puis excellent. Jonas Ouédraogo (14 ans), Maïmouta Sawadogo (14 ans), Hamado Sawadogo …, brillent par leurs résultats scolaires. En effet, le petit Jonas a figuré dans le trio de têtes ces trois dernières années scolaires. Elève en classe de CM2 cette année, celui qui a fui Dablo en 2019 donne des motifs d’assurance sur ses chances d’admission au Certificat d’études primaires (CEP). « Il est très bon et a toujours de bonnes notes.

Renouer avec les rêves

C’est un élève résilient », témoigne Mme Tassembédo, son enseignante. Maimouta fait aussi preuve de « résilience » à la suite de multiples déplacements auxquels elle a été contrainte par les groupes armés terroristes. De Yirgou (Centre-Nord) courant 2019, sa famille et elle se sont rendues à Barsalogho, avant d’y être expulsées de nouveau. Puis, à partir de mi-2022, elles trouvent finalement la quiétude, à Kaya. Dès lors, Maimouta renoue avec l’école, mais aussi avec son rêve de devenir enseignante pour, dit-elle, « apprendre à lire, à écrire et à compter » à ses frères et sœurs. Au secteur 4 de la ville de Kaya qui accueille près de 120 000 déplacés internes dont plus de 70 000 enfants, en mars 2023 (SP/CONASUR), la maison où elles sont logées, sa famille et elle, jouxte également l’école « Dimassa B ». Maimouta en profite pour participer aux cours de rattrapage organisés en août 2022 par les enseignants et intègre la classe de CM1. Cette année, elle dit travailler afin de mettre de son côté, toutes les chances de réussite au CEP, de continuer son cursus et de réaliser son rêve d’enseigner. Hamado Sawadogo, lui, rêve de revêtir la tenue militaire. Il veut embrasser le métier pour défendre et sauver son pays, dit-il, enthousiaste. Mais en attendant, c’est l’école qui concentre toute son attention. « J’aime l’école. Pour moi, elle est très importante. Je vais travailler et obtenir les diplômes pour devenir un grand dans l’armée », aspire ce neveu d’officier de l’armée burkinabè. Déjà, Hamado peut compter sur sa « mamie », Aïcha Pafarnam, coordonnatrice de l’école Amie des enfants (AMIE).

La sexagénaire dit s’être engagée dans l’éducation de ses « petits enfants » pour leur permettre de « sortir du noir ». Elle perçoit le retour des élèves déplacés à l’école comme une « victoire contre l’ignorance ». Pour ce faire, elle veille à ce qu’ils se comportent bien à l’école et étudient de manière studieuse, appliquée et sérieuse leurs cours. « C’est pour leur bien. L’école va beaucoup les aider dans la vie. Je souhaite qu’ils soient utiles à eux-mêmes et à leur pays », espère-t-elle. C’est le même espoir d’un lendemain meilleur qui anime Fatoumata Kouanda, 13 ans, native de Barsalogo et refugiée à Kaya. Les vicissitudes de la vie, notamment les difficultés d’adaptation à la vie citadine, les problèmes liés au logement et à la nourriture en famille … n’ont pas mis fin à ses ambitions. En classe de CM2, elle se voit déjà flic. « Mon rêve, c’est d’être policière, pour protéger ma famille et défendre mon pays », confie-t-elle. Malgré le manque de cantine scolaire et l’absence de latrines pour permettre aux élèves (dont 314 filles) de l’école primaire publique Dimassa « B » de se soulager dans de bonnes conditions, Fatoumata et ses camarades sont décidées à avancer.

Ces alternatives éducatives

L’officier d’éducation au bureau de l’UNICEF de Kaya, Sébastien Yaméogo, indique que l’organisme onusien apporte un accompagnement logistique aux apprenants.

Derrière la joie des enfants déplacés de poursuivre leur cursus scolaire et leur soif de réussir, se cache une véritable bataille de la communauté éducative, du gouvernement burkinabè et de ses partenaires comme l’UNICEF Burkina. Ces derniers multiplient les alternatives éducatives pour, disent-ils, permettre un « retour gagnant » des élèves déplacés sur les blancs. Le développement des alternatives éducatives d’urgence a permis d’assurer la continuité éducative des enfants déplacés internes dans les zones de repli. Situé à l’entrée de la ville de Kaya, en provenance de Ouagadougou, le site « Sougr Noma » des déplacés abrite un club d’écoute destiné à « maintenir le niveau des élèves déplacés et/ou à permettre aux non-scolarisés d’accéder à l’école ». Un poste radio est suspendu sur l’arbre dont l’ombre est pris d’assaut par des bambins, assis à même le sol. Il diffuse un cours de calcul mental, portant sur la multiplication des nombres par 9. Au milieu du groupuscule, Clémentine Mano explique, en langue mooré, la règle à suivre. Destiné notamment aux enfants déplacés de 3 à 17 ans, ce programme est appelé l’Education par la radio, affirme Mme Mano, tutrice du club qui travaille pour le compte de l’association Action communautaire de développement du Centre-Nord (ACD/CN). Cette dernière est promotrice d’une radio privée, chargée de diffuser les cours, deux fois par jour, du mardi au vendredi.

« C’est une alternative pour maintenir le niveau des élèves qui ne peuvent plus aller à l’école. Les cours sont mis à notre disposition par le ministère en charge de l’éducation. Lorsque nous diffusons le cours, il y a un enseignant, au studio ici, qui l’explique et les enfants peuvent interagir en appelant au téléphone pour poser des questions. Ce sont les parents qui appellent et leur passent le téléphone », explique Samuel Bamogo, président de l’ACD/CN. Avec 140 relais, M. Bamogo soutient que le programme a permis d’encadrer plus de 13 000 enfants dans le Centre-Nord. « En quelques années de mise en œuvre, nous avons (ré) injecté 3 000 enfants dans le système classique », se félicite-t-il. C’est cette méthode qui a permis à Mariata Santi de reprendre son cursus scolaire. A Nagraogo, se souvient-elle, elle utilisait le poste radio de son père pour écouter les émissions destinées aux élèves temporairement séparés des salles de classe. Mariata estime que le programme d’éducation par la radio lui a permis de « ne pas oublier les leçons apprises en classe ».

Un « niveau acceptable »

Maimouta Sawadogo, Hamado Sawadogo…, eux, ont réintégré les classes grâce à une toute autre alternative, dénommée « Back to school ». « Cette approche basée sur les cours de rattrapage pendant les vacances a permis de récupérer les enfants déscolarisés à cause du terrorisme. C’est un programme simplifié de quatre mois de cours. Il assure le maintien des élèves déplacés dans le système éducatif et leur offre un apprentissage de qualité », explique, Sébastien Yaméogo, officier d’éducation au bureau de l’UNICEF de Kaya. Pour faciliter le retour à l’école à de milliers d’enfants vulnérables vivant dans les zones reculées affectées par la crise sécuritaire, poursuit-il, l’UNICEF Burkina apporte un accompagnement logistique aux élèves en leur donnant des fournitures scolaires.

150 000 kits scolaires composés de sacs, de cahiers, de stylos, d’ardoises et d’autres matériels scolaires ont ainsi été acheminés jusque dans les zones les plus difficiles d’accès, foi de M. Yaméogo. L’organisme onusien renforce aussi les capacités des enseignants qui assurent l’encadrement des élèves déplacés internes. Le directeur provincial du Sanmatenga en charge de l’éducation nationale, Boukary Sawadogo, pense que les alternatives éducatives ont permis aux enfants d’exprimer ce qu’ils ont vécu pour ne pas être l’objet d’autres actions néfastes. « Il y a eu aussi des campagnes de sensibilisation pour permettre non seulement aux enseignants de comprendre qu’il faut prendre tout enfant qui arrive, mais aussi aux parents d’élèves de s’engager à envoyer les enfants à l’école… Parce qu’aujourd’hui, ce qui est important, c’est permettre que les enfants puissent reprendre l’école », estime-t-il. Les enseignants, quant à eux, jugent « acceptable » le niveau des élèves. Ils attribuent ces performances aux différentes alternatives éducatives mises en place pour le retour des apprenants déplacés dans les salles de classe. « Quand les enfants quittent les bancs et reviennent, il y a une baisse de leur niveau. D’autres ont dû faire une ou deux années blanches. Donc, il faut une phase préparatoire à la réinscription. C’est ce qui fait que leur niveau est acceptable », admet Adaman Bélémviré, 2e enseignant de la classe de CM2 à l’école « Dimassa B ».

Djakaridia SIRIBIE

dsiribie15@gmail.com

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