Mouche des fruits: branlebas de combat contre un cauchemar des producteurs de mangue

Des mangues toujours au stade de leur maturation qui tombent des branches et pourrissent aux pieds des arbres. Résultante de l’activité de la mouche des fruits, ce phénomène sévit de manière récurrente dans les vergers de la province du Kénédougou (Orodara), région des Hauts-Bassins (Bobo-Dioulasso). Entre pertes de récoltes et rejets des lots contaminés à l’exportation, les conséquences de l’action de cette mouche n’épargnent ni producteurs, ni exportateurs, encore moins les transformateurs. Pourtant, des produits de traitements combinés à d’autres méthodes de lutte développées par la recherche et des accompagnements du gouvernement permettent de venir à bout de ce fléau.

Mercredi 23 avril 2025. Il est 8 heures à Kourinion, commune rurale de la province du Kénédougou (Orodara), région des Hauts-Bassins (Bobo-Dioulasso). Ardjouma Vlé Traoré, un producteur de mangue, nous accueille dans son verger de deux hectares (ha) et demi situé à la périphérie du village. Les chants d’oiseaux résonnent partout. Un vent frais, annonciateur d’un beau temps souffle. Ce verger verdoyant de plusieurs centaines de pieds de manguiers présente une bonne physionomie. A vue d’œil, il présage une cueillette prometteuse. Les manguiers ont bien produit.

Les attractifs alimentaires et sexuels sont suspendus dans des bocaux pour capturer les mouches afin de les tuer ou pour casser leur cycle
de développement.

Certaines branches ploient sous le poids des mangues vertes au stade de maturation. Mais derrière cette belle apparence, se cache une réalité quelque peu troublante. Il s’agit de la présence de la mouche des fruits dans le verger, un parasite qui s’attaque aux mangues. « De la floraison jusqu’à un certain stade de la maturation, comme actuellement, le verger donne le sourire. Mais à un certain moment, si la mouche des fruits commence ses ravages, surtout cette année avec les pluies précoces, c’est la désolation », soutient Ardjouma Vlé Traoré, pour souffler à demi-mot que cette bonne physionomie de son verger est trompeuse. Une visite guidée de l’exploitation nous permet d’appréhender l’ampleur du phénomène. Le constat est triste ! Çà et là, des dizaines de mangues non mûres sont éparpillées aux pieds des arbres.

Pire, la plupart commencent à se décomposer. Le regard terne, le producteur les contemple avec dépit, secoue la tête et lâche, après un long soupir : « Ces mangues tombées sont la résultante de l’activité d’une mouche. Une fois qu’elle pique la mangue, le fruit pourrit petit à petit et finit par tomber sans avoir atteint son stade terminal de maturation. A cause de cette mouche, on ne peut plus laisser les mangues murir sur l’arbre. Nous sommes obligés de les cueillir précocement pour éviter de tout perdre », renseigne le producteur. Cette mouche, poursuit-il, est le véritable ennemi des acteurs de la mangue.

La mouche des fruits, fait savoir le directeur régional de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques des Hauts-Bassins, Eric Pascal Adanabou, diminue considérablement les rendements des vergers. « Elle cause une perte très importante de la production dans les vergers. Son action contribue au pourrissement rapide des mangues. Et quand la mangue pourrit, sa qualité est douteuse », soutient le directeur régional.

Des espèces de mouches « dangereuses »

Le couple des principales espèces de mouches, responsable des ravages de mangue (à gauche la mouche mâle et à droite la femelle) rencontrées au Burkina Faso.

Les mouches de fruits, encore appelées Bactrocera Dorsalis, à en croire Dr Issaka Zida, entomologiste à l’Institut de l’environnement et de recherche agricole (INERA) de Farakoba à Bobo-Dioulasso, sont des insectes ravageurs qui utilisent la mangue pour se reproduire. Au Burkina Faso, dévoile-t-il, on recense plus de 40 espèces de mouches de fruits. « Le manguier seul en compte environ sept. Mais, seulement deux espèces sont responsables de plus de 90% de dégâts observés dans les vergers. Toute mangue piquée par ces insectes est une perte », indique l’entomologiste.

Selon le chercheur à l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS) à Bobo-Dioulasso, Dr Nouhoun Traoré, la mouche de mangue vient d’Asie. Elle a été découverte, dit-il, pour la première fois au Kenya en 2003 et aperçue au Burkina Faso en 2005. « Les dégâts de la mouche sont énormes. Elle est responsable de 60 à 100% de pertes des récoltes », détaille le chercheur à l’IRSS. Ces dégâts, précise Dr Issaka Zida, varient de 30% sur les mangues de variétés précoces ou intermédiaires à 100% sur les variétés tardives. 

« La mangue est notre principale source de revenus. En une saison, l’on peut avoir 7 à 10 tonnes à l’hectare pour un profit d’au moins 500 000 F CFA si les vergers ne sont pas attaqués par les insectes de fruit. Mais avec la mouche, il est difficile d’avoir 4 à 5 tonnes à l’hectare », nous informe Ardjouma Vlé Traoré, la mine déconfite. A quelques 5 kilomètres du verger de Ardjouma Vlé Traoré, se trouve celui de Bala Vlé Traoré. Ce verger, le producteur l’a obtenu après plusieurs années de dur labeur et en est aujourd’hui fier. « Depuis que j’ai quitté les bancs, il y a douze ans, je me suis investi dans la production de la mangue. Bon an mal an, je gagne ma vie », déclare Bala Vlé Traoré. Le verger de Bala Vlé Traoré fait également l’objet d’attaques de la mouche, cet ennemi sournois qui donne du tournis aux acteurs de la mangue.

« La mouche est notre pire cauchemar. Elle décime notre production », soutient Bala Vlé Traoré tout dépité. « Il existe d’autres maladies de la mangue comme l’assèchement des manguiers, mais depuis une vingtaine d’années, c’est la mouche qui nous empêche de dormir », renchérit Issa Vlé Traoré, un autre producteur fruitier de Kourinion. Gérant de quincaillerie à Bobo-Dioulasso pendant plus de 15 ans, Issouf Traoré a dû quitter la ville pour hériter du verger de son défunt père en 1995. Ce verger étant l’espoir de toute la famille, il se mit rapidement à la tâche.

La bonne physionomie du verger de Ardjouma Vlé Traoré, à ses dires, ne présage pas forcément une bonne moisson avec la mouche qui a déjà commencé à faire des ravages

Au fil des ans, Issouf Traoré s’est imposé comme un producteur de mangue qui compte dans son village. Même si les débuts n’ont pas été faciles à ses dires, aujourd’hui c’est un exploitant d’une dizaine d’hectares de vergers qui se frotte les mains. « Ce n’était pas du tout facile au début, mais avec le courage et la détermination, et vue que toute la famille comptait sur moi, j’ai tenu bon, et aujourd’hui, je dis Dieu merci. Avec cette activité, j’arrive à faire face aux besoins de la famille, je suis indépendant », se réjouit l’ancien gérant de quincaillerie. Agé de 70 ans, Tidiane Traoré produisait d’abord l’anacarde avant de se retrouver dans la mangue.

Lorsqu’on lui pose la question sur la rentabilité de la production de ce fruit par rapport à l’anacarde, c’est avec un large sourire que le sexagénaire laisse entendre que la mangue est de loin plus bénéfique que l’anacarde. « Je viens d’ailleurs d’acquérir une motocyclette flambant neuve grâce à la production de la mangue. Ce qui était impensable quand je produisais l’anacarde », confie-t-il. Propriétaire d’un verger de 37 ha dont 20 ha de manguiers, 10 ha d’anacardiers, et une partie réservée à la maraîcher-culture, le chef du village de Kourinion, Drissa Traoré, est un véritable agrobusiness man qui a bâti sa fortune autour de la mangue. 

Nécessité d’une lutte coordonnée

Si dans les vergers des frères Vlé, la mouche a déjà commencé son activité, elle ne semble pas, en revanche, inquiéter Drissa et Tidiane Traoré. En décidant de prendre le taureau par les cornes, ces producteurs ont réussi à circonscrire le mal dans leurs vergers respectifs. « Il y a deux ans, j’ai traité mes manguiers avec le Timaye, un produit piège qui consiste à capter les mouches mâles pour casser leur chaine de reproduction. La troisième année qui a suivi, j’ai utilisé le M3, un autre produit qui s’attaque à toutes les mouches. C’est ce qui fait que présentement, l’attaque de la mouche n’est pas visible dans mon verger », se félicite Drissa Traoré. Avec le concours de la recherche, les producteurs, selon les propos de Drissa Traoré, parviennent tant bien que mal à maitriser cet insecte. 

Filière importante dans l’offensive agricole, la mangue, confie Eric Pas cal Adanabou, retient l’attention du département en charge de l’agriculture. « Dans le cadre de l’offensive agricole, nous assistons les producteurs par la surveillance de ces insectes ravageurs, mais aussi, nous mettons à leur disposition des pesticides pour contrer les mouches de la mangue. Il y a aussi le renforcement des capacités des producteurs que nous menons pour faire connaitre cette mouche afin de leur permettre de mieux la combattre », cite M. Adanabou comme actions du gouvernement pour soutenir les producteurs dans la lutte contre les insectes de fruits.

L’activité de la mouche est visible sur les mangues dans le verger de Bala Vlé Traoré.

Le hic dans le combat contre la mouche de la mangue, regrette le chef de village de Kourinion, c’est le manque de coordination des producteurs dans la lutte. « Si moi je m’inscris dans la lutte contre la mouche, et mon voisin ne le fait pas, c’est peine perdue. Pendant que je la combats, elle se réfugie chez lui. Et en temps opportun, elle va revenir dans mon verger, malgré mes efforts consentis », se désole le chef. En plus de l’usage des pesticides, Drissa Traoré préconise en amont que les vergers soient entretenus et débarrassés des mauvaises herbes et des arbustes pour donner plus de chance à l’efficacité des traitements. « La première lutte, c’est d’assainir son verger avant de se procurer les produits de lutte contre la mouche.

On entend certains producteurs dire qu’ils ont pourtant fait le traitement de leurs manguiers, mais la mouche est toujours là. Ces producteurs oublient que si le verger n’est pas débarrassé des mauvaises herbes et des arbustes, le traitement ne peut pas être efficace », martèle-t-il. Si la lutte est coordonnée, se convainc Drissa Traoré, on peut maitriser, voire éradiquer la mouche. Pour ce faire, il invite les producteurs de la mangue à engager une lutte commune sans merci contre la mouche. Ce sont surtout des efforts conjugués, estime-t-il, qui sont la seule solution contre le ravage des mouches et pour avoir des mangues de qualité.

Les conséquences de l’activité de Bactrocera Dorsalis sont aussi bien désastreuses pour le producteur que pour l’exportateur. Toute mangue piquée renfermant une larve de la mouche de mangue est une perte, explique le président de l’Association professionnelle de la mangue du Burkina (APROMAB), Yaya Koné, par ailleurs promoteur d’une structure d’exportation des fruits et légumes. Elle ne peut plus être exportée, à ses dires, sous peine de rejet et de destruction totale du lot de mangues par les services phytosanitaires européens. « A l’exportation, une seule mangue piquée suffit pour déclasser et incinérer toute la cargaison. Si fait que chaque année, à cause de ces insectes, des containers entiers en provenance du Burkina Faso sont interceptés et détruits par incinération aux frais des exportateurs dans les ports et aéroports européens, leur causant un grave préjudice économique », informe Yaya Koné.

La recherche à pied d’œuvre

De 2013 à 2022, indique M. Koné, ce sont plus de 100 interceptions de mangues que les exportateurs de la mangue du Burkina Faso ont subi sur le marché européen avec d’énormes pertes économiques. 

La recherche, selon Dr Issaka Zida, a permis de mettre à la disposition des producteurs une gamme de pesticides et des méthodes de lutte contre la mouche de la mangue.

Aussi, la mouche de mangue, aux dires du président de l’APROMAB, écourte la campagne d’exportation des mangues au Burkina Faso. « Le ministère en charge de l’Agriculture, pour éviter ces nombreuses saisies, est souvent contraint de suspendre l’exportation de la mangue fraîche à partir de fin mai ou début juin pour une campagne qui, normalement, doit aller jusqu’en juillet-août », explique-t-il. C’est aussi le rôle de l’Etat, selon les explications du directeur régional Adanabou, de prévenir les préjudices subis par les exportateurs en écourtant la campagne d’exportation de la mangue dans les zones où l’activité de la mouche est accentuée.

Cette situation risque d’avoir des conséquences encore plus graves si l’on ne réussit pas à contrer la mouche, Selon Yaya Koné. « A la longue, si l’on ne parvient pas à maitriser cet insecte, la mangue du Burkina Faso va perdre sa crédibilité vis-à-vis des pays demandeurs qui ont mis les moyens pour éviter que cette mouche, classée parmi les ‘’insectes de quarantaine’’, n’entre sur leur territoire », prévient l’exportateur des fruits et légumes. Depuis son apparition, les chercheurs se sont mis à la tâche pour trouver des solutions à Bactrocera Dorsalis. Dr Nouhoun Traoré travaille sur un outil génétique de lutte contre la mouche de mangue. 

Les méthodes de lutte qui sont employées pour le contrôle de cette mouche, dit-il, sont beaucoup plus basées sur l’utilisation des pesticides. « C’est généralement des pièges qui combinent l’insecticide et l’attractif alimentaire. Quand la mouche sera attirée dans le piège, suivant l’odeur de l’aliment, l’insecticide va servir à la tuer. Il y a également l’attractif phéromonal. Ce sont des substances chimiques qui attirent les mâles. Ces attractifs également sont combinés à des insecticides pour tuer les mâles afin de casser le cycle de reproduction des mouches », explique le chercheur à l’IRSS.  « Nous avons aussi mis à la disposition des producteurs, un appât bio appelé Mango protect qui n’est pas associé à un insecticide pour permettre aux producteurs d’avoir des mangues 100% bio tout en faisant face à la mouche », fait savoir l’entomologiste Issaka Zida. 

L’inaccessibilité des pesticides

Le bémol est que ces pesticides sont inaccessibles du point de vue coût, mais aussi rares sur le marché. « La solution de la mouche, c’est le traitement. Malheureusement, les produits contre ce parasite sont rares. Le Timaye ou le M3, des produits que l’INERA met à notre disposition, sont chers. Un carton de Timaye nous revient à 75 000 F CFA. Pour un

Plus de 40 espèces de mouches de fruits, aux dires de l’entomologiste, Dr Issaka Zida, sont recensées au Burkina Faso avec seulement sept mouches de la mangue dont deux sont responsables de la destruction de 30 à 100% de la production.

producteur qui a 10 à 20 hectares avec des milliers de pieds de manguiers, imaginez le nombre de cartons qu’il faut pour contrer la mouche. C’est une fortune. Ce n’est pas accessible à tout producteur », dit Adjouma Vlé Traoré. En plus des appâts alimentaires et sexuels, la recherche a développé d’autres méthodes détournées pour contrôler la mouche. Au nombre de ces méthodes pour soutenir les producteurs qui sont confrontés à des barrières financières, Dr Traoré cite les parasitoïdes. 

Ce sont des fourmis qui parasitent les larves de la mouche pour se développer. Il y a aussi, indique-t-il, les méthodes sanitaires qui consistent à détruire les mangues déjà attaquées dans les vergers. « Ces méthodes permettent de rompre le cycle de vie du ravageur tout en favorisant le développement de son ennemi naturel afin d’atteindre un équilibre écologique entre l’ennemi naturel et le ravageur. Avec ces méthodes, le producteur n’a plus à injecter de l’argent ou perdre du temps pour traiter son verger », atteste Dr Issaka Zida. Le souhait de Drissa Traoré, comme pour l’ensemble des producteurs, est de voir plusieurs gammes de produits homologués contre la mouche de la mangue et à des prix subventionnés.

Kamélé FAYAMA

 


Une filière aux potentialités économiques énormes

La filière mangue, communément appelée « l’or vert », fait partie des filières agricoles
porteuses de l’économie du Burkina Faso. Elle constitue la première filière fruitière du
Burkina Faso en termes de volume de production. Sa part de la production ouest￾africaine représente 11 à 18% et génère plus de 15 milliards F CFA de chiffre d’affaires
par an au profit de l’économie nationale. En 2023, le Burkina Faso comptait parmi les
leaders de l’exportation de mangue en Afrique. Nonobstant les défis auxquels est
confrontée la filière, la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso
(CCI-BF), et l’Association professionnelle de la mangue du Burkina Faso (APROMAB),
avec l’appui de l’Etat, organise chaque année le Salon de la mangue (SAMA) afin de
renforcer la compétitivité des entreprises de la filière. Le SAMA, selon ses initiateurs,
vise aussi à faire du Burkina Faso une plateforme commerciale et une vitrine de
promotion de la mangue et de ses produits dérivés.

K.F


Des pieds de manguiers pour régénérer les vergers vieillissants

Dans le cadre de l’offensive agro-sylvo-pastorale et halieutique, l’Etat, indique le directeur régional de l’agriculture, des ressources animales halieutiques des Hauts-Bassins, Eric Pascal Adanabou, appuie des pro￾ducteurs avec des pieds de variétés « très productives »
de mangues. « La vision, c’est de parvenir à régénérer les vergers qui sont vieillissants afin de booster la production de la mangue qui compte dans l’offensive agricole », soutient-il.

K.F

 

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