Ancêtres, ancêtres où êtes-vous ?

Mais où sont donc passés nos ancêtres tant vénérés et tant craints ? Que sont devenues nos traditions et nos coutumes ? Qu’en est-il de l’intégrité qui s’effrite au gré du vent ? L’héritage de nos enfants ne tient plus qu’à un fil érodé. Quand la sagesse se frotte la barbe à la bassesse, il ne faut plus rien attendre du sérail des âges. Quand la quête du pouvoir passe par le sang, il faut bien craindre que la fin de l’histoire donne raison aux déboires. Si pour un fauteuil, il faut passer par le deuil pour s’asseoir avec des écueils, il faut reconnaȋtre qu’il y a problème. Si par le sacrifice suprême on s’oppose à l’autre, coûte que coûte, alors, il faut avoir peur du pouvoir.

C’est à se demander si l’on peut vraiment côtoyer le pouvoir et garder la foi. Parce que le pouvoir, celui des hommes est pour ou contre, contesté ou adulé et selon que l’on est de l’un ou de l’autre camp, on est bien ou mauvais, bon ou méchant, adversaire ou partenaire, ami ou ennemi. Si le pouvoir des hommes venait d’un certain dieu, ce ne doit pas forcément être le locataire du ciel. Regardez ce que les hommes font du pouvoir ou plutôt ce que le pouvoir fait d’eux. Désormais, les plus belles bévues ne se manifestent pas qu’en démocratie. Même dans le cercle traditionnel, le péché s’avère originel ; «le chapeau du chef flotte dans l’air » ! Ceux auxquels on faisait recours pour éteindre les flammes des profanes ont perdu leur rang d’initiés dans les flots de l’égoïsme. Ceux dont la simple parole avait valeur de serment profèrent du venin de serpent. Ceux qui pouvaient nous bénir se sont fait bannir par les dieux rescapés. Oui, parfois l’on peut se demander sans blasphémer si nos ancêtres ne sont pas passés de trépas à trépas.

On peut se demander s’ils veillent toujours sur nous. On peut parfois s’inquiéter de leur silence. Sinon, comment comprendre que le fauteuil sacré soit convoité par deux prétendants ? Qui est le prétendu et qui est le légitime ? Il y a toujours un usurpateur, mais à l’époque où les morts n’étaient pas encore morts, il suffisait d’égorger un poulet, assorti de libations aux mânes. Malheureusement aujourd’hui, le poulet peut faire toute une chorégraphie avant de tomber sur le dos ou sur le côté ; les ancêtres s’en foutent ! Il peut saigner comme un bœuf avant de trépasser, les pères se moquent de l’impair. Parce que, autant il y a de faux prophètes, autant il y a de vrais fossoyeurs de nos traditions. Très souvent, la maison des pères a tellement été profanée qu’elle n’est plus habitée par l’esprit des dignes. Très souvent, le sacré tant invoqué n’est rien d’autre qu’un trophée de guerre sans honneur. Peut-on égorger un poulet au nom des aïeux et faire couler le sang de son prochain au nom des mêmes aïeux ? Non, la tradition repose sur l’intégrité secrétée par des savoirs et des croyances. Mais dans un monde de plus en plus sans foi ni loi, l’incivisme n’est pas qu’une tare de la République ; elle est aussi un tort et un sacrilège irréparable.

Et dire qu’avec ça on veut voir l’ennemi venir ! Avec ça on veut parler pour agir quand les formules et les incantations ne sont plus rien d’autres que de simples phrases. Nous avons déjà brisé la chaîne des interdits ; nous avons profané le caveau familial contre notre appétit vénal. Le siège de la tradition ne se dispute pas, à moins qu’il ne soit pas issu de la tradition. Le trône dans la tradition n’est pas qu’un simple piédestal, élevé par arrogance et par complaisance. Le palais ou la cour du chef dans la tradition est un sanctuaire mieux qu’un simple édifice bâti en briques et en bois. Dommage que nous avons nous-mêmes travaillé à faire de nos traditions, des chambres vides hantées par des intérêts plus alimentaires que spirituels.

Dommage que le faux se soit emparé du sacré au point de lui faire bâcler sa mission. Dommage que nous ne sommes plus nombreux à savoir jurer sur la terre de nos ancêtres pour laver l’affront. Dommage que nous mangeons à tous les râteliers au point d’oublier nos attributs de chef sur les lieux des ripailles. La politique a fait de nos traditions, un terrain de campagne et de meeting où les «dieux punissent ceux qui ne votent pas utile». Depuis que la politique a fait son irruption dans la case sacrée, nous invoquons les mânes mais en vain. Nous organisons même de mondaines campagnes de prières de gala pour rien, parce que l’homme noir a oublié d’où il vient. Il ne saura jamais où il va s’il continue à se renier. Hommage à tous ces garants dignes de nos traditions qui vivent dans l’humilité et la discrétion et agissent pour le bien de la communauté sans tapage ni boucan. Etre chef, c’est d’abord savoir pour pouvoir.

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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