Alliance des fournisseurs burkinabè de biens et services miniers : « Il y a des domaines où l’expertise nationale n’est pas développée », président Yves Zongo

Yves Zongo est le président de l’Alliance des fournisseurs burkinabè de biens et services miniers (ABSM). Dans cette interview qu’il a accordée à Sidwaya, le jeudi 14 mars 2024, il a abordé les opportunités, les contraintes, les défis liés à la fourniture locale de biens et services miniers au Burkina. 

 

Sidwaya (S) : Comment se porte le secteur de la fourniture locale des biens et services miniers au Burkina ?

Yves Zongo (Y.Z.) : Au regard du contexte national, nous pouvons dire que la fourniture locale des biens et services miniers a pris un coup du fait de la sécurité qui a chamboulé beaucoup de choses. Nous sommes passés de 17 000 travailleurs à 11 000, du fait que certaines mines sont fermées ou en arrêt.

Certes, la crise nous rend la situation complexe, mais nous avons espoir, car des mines qui ont temporairement fermé sont en train d’intégrer la sécurité dans leurs études pour d’éventuelles reprises de leurs activités. D’une manière générale, un travail est fait, et celles qui ont des problèmes ont trouvé des solutions pour commencer à rouvrir.

Mais au lieu de ne voir dans cette crise sécuritaire que des problèmes, cette situation peut constituer une opportunité pour nous d’être les représentants les grandes firmes, d’aller vers les sociétés minières pour négocier des contrats, d’apprendre aux côtés de ces grandes firmes pour devenir demain de grands fournisseurs dans la sous-région, voire dans le monde.

 

S : Quelle est la part de la fourniture locale sur le marché des biens et services des sociétés minières implantées au Burkina ?

Y.Z. : Selon le rapport provisoire de 2022, environ 40,70% des achats des mines, soit 391 milliards F CFA, représentent la part des achats locaux. Mais, la base de ce calcul semble tronquée. Il y a près de 3 000 items dans les achats des sociétés minières. Alors que ces résultats sont basés sur 66 items contenus dans le décret, il y a quelques items qui n’y figurent pas. C’est une goutte d’eau dans la mer. On aurait pu prendre l’ensemble de la fourniture, extraire ce qui revient aux nationaux sans seulement tenir compte du décret qui ne contient que 66 items. Ainsi, nous serons sur un meilleur ratio. Sinon, avec cette base de calcul, les résultats semblent mirobolants, flatteurs !

Dans la définition du contenu local, il est indiqué que le capital devrait être détenu à 51% par les nationaux. Les sociétés privées ont essayé de suivre à la lettre le décret et non l’esprit. Elles se sont nationalisées, créant ainsi des sociétés nationales à côté de la société internationale, exécutant le même boulot avec les mêmes agents de sorte qu’aujourd’hui, nous ayons des amalgames qu’il faille élucider. Le plus important dans un contenu local, c’est ce que les nationaux gagnent en termes de transfert de technologie, de compétences, de fournitures de biens et services aux mines, sans oublier comment faire pour impacter le panier de la ménagère. Quand vous regardez Johannesburg, la ville n’envie pas Washington, parce que ceux qui exploitent l’or à Johannesburg estiment qu’ils sont Sud-africains et investissent en Afrique du Sud. Prenons l’exemple des échanges entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, où en 1970, la Grande-Bretagne n’avait pas de techniques dans la raffinerie, le traitement du pétrole.  Mais en 1980, les Anglais étaient presque totalement indépendants en technologies pétrolières, et ils sont devenus aujourd’hui des pourvoyeurs de grandes techniques d’exploitation du pétrole. On aurait souhaité que nous soyons sur ce même schéma.

S : Le Burkina a-t-il aujourd’hui toutes les compétences nécessaires pour répondre aux besoins des mines, sur toute la chaine de l’exploitation minière ?

Y.Z. : Il doit toujours avoir des niches que nous ne connaissons même pas. Mais comparativement à 2012, où les miniers se plaignaient de ne pas trouver sur place des fournisseurs locaux pour effectuer même le plus petit de leurs services, les choses ont évolué. Cette situation inconfortable au départ a amené l’ambassade du Canada et la mine Iam Gold Essakane SA à envoyer des burkinabè au Canada pour s’inspirer des fournisseurs canadiens ; ainsi est née l’Alliance des fournisseurs burkinabè de biens et services miniers (ABSM) et l’ambition était de s’informer, de se former, d’atteindre les standards des sociétés minières et de faire un travail de qualité. En 11 ans, nous sommes presque dans tous les secteurs.

Le combat est rude, mais les Burkinabè prennent des parts qui semblent assez substantielles. Il y a encore de la place pour des gens intelligents qui ont la fibre du privé, de la création. De façon générale, les domaines dans lesquels les burkinabè exercent dépassent ceux prévus dans l’arrêté. La plupart de nos futurs champions sont sur le marché régional et même international.

S : Y a-t-il des domaines où des efforts sont encore à faire en termes d’expertise nationale à développer ?

Y.Z. : Il y a des domaines où l’expertise nationale n’est pas assez développée. Ce sont des domaines relativement dangereux, comme les explosifs, les produits chimiques. Mais, il y a des Burkinabè qui y sont présents déjà. Dans le corps de métier, il y a des marchés comme l’achat, l’entretien, le remplacement et la livraison de certaines pièces qui sont souvent liés à de grandes assurances, de sorte qu’il faut un modèle économique pour permettre aux Burkinabè d’apprendre des fournisseurs internationaux et de prendre progressivement leurs parts, tout en leur permettant de continuer à fournir ce que nous ne pouvons pas offrir. Il s’agit de faire des internationaux, des chefs d’orchestre qui nous aident à acquérir, petit à petit, la maturité.

Sur 3 000 items, il doit y avoir même des niches qui ne sont mêmes pas encore connues pour être explorées. Dans certains domaines, la désignation du bien ou du service est souvent codée, si bien qu’il est difficile d’identifier ce qui est demandé. Pour y remédier, nous avons initié une rencontre entre les acheteurs et les fournisseurs miniers, à laquelle nous associons les opérateurs qui peuvent décortiquer ces codes.

S : Quelles sont les contraintes auxquelles font face les entreprises locales en matière de fourniture de biens et services miniers ?

Y.Z. : La grande contrainte aujourd’hui est que les textes sont appliqués selon la lettre et non l’esprit. La deuxième contrainte réside dans l’argent. Avec les articles 101 et102 du Code minier de 2015 et leurs textes d’application, nous avons un ensemble de textes qui nous permettent d’agir. L’opérationnalisation de ces textes n’a pas été suivi par les banques qui n’ont pas changé leur vieux logiciel. Elles ne nous offrent pas des produits financiers nous permettant de répondre véritablement aux besoins des sociétés minières dont la satisfaction demande beaucoup d’argent, ici et maintenant. Alors, les banques ont des pratiques anciennes, longues, fatigantes. Les assurances aussi ne suffisent pas. Si on ne crée pas quelque chose pour accompagner les Burkinabè qui pourront être les futurs champions, notamment pour soutenir leurs actions, leur apprentissage, etc., nous serons étonnés après que quelques mines aient été fermées, faute de n’avoir pas atteint nos objectifs et d’être obligés d’aller chercher encore l’expertise ailleurs.

En résumé, nos difficultés se trouvent à trois niveaux : l’argent, l’esprit des textes, l’accompagnement rapide pour que les burkinabè qui sont dans la fourniture puissent satisfaire le besoin des sociétés minières. Lorsque les mines t’appellent pour un travail ou pour un service, c’est qu’elles avaient besoin de service hier. Et chez nous, pour une simple caution, il faut prendre deux, trois semaines pour un petit financement. Certes, dans notre secteur il y a eu quelques brebis galeuses, mais il y a aussi des gens qui sont arrivés, rien que par leurs compétences techniques ou par leur notoriété, à avoir un bon de commande de 500 millions CFA. Mais la banque qui ne comprend pas t’exige un background qui n’existe pas. Aujourd’hui, les banques qui avaient refusé d’accompagner ces fournisseurs, les accompagnent avec plaisir.

S : Quelle place devrait-on accorder à la fourniture locale des biens et services miniers dans le développement du secteur minier ?

Y.Z. : Un contenu local doit être un total. Une mine qui s’installe doit regarder ce que les populations font et développer des projets en fonction afin de les permettre d’accroitre leur productivité et de vivre dans l’après mine.

Lorsque la région se développe harmonieusement, il n’y a pas de révolte, de conflit. Prenons l’exemple des autochtones du Canada, les Etats-Unis où les Indiens, quand les sociétés minières s’y installent, en cinq ans, même des gens qui avaient un niveau donné, qui ne connaissaient aucune technique minière, sont scolarisées, formées à remplacer les cadres et à devenir des experts. Ainsi, les assises des nationaux sont très fortes et ils prennent une bonne part du marché. Aujourd’hui, nous devons être à un certain niveau donné, de sorte à sentir les changements en termes de compétences techniques, de transfert de technologies, de fournitures locales et surtout en matière de valeur ajoutée sur ce que nous livrons.

S : A vous écouter, on a l’impression qu’au début du développement du secteur minier, il n’y avait pas une vision claire en matière de promotion de la fourniture locale…

Y.Z. : En 2008, nous étions au début d’un boom minier. Lorsqu’on parle d’un boom, c’est parfois des choses qui vous tombent sur la tête. Dans ce boom minier, les minières avaient des exigences élevées qui étaient loin de nos capacités. Il a fallu travailler à rencontrer les besoins des miniers. De façon imagée, je dirais, quelque chose est tombée sur nous, le canari s’est cassé sur nous, nous nous sommes servis de cette eau pour apprendre à nous laver !  Ainsi, nous nous battons aujourd’hui pour être des champions.

S : Autrement, la vision n’y était pas au départ ?

Y.Z. : Oui, mais pas seulement la vision. Dans des documents anciens, on présentait le Burkina comme un pays sans ressources naturelles. Aujourd’hui, au-delà de l’or, nous avons du manganèse, un gisement d’ordre mondial, des indices de diamant, des terres rares, etc. Notre sous-sol est riche alors que l’on disait qu’il ne contenait rien.

Sur la base de zéro, on ne pouvait pas construire une vision ! Sans connaissance, sans information, on ne peut pas bâtir une vision sur le vide. Aujourd’hui, nous avons des informations à partir desquelles nous bâtissons notre vision.

S : Que fait l’ABSM pour un accroissement substantiel de la part des entreprises locales dans la fourniture des biens et services miniers ?

Y.Z.: Nous avons un vaste programme, allant de l’information aux alliances que nous pouvons tisser avec les structures sœurs pour permette à nos membres d’entrer en contact avec les acheteurs, les opérateurs, les sociétés minières, afin qu’ils puissent présenter leurs offres qui répondent aux besoins des mines. Nous travaillons avec la Banque mondiale, dans le cadre d’un projet et nous avons déjà bouclé une dizaine de TDR (termes de référence) en lien avec notre PTBA 2024 à lui adresser.

Dans le domaine de la formation, nous avons deux projets liés à la mécanique de précision et les éléments connexes comme la maintenance, le soudage, l’usinage, le forage minier où nous formerons des gens pour faire les meilleurs forages, pour l’entretien et la gestion des machines et pourquoi pas mettre ensemble les deux pôles pour créer des machines de forage et les fabriquer au Burkina Faso dans une ou deux ans.

Nous avons également les journées du fournisseur minier que nous organisons avec le ministère en charge des mines, la Chambre des mines du Burkina et l’autre partenaire et qui sont des cadres de réflexions, de partage d’expériences et de promotion de la fourniture locale.  Et cette année, nous avons en projet la mise en place de l’Alliance des fournisseurs miniers au niveau régional. En allant à l’échelon région, nous aurons plus de force. Les petits ou grands champions burkinabè peuvent être des champions régionaux car, ils ont 10, 15 ans de pratiques et il faut déjà exporter cette expérience pour faire du Burkina un fer de lance de la fourniture locale au plan régional.

S : Le Burkina s’est doté d’une stratégie nationale du contenu local dans   le secteur minier 2021-2025. Quel bilan à mi-parcours faites-vous de la mise en œuvre de cette stratégie ?

Y.Z. : Si nous prenons les résultats provisoires de 2022 sur   la fourniture locale, où nous disions qu’ils ne prennent pas en compte tous les items, nous pouvons dire que les lignes bougent. Mais nos textes juridiques ont des défaillances, car ils sont appliqués suivant la lettre et non l’esprit ! Il faut travailler à tamiser ces éléments contenus dans nos textes et qui ne permettent pas de constater le changement dans le panier de la ménagère ; mais aussi à y apporter les éléments qui nous permettent d’avancer !

S : En septembre 2021, le gouvernement burkinabè a adopté un décret qui accorde une préférence aux nationaux dans des conditions équivalentes de prix, de qualité et de délais. Ce décret avait suscité beaucoup d’espoir. Trois ans après, cet espoir a-t-il été comblé ?

Y.Z. : L’espoir est toujours présent et nous travaillons à ce qu’il soit total. Il faut préciser que nous ne prêtons pas l’argent dans les mêmes conditions. En Europe, les fournisseurs prêtent l’argent à un taux d’intérêt très faible, avec souvent du bonus sur l’argent prêté ; pendant la COVID-19, les prêts y étaient pratiquement à zéro taux d’intérêt. Comment, dans ces conditions, peut-on parler de prix égal ?

Il aurait fallu une définition du prix égal. Par exemple, lorsque le fournisseur international est à 1F, l’égalité s’établit à 1,5 F pour le national. Cette différence de prix est la préférence nationale.

Sans oublier qu’il y a de grosses entreprises qui ont plus de 30 ans d’expériences et qui peuvent faire du dumping. Elles peuvent proposer des prix deux fois moins vos prix pendant un an pour vous éliminer du marché et revenir à deux fois plus cher que vos prix, puisque vous n’êtes plus là. Nous allons nous inspirer de l’expérience ghanéenne en matière de fourniture locale.

S : Quelles solutions pour renforcer davantage la part des entreprises nationales sur le marché de biens et services miniers ?

Y.Z. : Pour les fournisseurs, il faut deux choses : désinstaller nos manières archaïques de travailler pour installer de nos nouvelles de faire qui rencontrent les besoins des sociétés minières. Il faut se former, se perfectionner et avoir une vision d’un futur champion. Au ministère, il doit avoir un contrôle de l’applicabilité des textes, disposer d’une charpente de retour d’informations, et encourager et sanctionner quand il le faut. Aux sociétés minières, il y a encore des niches que nous ne connaissons ou ne maitrisons pas dans le cadre des partenariats qui nous lient ; elles peuvent contribuer à former les fournisseurs locaux sur ces niches.

Nous avons résumé l’ensemble de la fourniture des biens et services miniers en 15 grands domaines. Nous encourageons les fournisseurs à se spécialiser, à mutualiser leurs moyens et leurs intelligences, pour avancer et devenir de grands champions qui créeront d’autres champions !

S : Le plus souvent, les périodes de Transition politique sont considérées comme des moments propices pour des réformes audacieuses. Selon vous, en plus de ce qui a été déjà fait, quelles réformes du secteur minier vaillent la peine d’être engagées aujourd’hui ?

Y.Z. : Dans les sociétés minières se trouvent l’ADN de la RSE et du contenu local. Si on avait pris le temps d’échanger ensemble, on serait allé très loin. A partir des articles 101 et 102 du code minier de 2014, on peut en faire des réformes de fond et de forme. Aujourd’hui, nous sommes en train de faire des réformes politique et de forme et non de fond. Nous attendons à ce qu’on revienne là-dessus de sorte que la forme soutienne le fond et que le fond ne trahisse pas la forme.

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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