L’énigme Talon

C’est un fait politique qui n’est pas passé inaperçu, ces jours-ci, au Bénin et au-delà des frontières du pays. Il s’agit du rapprochement entre le chef de l’Etat, Patrice Talon et l’ancien Premier ministre, Lionel Zinsou, qu’il a battu dans les urnes en 2016, avant de se faire réélire en avril 2021. Les deux personnalités sont rentrées au pays à bord du même vol, le vendredi 18 février dernier, après s’être rencontrées à Bruxelles en marge du sommet entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UE), à en croire certaines indiscrétions. Ami de longue date de Talon avant de devenir son adversaire politique, l’ex-chef du gouvernement béninois, qui préside la Fondation Africa France, n’avait plus mis les pieds au Bénin, depuis sa condamnation judiciaire en appel en 2020. En effet, Zinsou avait écopé de quatre ans d’inéligibilité et de 5 millions F CFA d’amende, pour « dépassement de frais de campagne électorale».

Cette condamnation, qualifiée d’ « illégitime », n’avait pas été de son goût et il avait promis user de tous les recours pour s’y opposer. On n’avait plus entendu le banquier d’affaires sur le sujet, lui qui avait pourtant gardé une dent contre le pouvoir Talon. Le come-back de Zinsou coïncide avec l’organisation de l’exposition des 26 trésors royaux restitués par la France, 129 ans après leur vol. Il a assisté à l’ouverture de cette manifestation hautement symbolique aux côtés de Talon. Malgré sa condamnation, les relations entre l’ancien Premier ministre et le chef de l’Etat n’étaient pas particulièrement exécrables. Ils se sont parfois revus à l’étranger, loin des regards indiscrets. D’ailleurs, certains faits amènent à penser que Talon et Zinsou ne sont pas chien et chat. Le premier n’a-t-il pas soutenu que l’ex-chef du gouvernement « n’a jamais été son adversaire ? ». Certains y verront un langage diplomatique, d’autres des propos sincères. La condamnation en justice de Zinsou aurait pu le radicaliser, mais il n’a pas été très frontal. Réputé aussi proche de l’ancien président, Yayi Boni, Zinsou a salué les progrès économiques du Bénin lors de certaines sorties médiatiques, s’attirant les foudres de l’opposition radicale. Réalisme ou complaisance ? Toujours est-il que Zinsou est une voix très écoutée dans le monde des finances, aussi bien en France qu’en terre béninoise. Autre fait qui n’atteste pas d’une animosité entre les deux hommes : après sa réélection, Talon a nommé un proche de Zinsou, ministre conseiller aux investissements, en l’occurrence Hamet Aguémon.

Toutes considérations écartées, il est de bon ton que Talon se rapproche de ses adversaires politiques. Il a également montré des signes d’apaisement, en rencontrant son prédécesseur, Yayi Boni, avec qui il s’était brouillé. Même si on ne connait pas les motivations profondes de ses gestes, c’est le Bénin qui gagne. Perçu à tort ou à raison comme un dictateur, le président béninois doit donner des gages de démocratie. Il n’a pas échappé aux observateurs avisés de la scène politique béninoise que les opposants sont plus ou moins traqués. Jusqu’ à présent, certains analystes ont du mal à comprendre, le rejet des candidatures à la présidentielle et les récentes condamnations des opposants, Reckya Madougou (20 ans) et Joël Aïvo (10 ans), respectivement pour « terrorisme » et «complot contre l’autorité de l’Etat ». Les autorités béninoises ont beau réaffirmé l’indépendance de la justice, nombre de citoyens croient dur comme fer, que la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) cible systématiquement les opposants au régime. S’il veut poursuivre sa politique de main tendue, salutaire à bien des égards, Talon doit aussi faire preuve de magnanimité envers Madougou et Aïvo. Il en est de même pour tous ceux qui sont considérés comme prisonniers politiques. L’heure n’est plus à la division, avec l’extension du terrorisme aux pays côtiers. Depuis 2019, le Bénin est victime d’attaques terroristes, les dernières s’étant produites courant février 2022. Dans un tel contexte, il faut résoudre pacifiquement les divergences politiques internes, pour pouvoir faire face à la menace terroriste. Talon a-t-il intégré cette donne ?

Kader Patrick KARANTAO

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