Activités agricoles dans le Houet : Ces PDI qui refusent la fatalité

Les femmes PDI, affiliées à l’union des femmes battantes en pleine récolte dans leur champ de niébé

Depuis l’avènement du terrorisme au Burkina Faso, la situation des Personnes déplacées internes (PDI) demeure préoccupante. Gagner leur pitance quotidienne relève toujours d’un parcours du combattant. Pour relever ce défi, beaucoup d’entre elles ont refusé la mendicité pour se consacrer à l’agriculture. Zoom sur des champs de PDI  dans la province du Houet.

Ce mardi 11 octobre 2022, nous sommes à Soukourani, un village de la commune de Péni, dans la province du Houet. Dans cette bourgade dont les populations sont disséminées au milieu des collines, vit une dizaine de familles de PDI. La spécificité de ces déplacés réside dans leur attachement à l’agriculture. Amidou Nacanabo est l’un d’eux. Originaire du village de Yilgué, dans la commune de Titao, c’est en janvier 2022 qu’il est arrivé à Soukourani, à la suite d’une attaque de son village. Il débarque dans cette partie du pays, jusque-là inconnue de lui, avec une famille de neuf personnes. Sa venue s’est faite grâce à sa sœur aînée  qui y vit. Elle va l’aider à obtenir un terrain de 2 ha auprès d’un autochtone de bonne volonté. Par manque de moyens, Amidou n’a pu exploiter toute la superficie à lui accordée. Qu’à cela ne tienne, lui et sa famille ont pu produire du petit mil, du sorgho et du niébé.

Ce déplacé interne dit avoir reçu des services de l’agriculture un demi-sac d’engrais. Evidement, cet engrais n’a pas suffi à enrichir son champ mais Amidou s’est contenté du moyen de bord. Déjà, se convainc-t-il, ses récoltes ne pourront pas couvrir ses besoins,  parce qu’il compte aider une partie de sa famille restée à Titao.

Non loin du champ d’Amidou Nacanabo, une autre PDI, Pelega Nana, entretient une parcelle qui lui a été offerte par le même bienfaiteur. Originaire du Passoré, M. Nana était  précédemment installé à Madiasso, dans la commune de Mangodara, province de la Comoé. Il a été obligé de quitter les lieux pour cause d’insécurité.

Originaire de Titao, Amadou Nacanabo compte partager ses récoltes avec une partie de sa famille qui y réside toujours

Mouni Ouattara, un bon samaritain

En effet, à la suite d’une attaque perpétrée par les Hommes armés non identifiés (HANI) à Madiasso en juillet 2022, il s’est vu contraint de quitter la zone avec sa famille. Seulement, ce dernier avait déjà semé tous ses champs. C’est donc le cœur serré qu’il quitte Madiasso avec femmes et enfants, en direction de Soukourani.  Il y bénéficie, tout comme les autres PDI, de l’hospitalité des autochtones du village. Son logeur met à sa disposition un terrain de trois hectares qu’il ne pourra pas tout exploiter compte tenu du retard accusé, mais aussi et surtout du manque de moyens. Tout compte fait, il a pu semer du niébé et du sorgho. Selon lui, toutes les spéculations ne pouvaient plus être semées à l’époque. Alors qu’il a beaucoup de bouches à nourrir : 21 personnes. Pour cela, il ne se prive pas d’autres petites activités, telles que la confection des briques pour faire face à ses charges. A l’image de bon nombre de PDI, la direction provinciale en charge de l’agriculture du Houet a soutenu Pelega Nana avec un sac d’engrais.

Mouni Ouattara, un célèbre agriculteur de 55 ans bien connu à Moundara, est celui-là qui soulage les PDI en détresse. Propriétaire terrien et grand producteur dans la localité, il a accepté mettre à la disposition des PDI, une dizaine d’hectares de terre afin qu’elles puissent se prendre en charge en attendant des jours meilleurs. Toutefois, ces terres cédées ne sont pas un don définitif, encore moins une vente. C’est simplement un prêt temporaire. A entendre Mouni Ouattara, rien ne pouvait l’empêcher de céder ses terres aux PDI, car c’est une situation qu’elles n’ont jamais souhaitée vivre. « Je peux me retrouver un jour dans une telle situation. Nous sommes tous des Burkinabè et aider les PDI est une façon de lutter contre l’insécurité », confie-t-il.

A Farakoba-Sud, dans la commune de Bobo-Dioulasso, on rencontre également des PDI engagées dans l’agriculture. Dans ce village, nous avons rencontré Emmanuel Tankoano, un jeune agriculteur de 38 ans. Il y est arrivé le 8 juin 2022 avec une famille de 10 personnes. Auparavant, Emmanuel était installé à Logobou dans la Tapoa où il gagnait sa vie à travers l’agriculture et l’élevage. Une première attaque du village l’a contraint à trouver refuge à Diapaga. A la deuxième attaque, il quitte définitivement sa province pour se retrouver à Farakoba-Sud, dans la commune de Bobo-Dioulasso. Là-bas, il dispose d’un domaine de cinq hectares pour la production agricole. Emmanuel Tankoano semble retrouver le sourire même si une bonne partie de sa famille est restée à l’Est. Il produit le maïs, le niébé, le sésame et le riz sur un autre site appartenant au CAP/Matourkou. Son rendement attendu est d’au moins 20 sacs de maïs, cinq de riz, trois de niébé et deux de sésame. Emmanuel a fait labourer son champ par ceux qui possèdent des animaux de trait et de matériel de labour. Lui aussi compte partager ses récoltes avec le reste de sa famille à Diapaga. D’ailleurs, il œuvre à faire venir les autres membres car, pour lui, il n’est plus question de repartir à Diapaga, encore moins à Logobou. Emmanuel a reçu deux sacs d’engrais de la part de la direction provinciale en charge de l’agriculture et il s’en réjouit. Il n’oublie pas non plus de saluer l’esprit d’entraide qui caractérise les populations de son village d’accueil.

Des femmes battantes

Tout comme Emmanuel Tankoano, Issa Irgué est également installé à Farakoba-Sud depuis 2019. Agé de 52 ans, il est originaire de Belehedé situé à 45 km de Djibo. Polygame, il gère une famille de 24 personnes. Il a bénéficié d’un terrain de 1,5 ha et  cultive exclusivement le maïs. A l’image des autres PDI, Issa Irgué bénéficie de l’accompagnement des services de l’agriculture. En plus de l’agriculture, il est aussi forgeron et s’adonne à cette activité qui lui permet de supporter ses dépenses familiales dont la scolarité de ses enfants.

Grâce au soutien de l’union des femmes battantes, Sanata Nianda arrive à subvenir aux besoins de ses six enfants.

S’il y a des PDI qui s’illustrent si bien dans la commune de Bobo-Dioulasso, ce sont ces  femmes affiliées à l’union des femmes battantes de ladite ville. Cette structure est présidée par  Solange  Traoré, par ailleurs coordonnatrice régionale des organisations féminines des Haut-Bassins. Mme Traoré dit  avoir constaté la présence massive de femmes PDI dans les différents carrefours de la ville en quête de leur pitance quotidienne. C’est de là qu’est née l’idée de créer un champ pour ces dames. Ainsi, elle entreprend des démarches auprès de la direction du CAP/Matourkou pour l’obtention d’un terrain. Cinq hectares sont mis à leur disposition à raison de 5 000 F CFA/ha et par an. « Avec ces cinq ha, on ne savait pas comment aménager ce terrain et j’ai été voir le directeur régional de la  chambre de commerce qui a bien voulu nous aider à labourer », relève-t-elle. En tout, 120 femmes dont 100 PDI s’activent pour les travaux champêtres. De bonnes volontés se sont engagées à accompagner les femmes battantes, parmi lesquelles NAFASO qui  a offert les semences et les services de l’agriculture qui ont fourni dix-sept sacs d’engrais et des produits phytosanitaires. Après la récolte, aux dires de Mme Traoré, les céréales seront partagées à toutes les 120 femmes, en collaboration avec les services de l’action sociale et la direction régionale en charge de la femme. « Aucun grain ne sera vendu ni donné à une tierce personne », insiste-t-elle.

Selon le directeur provincial en charge de l’agriculture du Houet, Kouwanu Eric Pascal Adanabou, son service a pu doter toutes les PDI recensées d’un peu d’engrais

L’objectif de l’union des femmes battantes, selon sa présidente, est d’aider les PDI à s’insérer dans le tissu social. Pour cela, elle a déjà entrepris des démarches auprès des autorités des Hauts-Bassins en vue d’initier des activités au profit de ces femmes. Ainsi, elle envisage des formations en saponification et en transformation des produits forestiers non ligneux à leur endroit durant la campagne sèche.

La prise en charge des PDI n’est pas toujours aisée pour les agents d’agriculture, parce que beaucoup d’entre elles n’avaient pas été prévues dans les programmes initiaux. C’est donc à l’improviste que certaines actions sont menées à leur profit. Selon le responsable en charge de l’agriculture de Péni, Adam Laty Bamba, c’est sur la base d’un recensement des PDI de sa commune que ces dernières ont pu avoir de l’engrais et des semences. « En tout, la commune a reçu deux tonnes d’engrais NPK et une tonne d’urée. Au-delà de l’engrais, nous apportons des appuis-conseils aux PDI dans le domaine de la production agricole », confie Adam Laty Bamba. Ses propos sont confirmés par le directeur provincial en charge de l’agriculture du Houet, Kouwanu Eric Pascal Adanabou qui précise que dans toutes les communes de la province, les PDI sont prises en compte aussi bien dans la distribution des intrants qu’en appui technique. Même si généralement ces intrants sont en petites quantités, il reconnait que cela contribue un tant soit peu à les soulager.

François KABORE