Bérégadougou dans la Comoé : « Monrii-kuagu », une rivière sacrée menacée de disparition

Situé dans la commune rurale de Bérégadougou, province de la Comoé, région des Cascades, le cours d’eau « Monrii-kuagu », qui signifie en langue Turka « la rivière du chef », est le plus important de la localité. Réputée être un lieu sacré, cette rivière est aujourd’hui menacée de disparaitre du fait de l’action anthropique et des aléas climatiques.

Il est 16 heures passé de quelques minutes, ce jeudi 10 avril 2025 dans la commune rurale de Bérégadougou. Ce village au paysage exceptionnel est constitué d’une plaine entourée d’une chaine de collines. C’est une zone très favorable à l’agriculture. On y trouve des
vergers de manguiers, d’anacardiers, d’orangers et bien d’autres arbres fruitiers. Sur les berges de la rive de « Monrii-kuagu », qui signifie en langue Turka « la rivière du chef », la faune et la flore présentent un véritable site touristique où des oiseaux perchés dans les feuillages des arbres distillent une mélodie peu ordinaire. Dans la rivière « Monrii-kuagu », quelques enfants se baignent dans l’eau qui ruisselle.

Le 1er ingénieur voltaïque (burkinabè) à travailler à la SN SOSUCO, Antoine Sombié, doit sa réussite à « Monrii-kuagu ».

A côté, des femmes du village font la lessive sans se soucier de leurs bambins. L’eau de la rivière n’inquiète plus les populations riveraines. Et pourtant ce cours d’eau, le plus important de la localité était réputé pour sa profondeur qui atteignait les 50 mètres. « Monrii-kuagu » est un lieu sacré qui attire des personnes venant de divers horizons pour des besoins de sacrifices. Accompagnés sur les lieux par des responsables du village pour constater de visu l’ampleur du phénomène, la « rivière du chef » nous montre un visage désolant. Aujourd’hui, le cours d’eau qui faisait le bonheur des populations tant au niveau spirituel, environnemental, qu’économique est atteint par un niveau avancé d’ensablement. Il est connu de tous dans le village que des gens viennent pour faire des sacrifices. Généralement, « Monrii-kuagu » exauce leurs vœux qui sont, entre autres, la procréation, le travail, la santé et la sécurité familiale. En sus, « Monrii-kuagu » est l’une des sources d’eau qui arrose les champs de canne à sucre de la Nouvelle société sucrière de la Comoé (SN SOSUCO), l’unique industrie sucrière du Burkina Faso créée en 1965. Pour le fonctionnement de l’industrie sucrière, l’Etat burkinabè a concédé à la SN SOSUCO 10 000 ha de terre, dont 4 000 ha sont réservés à la culture de la canne à sucre.

L’exploit des anciens

Pour le chef de service des inspections et des audits environnementaux et sociaux à l’Antenne régionale de l’Ouest, Drissa Diarra, il faut appliquer la réglementation en vigueur.

De nos jours, « Monrii-kuagu » risque de disparaitre sous la pression des aléas climatiques favorisés par l’action de l’homme. Selon le chef du village de Bérégadougou, Abdoulaye Sombié, les causes de la dégradation des berges et de l’ensablement du cours d’eau sont multiples. Il pointe du doigt la pression démographique. Pour lui, l’aménagement des 10 000 ha de terre pour la SN SOSUCO, a entrainé le déguerpissement de villages entiers. Ce déplacement des populations a rendu Bérégadougou cosmopolite certes, mais il a créé dans le même temps un problème de terres d’habitation et agricole, si bien que de nombreux habitants ont occupé les berges de « Monrii-kuagu ». « Dans les années 1960, le village comptait à peine un millier d’habitants. Mais aujourd’hui, Bérégadougou peut être la troisième commune dans la région des Cascades avec entre 20 000 et 30 000 habitants », renchérit Gaoussou Sombié, 1er vice-président de la délégation spéciale de la commune.

L’impact de la dégradation

Cette pression démographique, poursuit-t-il, a entrainé la coupe abusive du bois et a détruit peu à peu la faune et la flore.
« Des gens viennent jeter des anciens habits et toutes sortes d’ordures dans la rivière, laver des linges sales dans l’eau. Ce qui ne se faisait jamais dans le passé », déplore le chef du village.

Selon le chef du village de Bérégadougou, Abdoulaye Sombié, la pression démographique est une préoccupation majeure.

La réglementation exige le respect d’une bande de servitude de 100 mètres entre les cours ou retenues d’eau et les zones de productions agricoles ou toutes activités humaines. Malheureusement, cela n’est pas respecté au niveau de « Monrii-kuagu ». « Le pâtu-rage des animaux et les champs dans le lit de la rivière sont aussi des éléments qui facilitent la dégradation de la rivière », soutient le lieutenant-colonel des Eaux et Forêts, Souleymane Diarra, chef de service des inspections et des audits environnementaux et sociaux à l’antenne régionale de l’Ouest de l’Agence nationale des évaluations environnementales, natif de Bérégadougou. Il confie que les causes naturelles telles que le changement climatique a aussi un impact négatif sur les ressources en eau. La destruction de la rivière de « Monrii-kuagu », dérange la biodiversité et bouleverse l’écosystème. Pour M. Diarra, de nos jours, plusieurs espèces animales et végétales ne se trouvent plus ni dans l’eau ni aux abords de la rivière. Il note également la diminution de la ressource en eau due à l’ensablement.

Le 1er vice-président de la délégation spéciale, Gaoussou Sombié, reconnait que dans les années 1975, la profondeur de la rivière pouvait atteindre 50 mètres, mais aujourd’hui le niveau de l’eau ne dépasse pas les chevilles. Il remarque une hausse des températures dans la localité. « En réalité « Monrii-kuagu » était au centre de tous les besoins du village. C’est durant ces dernières années que les habitants de Bérégadougou parlent de chaleur et de violentes pluies, sinon pendant longtemps, il faisait bon vivre dans cette commune », témoigne Gaoussou Sombié. A l’entendre, la rive de la rivière présentait un beau paysage si bien qu’on aurait pu l’aménager pour en faire des espaces récréatifs au bonheur
des vacanciers ou des touristes.

La survie, une nécessité

Le 1er vice-président de la délégation spéciale de Bérégadougou, Gaoussou Sombié, déplore le manque de moyens financiers de la commune pour sauver le cours d’eau.

La survie de la rivière passe nécessairement par des actions fortes et concrètes. Et pour cela, les responsabilités doivent être situées. Pour le 1er vice-président de la délégation spéciale, la population a une part de respon-sabilité dans la dégradation de « Monrii-kuagu » et elle doit être sensibilisée. Sous le règne du prédécesseur du chef actuel, il se raconte qu’un chasseur, bien informé du caractère sacré des crocodiles en avait tué un. Il abandonna l’animal mort dans la nature. Lorsque le chef a été informé, le crocodile fut enterré comme un humain. Pour avoir bravé cet interdit, le chef a fait des incantations en demandant au crocodile sacré de rechercher son bourreau et de se venger. Quelques temps plus tard, le chasseur concerné a eu des prises de bec avec sa femme. Dans la colère, il a tiré à bout portant sur son épouse. Se rendant compte de la gra-vité de son acte, il se suicida. Miraculeusement, la femme s’est réveillée car la balle avait écorché à peine son épaule. Les consultations ont révélé que le chasseur en question était le tueur du crocodile sacré.

Cette histoire qui se raconte dans le village a permis de préserver la vie des crocodiles de « Monrii-kuagu » si bien que certains avaient plus de 100 ans. « Il faut revenir aux interdits pour dissuader la jeune génération qui n’a peur de rien », suggère le chef du village. Selon
le lieutenant-colonel des Eaux et Forêts, il faut aussi appliquer la réglementation avec vigueur à savoir que les activités agricoles ou toutes autres activités doivent être menées à 100 mètres de la rive du cours d’eau. Par conséquent, tous ceux qui sont sur la bande de servitude doivent libérer les lieux. M. Diarra propose également un reboisement des berges du marigot pour lutter contre l’ensablement et le réchauffement climatique. Le 1er adjoint au PDS évoque le manque de moyens financiers de la commune de Bérégadougou pour sauver le cours d’eau. « Avec la modicité des moyens de la commune, le mieux était de curer la rivière, déboucher les sources d’eau », avoue-t-il.

Le chef coutumier, sacrificateur de « Monrii-kuagu », Pertu Sombié : « toutes les ethnies, même les étrangers peuvent directement exprimer leurs besoins à la rivière ».

Antoine Sombié, un fils du village, affirme être un des bénéficiaires des bienfaits de la « rivière du chef ». Il est le premier ingénieur voltaïque (burkinabè) à travailler à la SN SOSUCO. Il affirme que sa réussite scolaire et sociale est liée à « Monrii-kuagu ». « Je me rappelle, quand j’étais à l’école primaire, dans les années 1959-1960, avant d’aller au certificat, les parents nous ont amenés pour nous présenter à Monrii-kuagu. Ils ont demandé l’accompagnement et les bénédictions de la rivière afin que nous réussissions à l’examen », témoigne M. Sombié. Voilà pourquoi, le retraité fait souvent des offrandes à la rivière. Pour Awa Sontié, le pacte entre elle et « Monrii-kuagu », émane de sa mère. Sa mère voulait des enfants et elle est allée faire un vœu sur la rivière qui l’a exaucée. Et depuis lors, elle est restée en lien avec le cours d’eau. Awa Sontié dit offrir très souvent du mouton à la rivière. Ce cours d’eau regorge un potentiel économique, culturel et sociétal, non seulement pour la localité mais aussi pour le Burkina Faso. Si toutefois il est réhabilité et aménagé, « Monrii-kuagu » pourrait être l’un des sites touristiques et culturels les plus attractifs du pays. La responsabilité incombe à tous les acteurs au regard de tous les risques et dangers qui menacent la rivière.

Hubert BADO

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